LES MODALITÉS DU CONTACT FRANÇAIS/ANGLAIS DANS UN CORPUS CHIAC :
MÉTISSAGE ET ALTERNANCE CODIQUE.
Marie-Ève Perrot
Université d'Orléans
Cet
article s'appuie sur une enquête effectuée en 1991 à Moncton, dans la région
Sud-Est du Nouveau-Brunswick (Canada). Dans cette province officiellement
bilingue depuis 1969, Moncton, centre urbain souvent considéré comme la
capitale culturelle des Acadiens, compte 35% de francophones, ce qui constitue
dans le contexte canadien une minorité relativement importante.
Le
chiac de Moncton est un parler caractérisé par l'hétérogénéité linguistique.
S'il n'est en aucun cas réductible à un "parler jeune", c'est
néanmoins chez les adolescents qu'il se manifeste sous sa forme la plus
avancée. Pour cette raison, mon corpus a été constitué dans une école
secondaire de langue française auprès d'élèves âgés de 16 à 19 ans. Recueillies
dans des conditions visant à favoriser le registre le plus spontané possible[1], ces données révèlent un continuum
aux extrémités contrastées, du plus au moins anglicisé. Mais par-delà la
variation, on observe dans toutes les productions discursives la coexistence
d'énoncés hétérogènes français/anglais et d'énoncés homogènes français ou
anglais — ces derniers dans une bien moindre mesure, nous le verrons.
Je
montrerai pourquoi la notion d'alternance codique me paraît inadéquate pour
appréhender gobalement le corpus. En revanche, l'analyse permet de mettre en
évidence un trait original que je présenterai sous forme d'hypothèse :
dans certains cas particuliers, il serait pertinent de parler d'alternance non
pas entre le français et l'anglais, mais entre un système issu du métissage de
ces deux langues, et l'anglais.
Les
énoncés hétérogènes français/anglais constituent la caractéristique la plus
saillante du corpus. On observe dans ces énoncés l'appropriation, selon des
modalités bien précises, d'éléments anglais récurrents au sein de ce que
j'appelle la "matrice" acadienne, terme qui demande à être clarifié
et justifié. Dans le cas du chiac, ce terme ne sous-entend aucunement que la
morphologie et/ou la syntaxe soi(en)t en tout point celle(s) du français, ni
qu'à l'intérieur du cadre structurel français on relève uniquement des
séquences ou îlots plus ou moins étendus composés d'éléments anglais conservant
les traits morpho-syntaxiques de cette langue. Il ne sous-entend pas non plus
que certains marqueurs anglais susceptibles d'apporter de réels bouleversements
structurels ne puissent être insérés par endroits. En effet, les éléments
anglais seront selon leur nature adaptés ou non aux règles du français, ou
feront l'objet de restructurations plus ou moins profondes.
Les
restructurations, intervenant à de multiples niveaux, impliquent la
perméabilité réciproque des langues en présence. Mais surtout, ce qui fonde la
spécificité de ce corpus, c'est le caractère régulier et prévisible des
différents phénomènes que l'on peut y observer : tant au plan individuel
(répétition dans le discours d'un même informateur) qu'au plan collectif
(diffusion dans l'ensemble du corpus), les éléments anglais sont pour la
plupart récurrents et leurs modes d'appropriation respectifs fixes. On aboutit
ainsi à la création d'un système obéissant à des règles qui lui sont propres.
Le
terme de "matrice" peut dès lors sembler paradoxal, mais trois types
de critères permettent de le conserver. Suivant sur ce point Myers-Scotton
(1993), je ferai tout d'abord appel à un critère quantitatif, empiriquement
vérifiable à deux niveaux différents : si l'on considère un enregistrement
dans son intégralité, le français apparaît d'emblée comme la langue
quantitativement dominante du discours, même pour les locuteurs se situant à
l'extrémité la plus anglicisée du continuum. Cela n'empêche pas que dans le
discours de ces locuteurs l'anglais puisse être la composante dominante de
brefs passages sporadiques contenant plusieurs énoncés homogènes dans cette
langue ; dans un énoncé linguistiquement hétérogène, le nombre de
morphèmes français est généralement supérieur à celui des morphèmes anglais. Ici
encore, le hasard des configurations rend possibles des contre-exemples
ponctuels.
