Ouverture et présentation
du Séminaire 2005
Dynamiques du langage, contact des langues : un croisement de pertinences.
7 avril 2005
Pourquoi ce séminaire ?
Parce que dans le domaine des sciences du langage, qui se situe de façon diffuse au cœur de la problématique générale des sciences anthroposociales, toute une série de questionnements sont en suspens - pour qui veut les reconnaître. Et cette série de questionnements concerne la dynamique du langage et les phénomènes de transformation des langues en rapport avec les usages qu'on en fait
- à travers leur fonctionnalisation dans le
discours, dans les échanges,
- à travers l'instauration continue de conventions et leur
renouvellement incessant,
- à travers leur utilitarisation
et leur appropriation.
Et ces questionnements ne sont pas simples pour deux raisons :
Parce qu'ils ne supposent pas a priori que la
langue est donnée, mais que la langue est construite.
De fait, elle est construite et donnée à la fois dans
un même mouvement.
Parce que de plus, ils ne supposent pas la référence
à la langue, même construite, autrement qu'à travers
la multiplicité indéfinie des formes actualisées
ou potentielles dont les avatars se transforment et/ou se stabilisent
en tant que représentations conjoncturellement prédéfinies,
définies, redéfinies… à l'infini dans l'historicité
d'une dynamique anthroposociale.
1) sur les pratiques de la description des phénomènes.
Là se pose la question du rapport au terrain :
de ce qui est proposé / donné à décrire / décrit,
de l'approche empirique donc.
Mais là se pose aussi la question de la construction des connaissances
dans ce domaine des recherches anthroposociales dont ce que l'on appelle
les sciences du langage, l'anthropologie, l'histoire, la sociologie et quelques
autres font partie.
De fait, entre l'identification des données d'un côté
et la réflexion sur l'élaboration des connaissances en rapport
de l'autre côté, il y a tout l'espace de la construction
des faits et de la construction théorique qui demande
à être « travaillé ».
Mais ni la construction des faits, ni l'élaboration théorique
n'ont de « sens » en l'absence d'une réflexion
qui porte sur les extrêmes : l'un qui est concerné par
l'identification pratique des données, l'autre qui est concerné
par la réflexion sur ce qui se construit dans le procès
descriptif / explicatif. Faute de cette réflexion on risque de
s'en tenir à un « réductionnisme de construction ».
2) sur les pertinences convoquées pour appréhender les phénomènes.
Et elles sont multiples. Se croisent les questionnements
des pratiques ethnographiques, des constructions anthropologiques, des descriptions
linguistiques, des études sociologiques, des approches historiques.
Les façons de rendre compte, les façons de décrire
ont fait dans certains domaines des sciences anthroposociales l'objet d'une
réflexion approfondie. C'est le cas en anthropologie, en sociologie,
en histoire, mais ça l'est beaucoup moins dans les « sciences
du langage » bien que, de J.-C. Milner à S. Auroux, pour
ne citer que deux noms, la réflexion soit manifeste.
Probablement que ce qui est subsumé sous la dénomination synthétique
de « sciences du langage » est trop large, trop disparate
trop diversifié. Des recherches sur la cognition à la description
de terrain, des phonologies aux sémantiques, des pragmatiques aux travaux
sur l'origine du langage, des reconstructions diachroniques aux approches
typologiques ou à l'analyse de discours on ne quitte pas les « sciences
du langage ». Il s'agit là d'un domaine qui regroupe des
espaces de connaissances sans beaucoup de rapports entre eux.
Bien sûr cela n'est pas complètement vrai : on peut toujours
trouver des rapports de nécessité entre sémantique et
phonologie, entre phonologie et recherches cognitives, entre questions sur
l'origine des langues et études diachroniques.
Mais cela ne donne pas pour autant une cohérence aux « sciences
du langage » car on peut trouver tout autant de liens de nécessité
entre toutes les sciences anthroposociales : historiques, anthropologiques,
sociologiques, géographiques, économiques.
3) sur la (re)construction d'un cadre général d'analyse.
Retenir la diversité des pertinences par rapport
à la saisie des phénomènes et à la préhension
d'un domaine empirique d'observables en rapport demande peut-être
une reconstruction dans l'opération de « rendre compte ».
On ne fonctionne pas sans cadre d'analyse. Et parallèlement problématiser,
relativiser des cadres d'analyses préexistants ne veut pas dire pour
autant qu'on les mets en question dans le champ de pertinence où ils
s'inscrivent. Ca ne veut pas non plus dire qu'il faut les remplacer par un
cadre de rechange qui serait plus général, plus englobant,
plus pertinent… car les pertinences sont croisées, sont multiples,
et ne sont probablement pas dénombrables.
La seule légitimité du cadre qui permet une construction des
connaissances est à la fois celle de sa relativité et
celle de son adéquation aux données. C'est ce qu'il
permet de construire comme solution satisfaisante et momentanée en
tant que « état de connaissance », description
des phénomènes, compréhension des pratiques, et autres
choses de ce genre, qui lui donne son sens
4) sur l' 'impliqué' et le 'précontraint'.
Si, par exemple, l'on tentait de poser un « schéma d'intelligibilité » du type
['X' signifie 'Y' parce que {Z, Z', Z'', …}]
pour représenter grossièrement la pratique analytique de qui « rend compte » d'un phénomène :
- ['X'] étant un phénomène énigmatique
dont on veut rendre compte,
- [signifie 'Y'] étant un énoncé rendant compte de
'X' dans le cadre de la théorie,
- [parce que {Z, Z', Z'', …}] étant l'ensemble des propositions,
raisonnements et procédures adéquates dans le cadre de la
théorie retenue pour valider l'énoncé ['X' signifie
'Y'],
on se rendrait compte que quelque chose d'essentiel manque, qui souligne la relativité de la nécessaire clôture théorique.
