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La question de la dynamique du langage et du contact des langues

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Le contact : recentrement.

Cadrage.

Le ‘contact’ : recentrement

Les études sur le contact des langues au sens large, qui incluent à la fois les phénomènes d’hybridation, d’évolution «non-linéaire», d’aires de convergence et d’emprunt, sont  longtemps restées en retrait. Or les travaux actuels sur les mélanges de langues, les pidgins, les créoles, les situations plurilingues stables ou évolutives (changement ou maintenance de langues, etc.) ont montré la nécessité d'étudier ces questions autrement que de façon marginale.

Si on peut reconnaître qu’elles n’ont jamais été occultées c’est cependant par le biais de deux stratégies qui relèvent de ce que l’on peut appeler la ‘politique du «cordon sanitaire»’ qu’elles ont le plus souvent été abordées :

De telles procédures peuvent rendre compte des faits et enrichir la théorie car la description s’accompagne souvent d’une élaboration où, partant d’une description contextualisée on aboutit à des ‘concepts’ (cf. pidgin, pidginisation, processus de pidginisation, etc.) : il convient donc de les considérer comme des étapes normales du processus d’élaboration des connaissances. Mais elles relèvent aussi de ce que l'on peut appeler la ‘pratique du « patch »’ au coup par coup l’on procède à la modification d’un cadre théorique afin de rendre compte de phénomènes nouveaux sans trop réfléchir sur les pertinences en jeu, sans se demander si ces modifications n’entraînent pas le masquage de quelque aspect important du fonctionnement des langues dont l’oblitération aurait des effets non souhaités sur les connaissances construites.

Il importe donc que de telles tentatives d’explication soient à un moment donné confrontées à des re-élaborations théoriques qui sont encore pour l’essentiel à dégager, qui questionnent l’ensemble des pertinences (linguistiques, historiques, anthropologiques et cognitives) en jeu et qui de ce fait sont susceptibles d’orienter le questionnement sur le «contact» vers une étude générale de l’évolution et de la dynamique des langues et du langage.

Il s’agit ici d’avancer dans cette direction, ce qui revient à la fois à refuser de se limiter à la politique du cordon sanitaire et à la pratique du «patch», et à intégrer les conditions théoriques de leur dépassement.

Pour cela on privilégiera un décentrement de la problématique dont la portée est grande car il transforme l’horizon de la recherche et appelle à cette réflexion collective dont nous sentons la nécessité.


Cadrage.

Fondées sur des constats élémentaires les considérations qui suivent illustreront ce que l’on peut entendre par décentrement.

Le pluricodisme ordinaire.

Il y a ‘la langue’ comme objet (idéologique, structural, symbolique, etc.). Mais au-delà de ces représentations l’on partira d’un constat pratique : parmi les données «ordinaires» de la communication normale il y a la manifestation du plurilinguisme et/ou du pluridialectalisme; à tout le moins, il y a l’actualisation d’une multiplicité de codes, constitutive du fonctionnement linguistique et langagier lui-même. On constate dans tout échange que la gestion plurielle des codes est manifeste, même lorsque, dans des situations limites, l’on a affaire à des groupes dits monolingues qui stigmatisent (explicitement ou non) la différence et l’écart normatif par rapport aux usages du groupe.

A partir de ce constat l’on retiendra comme composante première d’un projet explicatif de tout usage linguistique et langagier, cette exigence initiale de considérer la multiplicité constitutive des codes disponibles. Qu’ils appartiennent à des «langues» différentes ou  non n’est pas le plus important, le plus important est sans doute la reconnaissance de leur disponibilité et de la capacité que nous avons à les élaborer. La conclusion, c’est que c’est cette capacité de re-élaboration continue des codes elle-même, dans un espace discursif qui l’autorise et lui permet de «signifier», qui sert de cadre à la dynamique de constitution et de transformation matérielle des langues qui y prennent place.

Le continuum linguistico-langagier.

On retiendra aussi une autre évidence : que l’évolution des ‘langues’ dans sa matérialité résulte de leur usage ordinaire dans la communication (et des procès particuliers dans lequel cet usage est contraint) – ce qui n’est pas très original. L’on s’en justifiera cependant pour remarquer qu’il n’y a pas de coupure, autre que celle d’un artefact imposé par un choix théorique et une pratique méthodologique entre la dynamique des phénomènes langagiers et celle des phénomènes linguistiques. Or l’imposition de cet artefact structure la perception des phénomènes et la saisie des dynamiques qui les articulent, en conséquence il n’est pas le meilleur atout pour conduire à une bonne compréhension des dynamiques propres à la fois aux faits de langues et aux faits de discours, à l’émergence de la variété des codes et de la transformation des langues.

La condition d’hétérogénéité.

Il est de la nature des entités communautaires à l’intérieur desquelles les dynamiques langagières s’actualisent et les transformations linguistiques se manifestent de n’avoir aucun caractère d’homogénéité : elles seront posées comme non-homogènes, comme espaces de contact et leurs caractéristiques propres prédéterminent – bien évidemment – les dynamiques communicationnelles. Il s’ensuit que le premier objet pratique de l’étude n’est pas la structure linguistique dans son homogénéité qui est un ‘construit’ mais l’échange et le contact des langues et des variétés manifesté dans des tissus communautaires à travers le jeu des répertoires disponibles. En conséquence, on retiendra une condition générale d’hétérogénéité comme principe élémentaire du fonctionnement linguistique et langagier. L’hétérogénéité est ainsi donnée à la fois comme propriété du tissu communautaire et comme propriété naturelle du fonctionnement linguistiquexindent.

L’horizon discursif

Quelle que soit la nature de l’échange toute parole s’inscrit dans une organisation discursive qui la marque et la sanctionne. Il n’y a pas de langage sans discursivité et il n’y a pas de discursivité sans référence historique, sans contrainte et sans construction d’«histoire». Rapporté à l’approche ici présentée la référence «discursive » est importante en ce qu’elle n’est pas déterminée par la clôture d’une quelconque langue mais qu’elle relève sans ambiguïté de la sanction collective ; elle pointe un espace de communication non nécessairement isomorphe à l’espace d’emploi d’une langue donnée. Soit donc un cadre général et construit d’échanges multiples avec sa normativité, et l’on supposera que les habitus générés dans ce cadre ont une action contraignante sur la forme des langues.

Ce seront les perspectives théoriques ainsi recentrées autour de ces quatre points (pluricodisme ordinaire, continuum linguistico-langagier, condition d’hétérogénéité, horizon discursif) et le champ corrélatif d'applications empiriques et de modélisations potentielles ainsi dégagé autour des phénomènes du contact qui sera privilégié comme objet de recherche. Par ce recentrement la question du ‘contact’ sort de sa marginalité et investit le champ entier de la réflexion sur la dynamique des langues et du langage.
Elle devient centrale et il y a lieu de l’appréhender dans son évidence au centre même du fonctionnement des langues. L’on se situe ainsi tout simplement dans le cadre d’une reconsidération globale du domaine linguistique et langagier après avoir convoqué quelques faits laissés pour compte et tiré les conséquences de leur considération.