Deuxièmement,
dans un énoncé hétérogène le français joue un rôle structurel majoritaire et
les repères morpho-syntaxiques fondamentaux de la prédication restent ceux du
français.
Au
plan culturel enfin, une analyse des commentaires spontanés sur la/les
langue(s) dans le corpus montre que les informateurs perçoivent leur parler
comme une variété de français ("mon/notre français") véhiculant une
identité francophone (et non "bilingue"), et ce quel que soit le
degré d'anglicisation du discours.
L'interpénétration
des langues en présence et le caractère prévisible des phénomènes de contact me
semblent en revanche rendre la notion d'alternance codique inadéquate pour
décrire le corpus[2] : il s'agit d'un réel métissage présentant un
remarquable degré de stabilisation. À titre d'illustration rapide, considérons
l'énoncé suivant, fictif mais parfaitement recevable selon les règles du
système[3] :
je vais back watch-er ces funny movieS
(je vais à nouveau regarder ces films
drôles)
Dans le SV, le verbe est morphologiquement adapté à
la matrice. Dans le SN, l'adjectif est antéposé suivant le fonctionnement de
l'anglais (il le serait également devant un substantif français ("des funny films") ; le substantif
est précédé d'un déterminant français, mais le s du pluriel est prononcé. Enfin, ce qui était à l'origine une
particule adverbiale au sens restreint, postposée à un nombre limité de verbes
anglais, a fait l'objet d'une restructuration complexe : sa position a
changé, son sens et sa portée se sont élargis.
Je
présenterai dans un premier temps les différents types d'éléments anglais
répondant au critère de fréquence et contribuant ainsi à la stabilisation du
métissage[4]. Suivant ce même critère, ces
éléments seront qualifiés d'emprunts, indépendamment de leur nature lexicale ou
grammaticale, simple (mot unique) ou complexe (deux mots ou plus) et de leur
mode d'appropriation dans la matrice (adaptation, non adaptation,
restructuration).
Les
emprunts simples ou isolés (qui peuvent être fortuitement juxtaposés dans le
déroulement du discours) sont ceux que l'on rencontre le plus régulièrement. On
relève tout d'abord trois types d'emprunts largement attestés dans d'autres
corpus où l'anglais constitue la langue source : des lexèmes (substantifs,
adjectifs et verbes), des conjonctions et des ponctuants du discours. Je
m'attarderai davantage sur des emprunts plus atypiques, qu'il est possible de
classer de la façon suivante[5] :
— Des adverbes de nature très
diverse :
j'ai pas ma license yet / tu aimes still ielle ? / as-tu ever
lu le magazine Elle ? / c'est pas that
important / j'ai right aimé ça / je
pourrai probably aller moi itou / fais tes leçons first / i étiont half
endormis
— Des prépositions et postpositions :
i allont over un cliff / i a timbé
off la cliff / tu peux pas parler about
du stuff qui va on dans ta vie
— Any/every/no et leurs composés (déterminants, pronoms ou
adverbes) :
j'écoute any sorte de musique / je peux faire anything que je veux / nobody
fait ça / ça vient
plate everywhere
— Des formes en wh-ever (pronoms, conjonctions, adverbes) :
whoever qui
travaille à MacDonald's / whenever je
watch ça / j'ai pas le temps whatsoever
— Enfin, dans le domaine adjectival
au sens large, les ordinaux first, last,
next et les marqueurs own et whole :
la next journée / la last
année / la first année
ton own argent / je hang out
toute ma whole été
Dans certains de ces domaines, on
relève des emprunts impliquant cette fois deux unités liées : des noms
composés, des verbes à particule adverbiale (tak-er off, figur-er out…), des conjonctions complexes (in case (que), as long (que)…), mais aussi, dans le domaine
adverbial :
— différentes locutions exprimant le
degré :
j'écoute pas that much musique française / j'aime pretty much tout except
la country / c'est un pays qu'est so much pauvre / ça m'intéresse right out
— une locution exprimant
l'aspect :
je joue jamais au nintendo any more
Enfin, dans le domaine adjectival,
on note dans certains contextes particuliers et derrière un adjectif anglais
uniquement la présence de one(S)
support de qualificatif :
tu peux en avoir des nice oneS pis des mean oneS
Ce dernier énoncé constitue un
exemple clair de non-adaptation aux règles de la matrice. Mais pour les raisons
évoquées plus haut, plutôt que de considérer ces îlots ou séquences comme des
cas d'alternance intra-phrastique, j'y verrais l'appropriation en bloc d'un
mode opératoire nouveau, l'emprunt de l'ensemble d'une structure.
