Journée de conférences de l’IUF
12 mai 2006
103, bd Saint-Michel 75005 Paris
Salle de conférences

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"De l'écologie des langues et de la dynamique du langage"

Présentation.
   
C’est sous le chapeau d’une Chaire intitulée « Dynamique du langage et contact des langues » que nous nous rencontrons aujourd’hui. Or, avec un titre tel que ‘dynamique du langage’, ou même de ‘dynamique des langues’, on peut subsumer à peu près n’importe quoi. De fait, ces deux appellations sont si larges qu’on peut se demander quel peut bien être leur intérêt. Disons simplement que, pour moi, elles focalisent l’attention sur des phénomènes saisis dans leur enracinement historique et dans leur conditionnement anthroposocial plutôt que sur des phénomènes ou des représentations pris comme des ‘états stables’ qu’il s’agirait de décrire hors de toute contextualisation. Ce qui n’empêche évidemment pas de s’intéresser à leurs propriétés structurales.

    Quant à ‘écologie des langues’, l’autre appellation que j’ai liée à cette ‘Journée’, elle permet de focaliser l’attention sur cette contextualité sans laquelle la dynamique des langues – bref, les langues – n’existeraient sans doute pas.

Alors en préalable, je vais inventorier quelques lieux parmi les plus connus où la dynamique des langues se manifeste. Je soulignerai au passage ce qu’ils présupposent et je mentionnerai la pertinence du ‘contact’ pour ce qui les concerne.

En voici quatre.

A travers l'espace. On réfère là à la dialectologie, aux aires de convergence, à l’expansion des langues, etc.
En présupposé, on admet la sous-jacence du contact des langues comme condition stable de l’actualisation de ces phénomènes.
>>> Autrement dit (acteur ou résultat) le ‘contact’ est en question et il se manifeste entre une multiplicité d’entités posées comme ‘homogènes’.

Dans les espaces communautaires. Il s’agit de la fonctionnalisation des langues, de la considération de leurs usages et des transformations dépendantes : la dimension sociolinguistique est mise en avant.
En présupposé, on admet aussi la même multiplicité que précédemment mais de plus on retient une autre dimension : la ‘dimension de l’hétérogène’. Là, les processus de diversification sont considérés comme normaux de la nature interne de l’objet.
>>> Le contact est présent, intrinsèquement et constitutivement.

Dans les représentations «  mythologiques »
. Ce qui est en jeu est souvent la question des origines ou des mythes d’émergence qui retiennent l’idée de l’unicité et/ou de l’homogène, etc. Mais cela ne concerne pas seulement les représentations sociales et les pratiques des locuteurs ordinaires : cela concerne aussi les constructions et les représentations des linguistes. Soit donc, par exemple, nos représentations de la « réalité » ‘systémique’ et tangentiellement ‘unitaire’ de  ‘la-langue’. L’objet mythique de nos descriptions.
En présupposé, on retient soit la préexistence de ‘l’homogène’ à la description des phénomènes, soit sa construction en tant que modalité normale de leur saisie.
>>> Par le jeu de cette construction « essentielle » et par celui de la différence, le contact est encore là.

Dans l'espace du sujet. Cette fois c’est l’activité des acteurs dans l’espace communicationnel (là où le langage se manifeste) qui est concernée : la variation langagière, la paraphrase, voire, les pratiques polyphoniques les plus diverses sont constitutives de ce qui se construit (langue et description de la langue).
En présupposé : on admet la nécessité de la manifestation de l’hétérogène et sa résolution (sa prise de sens) dans l’homogène de représentations potentiellement distinguées.
>>> Le contact est encore présent.


Thématique de la Journée


Tout cela est bien.
Mais ce n’est pas vraiment de tout cela dont nous allons parler!

Trois présentations vont se succéder.

Dans l’ordre, Salikoko Mufwene, qui est notre invité au titre de l’Institut Universitaire de France, va tout d’abord intervenir sur le thème «L’idéologie des langues pures et homogènes dans les regroupements démolinguistiques depuis le XIXe siècle ».
Je ne suis pas certain de ce qu’il va nous dire : il ne m’a pas proposé beaucoup plus qu’un titre !
Mais, si l’on veut bien mettre ce titre en rapport avec ses travaux connus sur les créoles, si l’on se souvient  de ses considérations sur ce que le « construit ‘créole’ » implique dans sa charge ‘idéologique’, alors on a peut-être déjà un début d’idée de la direction de la réflexion qu’il va conduire et de son intérêt pour une approche globale de la dynamique des langues.
Je rappelle ici que généralement, S. Mufwene se positionne avec une réflexion qui retient les leçons de la génétique des populations et qu’il donne sa place à la réflexion sur les phénomènes du contact et sur l’hétérogénéité linguistique et anthroposociale dans la transformation continue des langues.
C’est probablement là que nous l’attendons. Et qu’il nous attend.

La deuxième présentation est celle de Françoise Gadet, sur le thème « Le locuteur comme champ de bataille ». On ne présente plus Françoise Gadet et ses thèmes nous sont connus ! C’est toujours ça de gagné !
On s’attend toutefois –justement parce qu’on ne la présente plus – à ce qu’elle intervienne en mettant l’accent sur cette hétérogénéité constitutive de ce que  « avec des guillemets » on appellera « la langue », et à ce que qu’elle développe la problématique de la variabilité – également constitutive de la langue – dans  ses usages ordinaires.
On en attend une problématisation de ce qui, traditionnellement, s’articule autour des recherches sociolinguistiques et stylistiques et l’on sait que cela va vers une re-élaboration du cadre de ce type de recherche.


La troisième intervention enfin s’intitule « Dynamique des langues et contact : quelques réflexions pré-théoriques ».
Avec un tel parti pris de généralité, il s’agit justement d’éviter trop de « généralités » ! Ce qui l’on trouvera sous ce titre c’est une contribution à la réflexion sur l’importance de l’interprétation dans la reconnaissance des phénomènes et dans la construction des faits linguistiques. Il s’agira donc de s’intéresser à la fois aux procès qu’actualisent les locuteurs et les descripteurs et de pointer l’importance de leur place dans l’élaboration des représentations qu’ils manipulent.
En fin de parcours, quelques orientations seront suggérées qui concernent la question du contact appréhendée en rapport avec celle du existant entre les pluralités et les hétérogénéités manifestées dans les phénomènes et les homogénéités construites dans leurs représentations.


L’articulation des trois thèmes.

Ces approches se croisent en plusieurs points :
-    la saisie de l’hétérogénéité des langues et des communautés, et celle de l’instabilité des espaces linguistiques partagés par ces communautés, en tant que condition ‘ordinaire’ du fonctionnement linguistique et langagier ;

-    la reconnaissance de l’inanité d’un « rendu compte » des résultats de la dynamique des langues qui ne prendrait pas en considération l’articulation constitutive complexe des dimensions anthroposociales, langagières et linguistiques aux dimensions neuro-cognitives ordinaires avec lesquelles elles interagissent ;

-    la nécessité de lier l’analyse de ce qui se génère d’‘unité’ représentée, construite, instrumentalisée et probablement nécessaire à ce qui se constate de variabilité et d’hétérogénéité données tout autant comme nécessaire pour comprendre ce qui se transforme, se modifie, se scinde ou se conjoint des langues et du langage.


Finalement, c’est ce croisement qui donne sinon sa cohérence, du moins sa tonalité à cette « Journée » orientée vers la mise en  question de certaines de nos représentations ordinaires.