PARTAGE DE TERRITOIRE : COEXISTENCE DU FRANÇAIS ET DES AUTRES
LANGUES LOCALES DANS UNE VILLE IVOIRIENNE
Cécile Van den Avenne
Université
de Provence
En
Côte d'Ivoire coexistent une soixantaine de langues sans qu'aucune ne domine.
Elle fait partie de ces "états linguistiquement hétérogènes sans langue
dominante au niveau national" d'Afrique de l'Ouest (Manessy, 1994 : 17).
La situation du français y est, de ce fait, privilégiée.
La
plupart des études sur le français en Côte d'Ivoire portent sur Abidjan et la
variété populaire locale de français. Je propose ici une autre approche, par
une "petite ville de brousse". Le but de cette étude est, à travers
une approche sémio-linguistique de cette ville (dont l'idée initiale doit
beaucoup à l'étude de L.J. Calvet sur Dakar et Belleville), de donner, en
quelque sorte, à voir une image de la
coexistence du français et des langues locales en Côte d'Ivoire, et notamment
de réfléchir sur le "complexus diglossique" (Canut, 1995)
français/dioula/langues locales propre à la Côte d'Ivoire.
Plutôt
que celui de diglossie, ou de diglossies
enchâssées (Calvet), je préfère en effet pour qualifier la
situation de la Côte d'Ivoire reprendre à Cécile Canut le terme de complexus diglossique parce qu'il rend
mieux compte des diverses tensions qui existent entre les différentes langues
parlées en Côte d'Ivoire. En effet, selon les fonctions linguistiques remplies, les jeux entre ces langues ne
seront pas les mêmes.
Si
le dioula sert de langue d'intégration en
ville pour une population de culture musulmane indigène (notamment pour
certains Sénoufo) et allogène, pour le restant de la population c'est le
français "ivoirien" qui remplit ce rôle. Par ailleurs, le français
"ivoirien" entre dans un rapport diglossique avec le français "standard"
enseigné à l'école. De plus, entre la
variété populaire de français (F.P.I.) et le français standard, il existe un
continuum qui efface la fracture dichotomique qu'implique la notion de
diglossie. D'autre part, si l'on examine quelles langues remplissent une fonction religieuse, on peut remarquer
une co-existence du français et de l'arabe dans ce domaine, le premier lié à la
religion chrétienne, le second à la religion musulmane. Ainsi on verra
co-exister (sans "enchâssement") deux diglossies : une première
dioula/arabe, une deuxième langues locales/français.
Mon
étude, qui est le résultat d'une enquête menée durant l'année 1994-1995, dans
le cadre d'un DEA sur le français ivoirien, tâche de rendre compte de cette
situation complexe.
La
ville de Man, données géographiques et linguistiques
Man
est une ville moyenne de Côte d'Ivoire (30.000 habitants), éloignée d'Abidjan
(600 kilomètres) et excentrée (à l'ouest du pays, non loin des frontières du
Liberia et de la Guinée). Chef-lieu de département et de région, elle est
également capitale de la région ouest.
La
ville se trouve sur l'un des axes pour se rendre au Mali, elle est l'étape
obligée pour se rendre au Libéria et en Guinée. Par contre, la ville se trouve
à l'écart de tous les axes majeurs de la Côte d'Ivoire, elle est une
destination finale, ou à la rigueur une étape pour se rendre à Odienné
(dernière ville à l'extrême nord-ouest). La présence d'un aéroport assure seul
un relatif désenclavement.
Ces
données géographiques peuvent expliquer les données humaines et culturelles.
D'une part, la population est relativement homogène et les Ivoiriens
considèrent la région de Man comme une région traditionnelle ("région de
masques")[1] D'autre part, donnée contradictoire par rapport à la
précédente, il y a à Man un nombre important d'immigrés maliens et guinéens,
ainsi que des réfugiés libériens, qui ont fui la guerre dans leur pays.
Considérons
le peuplement linguistique. La sous-préfecture de Man se situe à la frontière
de deux aires linguistiques : l'aire mandé (nord/sud), qui s'étend plus au
nord, et l'aire kru, qui s'étend plus au sud. À Man, le peuplement
autochtone est yacouba (Mandé sud), il représente 63 % de la population.