Pour
montrer l'extrême diversité des emprunts, je reprendrai maintenant une question
abordée par Flikeid (1989). Partant du constat que "la polarité entre mot
unique intégré et séquence conservant syntaxe et morphologie anglaises proposée
par Poplack et al. (1988) pour
distinguer emprunt et alternance codique laisse de côté un certain nombre de
phénomènes" (p. 216), Flikeid propose d'examiner des séquences anglaises
dans son corpus acadien de la Nouvelle-Écosse, en mettant au premier plan le
critère de fréquence. Elle distingue ainsi "les séquences qu'on retrouve
sous la même forme à plusieurs reprises et celles qui sont uniques". Elle
établit également une seconde distinction, plus intuitive que la
première : "Parmi les séquences qui ne se présentent qu'une seule
fois, il est tentant de distinguer entre celles qu'il serait peu probable de
retrouver de nouveau sous la même forme et celles qui pourraient
potentiellement se reproduire". L'article montre que les séquences
prévisibles contribuent à la formation d'"un continuum allant de l'expression
idiomatique entièrement en anglais, en passant par les étapes intermédiaires,
au calque proprement dit" (p. 219). Un tel continuum se retrouve dans le
corpus chiac. J'y relève[6] :
— Des expressions
liées à la modalisation du dire et/ou à la clarification de la relation
intersubjective : I
mean, you know, believe it or not, as a matter of fact, in other words.
Il s'agit principalement de groupes
périphériques encadrant les unités significatives du discours, mais on peut
inclure dans cette catégorie des séquences faisant partie intégrante de
l'énoncé, mettant en place à l'initiale une représentation subjective ou un
appel direct à l'interlocuteur :
I guess c'est vraiment beau /
I hope que mon père a call-é ma mère
how about je te demande la first one ? / how come toi tu les laves pas ?
— Des
syntagmes à fonctions adverbiales diverses, principalement liés à la
temporalité et la localisation spatiale, qui peuvent être relativement
autonomes ou au contraire occuper une place bien précise au sein de l'énoncé : so far, right
now, up to now, at first, all over,
all out, in the middle
La plupart de ces expressions se
retrouvent dans plusieurs entretiens. Pour les autres, il semble possible
d'avancer, comme le fait Flikeid, qu'elles seraient "susceptibles de se répéter".
C'est avant tout la très grande cohérence de l'ensemble et la possibilité de
délimiter clairement différentes catégories qui autorise cette intuition. Ainsi
par exemple, parmi les locutions adverbiales liées à la temporalité, on compte
dix occurrences de once in a while
réparties sur plusieurs entretiens et une occurrence respectivement de all the time, most of the time, half the
time. Mais la cohérence sous-tendant le recours à ces trois expressions est
évidente.
Les tournures suivantes permettent
de poursuivre l'illustration du continuum :
— Verbe
anglais (adapté) suivi d'éléments anglais de diverse nature : fall-er in love, keep-er in shape, driv-er up the wall,
mak-er sure
— Verbe français
("être" principalement) suivi d'éléments anglais de diverse
nature :être into it/ up to
date / worth it / in shape / out of shape ; garder in shape.
— Expressions idiomatiques diverses
partiellement adaptées ou calquées :
être dans une good / bad mood, être / se mettre dans la mood ; beat-er around la bush, cut-er down ses bad habitS, aller sur une search, être une laugh.