Ce quelque chose est double :
- d'une part une proposition d'existence concernant le
'X' : [il existe 'X'],
- d'autre part, un schéma justificatif du type [étant donné
{W, W', W'', …}] qui porte à la fois sur le [il existe 'X'] et sur
le ['X' signifie 'Y' parce que {Z, Z', Z'', …}], c'est-à-dire sur
l'ensemble du schéma d'intelligibilité posé.
Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut tout d'abord dire que tout « rendu compte » des phénomènes s'inscrit dans un schéma théorique mais que l'ensemble de la construction qui établit son intelligibilité est prédéterminé par un ensemble de présupposés qui permet de « faire sens » ; et d'autre part que cela s'insère dans un processus toujours contextuel, où les formes, représentations, énoncés élaborés en contexte sont dépendants de l'existant, en tant qu'il se manifeste comme une ressource déjà interprétée de connaissances disponibles pour aller « au-delà ».
C'est cela que j'entends lorsque je parle d'impliqué et de précontraint. En l'appliquant aux pratiques de recherche actives dans la construction en cours des connaissances du moment, ce qui donne par là même tout son sens au terme 'réfléchi'.
Mais on y reviendra !
Bien évidemment, pour tous ceux qui se sentent concernés par les problématiques dont il traite : collègues, chercheurs et enseignants-chercheurs ; post-doctorants et doctorants mais aussi étudiants de Master (pratiquement, en ce qui concerne les doctorants et étudiants, des procédures de validation seront bien évidemment activées).
De quoi partira-t-on ?
De trois sources de réflexion :
- Du langage qui, in fine, est l'objet le mieux
partagé par l'ensemble des acteurs des sciences anthroposociales (incluant
les sciences du langage) ; que soit comme outil de description ou comme
matériau d'étude. Mais du langage conçu dès le
départ dans son dynamisme. Lieu premier de clivage, où le contact,
la perception et la construction des frontières est un dynamisme fondateur.
- D'un certain nombre de propositions et de thèmes que j'ai eu préalablement
l'occasion d'aborder et qui ici auront à être « éprouvés »,
discutés, critiqués, éventuellement transformés
ou rejetés, etc. Qui auront aussi, lorsque leur arrière-plan
partagé par d'autres approches disciplinaires le demandera, à
être transversalement mis à l'épreuve.
- De la présentation, de la critique et de la mise en perspective
de toute une série de travaux élaborés dans d'autres
champs des sciences anthroposociales, mais qui prennent sens ici, en rapport
avec une réflexion générale sur la construction des
connaissances et sur ses aléas.
Ainsi que je l'ai déjà dit, le thème choisi n'est 'disciplinaire' qu'en apparence : c'est à la fois un vrai « thème » et un vrai « pré-texte ». Et se croisent ici :
- linguistique du contact, sociolinguistique, pragmatique,
analyse de discours, typologie, théories de l'évolution des
langues et du langage.
- anthropologie, sociologie interactionnelle, ethnométhodologie,
psychosociologie, théories des Gestalten, histoire.
- épistémologie des sciences 'anthroposociales'.
Il ne s'agit pas là d'une bibliographie, seulement de la mention de quelques ouvrages pertinents dans le champ, choisi sans aucun souci d'exhaustivité pour illustrer des arrière-plans intéressants.
Les bibliographies utiles seront fournies au fur et à mesure du développement du séminaire.
S. Auroux, 1998, La raison, le langage et les normes,
PUF, Paris.
J.-M. Berthelot, 1996, Les vertus de l'incertitude, PUF, Paris.
R. Boudon, L'art de se persuader …, 1990, Fayard. Paris.
D. Céfaï « L'enquête de terrain »,
2003, Bibliothèque du MAUSS.
M. Foucault, 1969, L'archéologie du savoir, Gallimard, Paris.
M. Foucault, 1971, L'ordre du discours, Gallimard, Paris.
Cl. Geertz, 1986, Savoir local, savoir global. Les lieux du savoir,
PUF, Paris.
L.-A. Gérard-Varet & J.-Cl. Passeron, 1995, Le modèle
et l'enquête (les usages du principe de rationalité dans les
sciences sociales), Editions de l'EHESS.
J.-Cl. Passeron, 1990, Le raisonnement sociologique, Nathan, Paris.
P. Guillaume, 1937, La psychologie de la forme, Flammarion, Paris.
R. Nicolaï, 2000, La traversée de l'empirique, Ophrys, Paris.
R. Nicolaï (différents textes disponibles sur le site www.unice.fr/ChaireIUF-Nicolai)
V. Rosenthal & Y.-M. Visetti, 2003, Köhler, Les Belles Lettres,
Paris.
A. Schütz, [trad 1987] Le chercheur et le quotidien, Klincksieck,
Paris.
P. Veyne, 19…, Comment on écrit l'histoire.
Revues :
Enquête n °1, 1995, Les terrains de l'enquête
Enquête n °3, 1996 (la question de l'interprétation et
de la surinterprétation)
Enquête n °6, 1998 (Le programme fort (Strong program :
David Bloor, Barry Barnes, Bruno Latour) et la description dense (Thick
description : Clifford Geertz).
Revue du MAUSS, N° 17 « Chassez le naturel… »
Ecologisme, naturalisme et constructivisme, 2001.
La querelle du déterminisme, 1990, Le débat, Gallimard,
Paris
L'enquête sur les catégories, 1994, Raisons pratiques,
Paris
Etc.