Par ailleurs, ce sont les Kru (wé, guéré et wobé) qui sont majoritaires dans le
département (mais qui ne représente à Man que 7 % de la population)
(Lafage, 1983). 16 % de la population est constitué de
"Dioula"(j'utilise ce terme comme le font les Ivoiriens, à savoir un
éthonyme qui désigne une population musulmane, de langue manding), aussi bien
allogènes ivoiriens originaires des départements du nord (Odienné, Korhogo)
qu'immigrés originaires de la Guinée toute proche, du Mali ou du Burkina Faso[2]. Le reste de la population (14 %) est constitué
de groupes linguistiques minoritaires (Ivoiriens ou étrangers).
Les
trois langues en présence à considérer sont donc le français, le yacouba et le
dioula.
Le
cas du dioula est un peu délicat. En effet, s'il désigne de manière
indifférenciée pour les Ivoiriens "non-dioula" la langue parlée par
les Dioula, et la langue véhiculaire (celle que l'on utilise sur les marchés
avec les Dioula qui, en manding, n'est pas un ethnonyme mais signifie
"marchand"), il existe en fait plusieurs variétés de
"dioula" : d'une part diverses variétés vernaculaires, selon
l'origine géographique des locuteurs, et d'autre part une variété véhiculaire
simplifiée, nommée "tabusikan" par les Dioula natifs. Le dioula en
Côte d'Ivoire a une fonction véhiculaire limitée par le fait qu'il est langue
d'une certaine culture : culture de l'Islam et du commerce, dont les
valeurs ne sont pas partagées par l'ensemble de la population ivoirienne
(majoritairement chrétienne, et dont les aspirations professionnelles se
portent toujours du côté du fonctionnariat). C'est pourquoi nous n'entrerons
pas dans les distinctions formelles dioula vernaculaires/véhiculaire dans cette
étude, considérant que ce qui est en jeu ce sont les représentations attachées
à cette langue.
La ville et ses langues
Ce
que je propose là est une sorte de promenade visuelle et auditive à travers la
ville, à la recherche des manifestations orales et écrites des différentes
langues en présence : yacouba, dioula, français. Ce que l'on va voir est
que la présence du yacouba, langue autochtone, est discrète et que tout se
joue, linguistiquement, autour d'un partage de territoire, réel et symbolique,
entre le français et le dioula.
Autour du marché : une ville
dioula
Bien
que Man soit une ville qui est dite yacouba, et dont la population est
majoritairement yacouba, l'impression première lorsque l'on marche dans le
centre est celle de circuler dans une ville dioula : une majorité d'hommes
en boubou, de femmes portant un voile au-dessus de leur foulard noué sur la
tête (quelques très rares femmes entièrement voilées de noir). Au marché la
grande majorité des échanges se font en dioula (les commerces autres
qu'alimentaires sont tenus par des Dioula, des femmes yacouba vendent des
fruits et légumes). Les quartiers dioula sont les plus proches du centre et du
marché. Ce fait peut avoir une explication historique.
La
ville de Man telle qu'elle existe aujourd'hui est relativement récente. Le
village souche en est Gbépleu, village à l'origine yacouba, qui est maintenant
un quartier périphérique situé à la sortie nord-ouest de la ville et dont le
peuplement est très hétérogène. Traditionnellement le marché se trouvait à
l'extérieur du village sur une aire dégagée et servait de point de rencontre à
plusieurs villages de la région. Lorsque l'administration coloniale française
s'est installée dans cette région dans les années 1909-1912, elle a choisi de
s'installer près du marché. Comme elle offrait une protection militaire, des
commerçants sont venus s'implanter à proximité, et la ville peu à peu est née
englobant les anciens villages périphériques. L'une des hypothèses pour
l'origine du nom Man est liée à cette
place du marché. En effet s'y tenait des tournois de jeu d'awalé (ou man en yacouba), si bien que l'on disait
se rendre à man lorsqu'on se rendait
à l'endroit du marché.