Tous ces exemples prouvent
l'existence d'un processus d'appropriation d'expressions idiomatiques très
répandu. Comme l'explique Flikeid et comme en témoigne la variation ci-dessous,
les expressions peuvent se retrouver à différents degrés d'intégration chez le
même locuteur ou dans l'ensemble du corpus :
there's no way / y a no way / y a pas de way
in a way / d'une way (on relève aussi le calque intégral "d'une façon")
all the way / toute
la way
La cohérence globale est renforcée
par le fait que le substantif way est
un emprunt ancien très largement diffusé.
Les éléments recensés jusqu'ici
contribuent à la création d'une variété distincte perceptible tout au long du
corpus. Il est frappant que dans la situation d'enquête proposée, les
informateurs (quelles que soient par ailleurs la nature et l'étendue de leur
répertoire linguistique) adoptent spontanément ce parler métissé, mettant ainsi
en exergue ce qui constitue le vernaculaire du groupe de pairs. La convergence
n'est rompue qu'à deux occasions, à l'extrémité la moins anglicisée du
continuum, par deux informateurs parlant un français quasi-exempt d'anglais.
Je
montrerai maintenant un phénomène radicalement différent, marginal si l'on
considère l'ensemble du corpus, non prévisible dans sa forme et individuel.
Dans l'extrait ci-dessous, les éléments anglais non soulignés sont tous des
emprunts récurrents. Ils se distinguent, par leur caractère éminemment
prévisible, des parties soulignées :
L1 je gradue cette année pis je care pas quoi-ce que anybody dit / whoever qui-ce qui peut graduer dans trois ans est pas brûlé
L2 yeah des prepS veniont à moi des fois hein / pis
i disiont heu / that's 'cause you got
long hair like you have to wear your stupid ripped up jeans pis heu / your jean jacket there with the patches
on it
L1 yeah well whatever / i pourront dire quoi-ce qu'i voulont moi je care pas / moi je le prends pas moi / moi y a personne qui me dit ça because je crois qu'i avont tous peur de moi or something / je suis pas scary
L2 non moi j'avais / moi j'étais fier de mon image là my image / j'étais pas
L1 yeah / même moi je care pas quoi-ce que le monde pense de moi
L2 but moi comme
j'ai juste coupé mes cheveux cause
j'avais une job / I need money
L1 moi je m'ai coupé les cheveux avant hier là but / ça paraît pas
L2 i étiont probably pas mal longs hein
L1 yeah i étiont / they're getting there / i allont back pousser
Le syntagme nominal et les énoncés
complets soulignés peuvent à mon sens être considérés comme des cas
d'alternance codique, à condition de bien voir que le locuteur alterne entre
une variété déjà caractérisée par le métissage, et l'anglais.
Il
est possible de dégager sur le continuum un seuil à partir duquel l'alternance
devient un procédé suffisamment récurrent pour être significatif : sur une
vingtaine d'entretiens, seuls les 5 de l'extrémité la plus anglicisée sont
concernés. Dans les zones d'anglicisation moyenne à faible, on ne relève que de
rares alternances, principalement sous la forme de brefs énoncés complets et
dans des contextes pragmatiques peu diversifiés : citation au sens strict
(paroles rapportées) ou large (références culturelles, formules toutes faites),
répétition ou reformulation à valeur emphatique comme dans l'exemple
suivant :
- i est assez gros / ben / comme / grand là pis fort / i levait un fridge / pis i dansait avec le fridge / je joke pas / I'm not joking
Dans d'autres cas, l'alternance
intervient après un faux-départ souligné par une pause intonative. Cette
interruption semble indiquer une pierre d'achoppement dans le discours.
L'énoncé n'aboutissant pas, l'informateur a recours à la formulation
anglaise :
- i croyont que pasqu'i sont (malades) mentals qu'i / they don't have any feelings /
but / i avont des feelingS / i avont / they have feelings like human beings
De façon significative, ces
entretiens comptent aussi des cas de faux-départs en anglais, suivis d'un
retour après une pause à un énoncé français ou métissé :
- moi j'ai pas voyagé that much / j'ai été à Floride that's about it / I know my way / je connais ma way around Floride.
