Présentation.
C’est sous le chapeau d’une Chaire intitulée « Dynamique du langage et contact des langues
» que nous nous rencontrons aujourd’hui. Or, avec un titre tel
que ‘dynamique du langage’, ou même de ‘dynamique des langues’, on peut
subsumer à peu près n’importe quoi. De fait, ces deux appellations
sont si larges qu’on peut se demander quel peut bien être leur intérêt.
Disons simplement que, pour moi, elles focalisent l’attention sur des phénomènes
saisis dans leur enracinement historique et dans leur conditionnement anthroposocial
plutôt que sur des phénomènes ou des représentations
pris comme des ‘états stables’ qu’il s’agirait de décrire hors
de toute contextualisation. Ce qui n’empêche évidemment pas
de s’intéresser à leurs propriétés structurales.
Quant à ‘écologie
des langues’, l’autre appellation que j’ai liée à
cette ‘Journée’, elle permet de focaliser l’attention sur cette contextualité
sans laquelle la dynamique des langues – bref, les langues – n’existeraient
sans doute pas.
Alors en préalable, je vais inventorier quelques lieux parmi les
plus connus où la dynamique des langues se manifeste. Je soulignerai
au passage ce qu’ils présupposent et je mentionnerai la pertinence
du ‘contact’ pour ce qui les concerne.
En voici quatre.
A travers l'espace. On réfère là à la
dialectologie, aux aires de convergence, à l’expansion des langues,
etc.
En présupposé, on admet la sous-jacence du contact des langues
comme condition stable de l’actualisation de ces phénomènes.
>>> Autrement dit (acteur ou résultat) le ‘contact’ est
en question et il se manifeste entre une multiplicité d’entités
posées comme ‘homogènes’.
Dans les espaces communautaires. Il s’agit de la fonctionnalisation
des langues, de la considération de leurs usages et des transformations
dépendantes : la dimension sociolinguistique est mise en avant.
En présupposé, on admet aussi la même multiplicité
que précédemment mais de plus on retient une autre dimension
: la ‘dimension de l’hétérogène’. Là, les processus
de diversification sont considérés comme normaux de la nature
interne de l’objet.
>>> Le contact est présent, intrinsèquement et constitutivement.
Dans les représentations « mythologiques ».
Ce qui est en jeu est souvent la question des origines ou des mythes d’émergence
qui retiennent l’idée de l’unicité et/ou de l’homogène,
etc. Mais cela ne concerne pas seulement les représentations sociales
et les pratiques des locuteurs ordinaires : cela concerne aussi les constructions
et les représentations des linguistes. Soit donc, par exemple, nos
représentations de la « réalité » ‘systémique’
et tangentiellement ‘unitaire’ de ‘la-langue’. L’objet mythique de nos
descriptions.
En présupposé, on retient soit la préexistence de ‘l’homogène’
à la description des phénomènes, soit sa construction
en tant que modalité normale de leur saisie.
>>> Par le jeu de cette construction « essentielle »
et par celui de la différence, le contact est encore là.
Dans l'espace du sujet. Cette fois c’est l’activité des acteurs
dans l’espace communicationnel (là où le langage se manifeste)
qui est concernée : la variation langagière, la paraphrase,
voire, les pratiques polyphoniques les plus diverses sont constitutives de
ce qui se construit (langue et description de la langue).
En présupposé : on admet la nécessité de la
manifestation de l’hétérogène et sa résolution
(sa prise de sens) dans l’homogène de représentations potentiellement
distinguées.
>>> Le contact est encore présent.
Thématique de la Journée
Tout cela est bien.
Mais ce n’est pas vraiment de tout cela dont nous allons parler!
Trois présentations vont se succéder.
Dans l’ordre, Salikoko Mufwene, qui est notre invité au titre
de l’Institut Universitaire de France, va tout d’abord intervenir sur le thème
«L’idéologie des langues pures et homogènes dans
les regroupements démolinguistiques depuis le XIXe siècle ».
Je ne suis pas certain de ce qu’il va nous dire : il ne m’a pas proposé
beaucoup plus qu’un titre !
Mais, si l’on veut bien mettre ce titre en rapport avec ses travaux connus
sur les créoles, si l’on se souvient de ses considérations
sur ce que le « construit ‘créole’ » implique dans sa charge
‘idéologique’, alors on a peut-être déjà un début
d’idée de la direction de la réflexion qu’il va conduire et
de son intérêt pour une approche globale de la dynamique des
langues.
Je rappelle ici que généralement, S. Mufwene se positionne
avec une réflexion qui retient les leçons de la génétique
des populations et qu’il donne sa place à la réflexion sur les
phénomènes du contact et sur l’hétérogénéité
linguistique et anthroposociale dans la transformation continue des langues.
C’est probablement là que nous l’attendons. Et qu’il nous attend.
La deuxième présentation est celle de Françoise
Gadet, sur le thème « Le locuteur comme champ de bataille
». On ne présente plus Françoise Gadet et ses
thèmes nous sont connus ! C’est toujours ça de gagné
!
On s’attend toutefois –justement parce qu’on ne la présente plus
– à ce qu’elle intervienne en mettant l’accent sur cette hétérogénéité
constitutive de ce que « avec des guillemets » on appellera
« la langue », et à ce que qu’elle développe la
problématique de la variabilité – également constitutive
de la langue – dans ses usages ordinaires.
On en attend une problématisation de ce qui, traditionnellement,
s’articule autour des recherches sociolinguistiques et stylistiques et l’on
sait que cela va vers une re-élaboration du cadre de ce type de recherche.
La troisième intervention enfin s’intitule « Dynamique
des langues et contact : quelques réflexions pré-théoriques
».
Avec un tel parti pris de généralité, il s’agit justement
d’éviter trop de « généralités » !
Ce qui l’on trouvera sous ce titre c’est une contribution à la réflexion
sur l’importance de l’interprétation dans la reconnaissance des phénomènes
et dans la construction des faits linguistiques. Il s’agira donc de s’intéresser
à la fois aux procès qu’actualisent les locuteurs et les descripteurs
et de pointer l’importance de leur place dans l’élaboration des représentations
qu’ils manipulent.
En fin de parcours, quelques orientations seront suggérées
qui concernent la question du contact appréhendée en rapport
avec celle du existant entre les pluralités et les hétérogénéités
manifestées dans les phénomènes et les homogénéités
construites dans leurs représentations.
L’articulation des trois thèmes.
Ces approches se croisent en plusieurs points :
- la saisie de l’hétérogénéité
des langues et des communautés, et celle de l’instabilité des
espaces linguistiques partagés par ces communautés, en tant
que condition ‘ordinaire’ du fonctionnement linguistique et langagier ;
- la reconnaissance de l’inanité d’un « rendu
compte » des résultats de la dynamique des langues qui ne prendrait
pas en considération l’articulation constitutive complexe des dimensions
anthroposociales, langagières et linguistiques aux dimensions neuro-cognitives
ordinaires avec lesquelles elles interagissent ;
- la nécessité de lier l’analyse de ce qui
se génère d’‘unité’ représentée, construite,
instrumentalisée et probablement nécessaire à ce qui
se constate de variabilité et d’hétérogénéité
données tout autant comme nécessaire pour comprendre ce qui
se transforme, se modifie, se scinde ou se conjoint des langues et du langage.
Finalement, c’est ce croisement qui donne sinon sa cohérence,
du moins sa tonalité à cette « Journée »
orientée vers la mise en question de certaines de nos représentations
ordinaires.