C'est
ainsi qu'aujourd'hui le marché est devenu pôle central de la ville, entouré par
les quartiers de commerçants, les Dioula.
Les noms de quartiers : yacouba,
dioula et français se partagent le territoire
Si
l'on observe les quartiers d'habitation, on peut repérer à Man trois paradigmes
de noms de quartier correspondant à trois types de quartier différents, aux
situations linguistiques bien différenciées :
Les
quartiers à dominante yacouba, situés à la périphérie de la ville, ont un
visage beaucoup plus "rural" : plusieurs maisons ou cases autour
d'une cour de terre battue plantée de manguiers. Le fait est que les quartiers
yacouba sont souvent d'anciens villages rattachés à la ville. Leurs noms en
témoignent. Certains sont suffixés en -gouine
qui signifie "sur le sommet
de la montagne". C'est le cas de Doyagouiné,
Zeregouiné, Kogouin. Lorsque le toponyme est suffixé en -pleu ("chez"), ce sont des villages qui tirent leur nom
de leur fondateur. C'est le cas de Gbépleu,
de Petit Gbapleu et Grand Gbapleu (deux Gba, le grand frère
et le petit frère, fondèrent chacun un village).
Le
paradigme des noms yacouba est un paradigme clos, les quartiers neufs se
partagent entre quartiers à nom dioula, et quartiers à nom français.
En
ce qui concerne les quartiers dioula, nous pouvons d'abord considérer Dioulaboubou proprement dit, une
extension de la ville vers le nord, autour de la grande mosquée. L'habitat est
organisé autour de cours carrées fermées. Dioulaboubou
possède de nombreuses institutions qui lui sont propres : écoles
coraniques, banque, etc. D'autres micro-quartiers dioula, à l'urbanisme
beaucoup plus anarchique, sont dispersés souvent près du centre-ville, toujours
regroupés autour d'une mosquée. Ces quartiers sont de population homogène. La
communication entre différents membres de la communauté se fait exclusivement
en dioula, c'est dans cette langue que se font dans les rues interpellations et
salutations. Les femmes de plus de trente ans ne parlent généralement que très
peu de mots de français voire pas du tout - elles n'éprouvent d'ailleurs pas le
besoin du français, leur univers social se réduisant à leur cour, aux cours
voisines et au marché - et la communication interne à la famille et à la cour
se déroule en dioula. La jeune génération qui a été scolarisée en français en
Côte d'Ivoire ne le parle qu'avec les étrangers aux quartiers. Les jeunes
enfants parlent dioula entre eux.
À
ces quartiers "dioula" correspond un paradigme de noms en
"dioula". Le nom de Dioulaboubou
doit être une déformation de diouladougou
où le terme manding -dougou désigne
tout lieu habité. On le retrouve à Man dans le nom du quartier Dougouba où ba signifie "grand". Blokoso,
un quartier spontané à la sortie de la ville, quartier de ceux qui ont tout
laissé derrière eux.
Le
troisième type de quartiers est celui des quartiers neufs non-dioula et
quartiers de fonctionnaires. En tant que chef-lieu de département et de région,
Man compte dans sa population de nombreux fonctionnaires, très souvent
originaires d'autres régions de Côte d'Ivoire. Ils logent dans des villas
privées ou de fonction regroupées dans certains quartiers de la ville. Ce sont
dans ces quartiers également que logent les coopérants français et les
commerçants libanais. Ces quartiers regroupant des habitants chacun d'origine
très différente, la communication s'y établit d'emblée en français. Les jeunes
enfants jouent dans les rues en s'interpellant en français. À cet égard, j'ai
pu remarquer une nette différence de compétence et de performance en français entre
deux petites filles scolarisées en classe de CP2 (2° année du cours
préparatoire) issues l'une de Dioulaboubou, l'autre d'un de ces
quartiers : l'une ne fournissait que des réponses standards
"scolaires", l'autre se servait du français comme d'un véritable
instrument de communication, maniant une variété beaucoup plus familière de
français.
À
ce type de quartier correspond un paradigme de noms en français.