Dans la zone d'anglicisation forte,
l'alternance inter-phrastique reste largement dominante mais on relève quelques
cas d'alternance intra-phrastique tels que :
- c'est peut-être ben a
coincidence
- pis God is gonna bring tout le monde en haut
Cette diversification des contextes
syntaxiques s'accompagne d'une diversification des contextes pragmatiques qui
peut rendre difficile — voire hasardeuse — l'assignation d'une fonction claire
aux segments alternés. L'analyse détaillée de l'alternance dans ces entretiens
très anglicisés reste à faire, mais il apparaît d'ores et déjà que les
informateurs ne font pas tous le même usage de l'alternance.
De
plus, une attention portée au comportement de chacun des informateurs à
l'intérieur des 5 groupes en question révèle des attitudes de convergence, mais
aussi de divergence. Dans 3 de ces groupes, on s'aperçoit en effet que l'un des
deux informateurs n'a pas recours à ce procédé. L'extrait suivant constitue un
exemple de convergence en ce qui concerne le métissage des langues, mais de
divergence en ce qui concerne le passage à l'anglais proprement dit :
L1 moi je cartoon
/... / but looking at the Road Runner thing it doesn't
look too / as if I can draw
L2 non tu dessines ben
L1 I took art this
year
L2 hein
L1 j'ai pris art cette année / you should take it
L2 as-tu pris / c'est-tu toi qu'as fait les beaux dessins qu'est sur les walls là quand tu vas au secrétariat
L1 ouais / pas tous though
Si
l'on considère les comportements langagiers dans l'ensemble du corpus, on
obtient donc la gradation suivante :
— divergence, refus du métissage par
l'un des informateurs[7].
— convergence, adoption commune du
métissage.
— divergence, refus de l'alternance
par l'un des informateurs.
— convergence, adoption commune de
ce procédé.
À ce dernier stade (qui ne concerne
que deux enregistrements) on a parfois l'impression que la situation d'enquête
constitue un frein à l'usage sinon exclusif, du moins plus prolongé de
l'anglais. Deux informateurs en particulier ont recours à l'anglais lors
d'incessants apartés et digressions par rapport aux questions posées (récits
d'anecdotes personnelles, évocation de souvenirs et projets communs,
plaisanteries diverses) et semblent révéler ainsi un rapport fondamentalement
positif, souvent ludique, à cette langue. Cet entretien se distingue également
par de très fréquentes "traductions" d'un énoncé anglais par un
énoncé français ou métissé, aussi bien que l'inverse. Contrairement aux
répétitions ou reformulations relevées dans la partie moins anglicisée du
continuum, ces doublets ne semblent pas motivés par l'emphase :
L1- demande la question / moi faut je réponde aussi
L2- no it's better
when I read / c'est mieux quand-ce que je lis / ok
give me it
L1- [y a-t-il assez de choses à faire à Moncton] do you think / crois-tu
L2- I don't know / quoi-ce tu veux dire par des choses à faire
L1- well c'est ça qu'est la question/ des choses à faire / something to do
Nous
touchons ici aux limites d'une enquête qui devra être élargie si l'on veut
mieux cerner toute une gamme de comportements langagiers. Ces observations
confirment néanmoins que c'est bien la variété métissée décrite précédemment
qui constitue le code non marqué du groupe. À l’inverse, l'usage d'un français
exempt de mots anglais mais aussi, à l'autre extrême, le recours systématique
au procédé de l'alternance vers l'anglais (et a fortiori le recours à l'anglais exclusivement) feront figure de
comportements marqués.
Cette
étude a permis de dégager deux caractéristiques du corpus, l'une fondamentale
et non marquée (le métissage français/anglais), l'autre marginale et marquée
(l'alternance entre un système caractérisé par ce métissage, et l'anglais).
Cette distinction me semble poser le problème de la définition linguistique du
chiac. Comme le joual montréalais, le parler possède un nom. La dénomination
atteste bien la reconnaissance de l'existence d'une variété distincte dans le
paysage linguistique de Moncton. Mais peut-on parler d'alternance
"chiac"/anglais et réserver alors l'appellation "chiac" à
la variété métissée, ou doit-on au contraire considérer l'alternance comme
l'une des deux manifestations principales du contact des langues caractérisant
globalement le chiac ?
Bibliographie
FLIKEID
K. (1989). "Moitié anglais, moitié français' ? Emprunts et alternance
de langues dans les communautés acadiennes de la Nouvelle Ecosse", Revue québécoise de linguistique :
Grammaires en contact, Vol.14, n° 1.
GARDNER-CHLOROS
P. (1995). "Code-switching in community, regional and national
repertoires : the myth of the discreteness of linguistic systems", One Speaker, Two Languages.
Cross-disciplinary Perspectives on Code-switching, Cambridge :
University Press.
MÉLANSON
N., DESHAIES D. et POIRIER C. (1996). "Problématique de l'emprunt et de
l'alternance lexicale chez des francophones de Sudbury, Ontario", Actes du
colloque Les Acadiens et leur(s)
langue(s) : quand le français est minoritaire ; CRLA, Éditions
d'Acadie.
MILROY
L. et MUYSKEN P. eds. (1995). One
Speaker, Two Languages. Cross-disciplinary Perspectives on Code-switching.
Cambridge University Press.
MYERS-SCOTTON
C. (1993). Duelling Languages.
Grammatical Structure in Code-switching, Oxford : Clarendon Press.
PERROT
M.-É. (1995). Aspects fondamentaux du
métissage français / anglais dans le chiac de Moncton (Nouveau-Brunswick,
Canada), Thèse pour le doctorat, sous la direction de L. Danon-Boileau et
S. Lafage, Université de la Sorbonne Nouvelle Paris III.
POPLACK
S., SANKOFF D. et MILLER C. (1988). "The Social Correlates and Linguistic
Processes of Lexical Borrowing and Assimilation", Linguistics, 26.
[1] Les élèves, par groupes de deux et
en l'absence de l'enquêteur, répondaient à un questionnaire écrit sur la vie
quotidienne des jeunes à Moncton.
[2] Mes réserves rejoignent celles de
Gardner-Chloros (1995), pour qui cette notion implique un choix binaire, la
juxtaposition de deux codes bien délimités et aux frontières étanches.
[3] Dans les exemples, les italiques
indiquent une prononciation anglaise de l'emprunt ; S ("des movieS"
vs "des movies") indique
que le morphème anglais du pluriel est prononcé. L1 et L2 désignent les
informateurs.
[4] Je ne voudrais pas donner l'illusion
d'une stabilisation complète. Un nombre important d'emprunts ne possèdent pas
d'équivalents français dans le corpus, mais d'autres sont variables. Certains
éléments n'apparaissant qu'une fois peuvent aussi bien être des emprunts
spontanés que des emprunts dont la diffusion est masquée par les limites mêmes
du corpus. Enfin, le chiac évoluant très rapidement, d'autres éléments encore
apparaissant uniquement dans les entretiens les plus anglicisés peuvent être
les indices d'un changement en cours. Mais la variation est quasi-nulle en ce
qui concerne non plus les éléments mais leurs modes d'appropriation : au
pire, il n'est possible de dégager que des tendances majoritaires attestant une
stabilisation en cours.
[5] Les listes qui suivent ne sont pas
exhaustives. Elles visent à donner une représentation la plus claire possible
de la façon dont fonctionne le système.
[6] Les exemples fournis par les deux
corpus peuvent se recouper, mais pas systématiquement. Ces ressemblances et
divergences font l'objet d'un travail comparatif commun en cours incluant les
emprunts isolés recensés précédemment. S'appuyant également sur l'article de
Flikeid, Mélanson, Deshaies et Poirier (1996) ont montré que le phénomène était
attesté dans le français ontarien de Sudbury.
[7] Je n'ai pas recueilli
d'enregistrement dans lequel les deux informateurs parlent un français exempt
d'anglais.