Certains
ont une référence historique, c'est le cas du quartier Kennedy (l'ancien président des États Unis était très populaire, on
retrouve un quartier Kennedy dans nombre de villes ivoiriennes, et il procède
toujours d'une initiative des habitants), ou du quartier Indépendance où habitait Dion Robert, membre important du PDCI,
l'un des hommes qui ont "fait" l'indépendance.
Les
autres ont des résonances ludiques ou ironiques. Ainsi les habitants de Belleville ont baptisé de ce nom leur
quartier qui est l'un des plus insalubres de Man. Campus est un quartier spontané de cases où les loyers sont réduits.
Situé à proximité de plusieurs groupes scolaires, il a été investi par les
lycéens qui en ont fait leur "campus". À résonance ludique également
le nom Petit Paris. Des dissidents du
village de Kongouin, à la suite d'un désaccord à propos d'une succession à la
chefferie vinrent installer un campement à la sortie de la ville. La ville en
s'étendant les engloba et leur apporta l'eau courante et l'électricité, avant
qu'elles n'arrivent à Kogouin. Les habitants considérèrent dès lors habiter un
"petit Paris".
D'autres
quartiers enfin tirent leur nom d'un établissement administratif ou
officiel : quartier CAFOP (où se
trouve le centre de formation pour les instituteurs), quartier Lycée…
Les
noms des quartiers sont généralement la seule indication topographique que l'on
a pour se repérer dans la ville. Ces noms de quartiers procèdent d'un consensus
oral (il est intéressant de voir notamment comment le nom du quartier est lié à
une histoire, conservée et transmise par la mémoire collective), ratifiés
ultérieurement par l'autorité administrative, ils n'apparaissent quasiment pas
dans l'univers graphique de la ville.
Ce
qu'on peut noter est que les noms yacouba renvoient à des quartiers
"historiques" et que l'extension moderne de la ville se fait en
français et en dioula. Le développement contemporain de la ville
"neutralise" la langue autochtone. La topographie donne à voir
quelles sont les tensions linguistiques pertinentes à l'heure actuelle. Elles
se focalisent autour d'un rapport dioula-français. Et il ne s'agit pas là
uniquement de langue mais également de culture : les quartiers nommés en
dioula sont des quartiers de culture manding (c'est net en ce qui concerne le
type de musique joué lors des fêtes, mariages en particulier ; et aussi en
ce qui concerne l'organisation de l'habitat) et musulmane. Le partage
linguistique de la ville est également un partage culturel. Français et dioula
ne sont pas que des langues véhiculaires, ce sont des langues de culture.
Sur les murs de la ville : le
français et l'arabe
Deux
langues sont présentes graphiquement sur les murs de la ville : le
français et l'arabe. Les langues locales à Man sont absentes de l'environnement
graphique.
Le
français est présent dans le marquage officiel. À Man, il se résume aux
panneaux des différentes administrations. Seules deux rues portent des noms,
l'un récent puisqu'il date de la visite en mars 1995 du chef de l'État :
l'axe principal a été baptisé pour l'occasion Avenue Houphouet Boigny. L'autre est l'Avenue Monseigneur Agre, du nom du précédent évêque du diocèse de
Man.
Par
ailleurs, les inscriptions d'ordre privé, sur les boutiques, sont en français.
On trouve parfois mêlés au français des mots d'origine africaine mais qui sont
passés dans l'usage courant et que l'on peut considérer comme faisant partie
intégrante du lexique français ivoirien, voire africain (ce sont généralement
des noms de denrées : gnamakoudji,
bissap…)[3].
Les
inscriptions en arabe ont toujours un caractère religieux (que ce soit sur le
mur d'un édifice pour signaler la présence d'une mosquée, ou les bénédictions
sur le tableau de bord des taxis), on les trouve parfois transcrites en
alphabet latin.
Ce
partage graphique arabe/français peut être rapporté au partage oral dioula
/français. Cela nous donne à voir la coexistence des deux rapports
diglossiques : dioula/arabe et français populaire/français standard. On
peut remarquer que le français est présent graphiquement aussi bien sous sa
variété standard que sous sa variété populaire, ce qui laisse apparaître la
non-symétrie des deux situations.
Sur les ondes, présence de toutes les
langues
Une
seule chaîne de télévision peut être régulièrement reçue à Man sans antenne
parabolique : la chaîne 1, qui est une chaîne publique. Elle accorde 35
minutes par jour d'informations en langues locales. Une émission par semaine
est consacrée à la diffusion en langues gouro, yacouba et dioula. Il n'y a pas
d'émission en wé, wobé, guéré.
Il
y a à Man une radio locale diocésaine qui consacre une heure par jour à la
diffusion d'un magazine en langue locale, faisant alterner yacouba, wobé,
toura, moré, guéré. On dit que l'évêque de Man aurait décidé de lancer la radio
diocésaine, en français, pour contrer la voix du muezzin de la grande mosquée,
en arabe, qui, amplifiée par haut-parleur, est diffusée dans tout le
centre-ville. La diffusion du français s'associe donc ici à celle de la
religion catholique. Cela ne peut être anodin au regard de l'attitude du
gouvernement ivoirien vis-à-vis de l'Islam.
On
peut également capter Radio Côte d'Ivoire qui diffuse la même proportion
d'émissions en langue locale que la chaîne de télévision nationale. RFI (Radio
France Internationale) qui diffuse 24 heures sur 24 en français ne se capte
qu'en ondes courtes.
La
diffusion sur les ondes donne à voir un plurilinguisme "à plat", sans
qu'émerge aucune langue locale en particulier, une mosaïque de langues en
quelque sorte, dont le liant serait la langue française. Le dioula y est traité
comme une langue locale parmi d'autres. Cela nous donne une bonne image du
traitement politique du plurilinguisme ivoirien : la cohésion nationale se
fait autour du français. Avec peut-être une tendance à gommer l'importance du
dioula.
Cette
radioscopie linguistique de la ville nous apprend quelque chose de la
coexistence du français et des langues locales en Côte d'Ivoire.
Les
espaces que les différentes langues se partagent ne sont pas les mêmes. Le
yacouba, considéré comme la langue de Man aussi bien par les Mannois que par
les autres Ivoiriens, fait partie du patrimoine oral de la ville (à travers les
noms de quartiers et parce qu'on l'entend sur les ondes). Il est une langue
culturelle mais pas une langue d'intégration urbaine. Le dioula, langue qui
n'est pas simplement véhiculaire dans la mesure où elle transporte une culture
très différente (manding et musulmane) fait également partie du patrimoine
oral. C'est une langue, par ailleurs, qui conquiert des espaces géographiques
(de nouveaux quartiers sont nommés en dioula). Cela donne une bonne image de
son importance sur le territoire ivoirien. Mais parce qu'elle est la langue
d'une culture en laquelle ne peut se reconnaître l'ensemble des Ivoiriens, elle
ne peut supplanter le français. Pour ce qui est de l'arabe, on peut considérer
qu'il fonctionne dans un rapport diglossique avec le dioula ; il
représenterait la "variété haute" vis-à-vis du dioula "variété
basse". Il est présent dans la ville par la voix du muezzin et les
inscriptions indiquant les mosquées, son espace est circonscrit au domaine
religieux. Quant au français, son espace double (il occupe l'espace oral et
l'espace écrit) est le signe de son
double statut en Côte d'Ivoire. Langue officielle, il est présent, sous une
forme standard dans les inscriptions officielles. Langue véhiculaire mais aussi
langue de culture, il est présent sous sa forme "ivoirienne" à
l'écrit (sur les échoppes) et à l'oral (dans les noms de quartier ; à la
radio et à la télévision où l'on parle un français local). Il est la seule
langue à occuper autant d'espaces différents, son inscription dans la ville
donne une image de son "ivoiriannité".
Cette
approche sémiologique d'une ville confirme en quelque sorte ce qu'ont bien
montré par ailleurs toutes les études menées sur le français ivoirien,
notamment sur la productivité lexicale témoin de son haut degré
d'appropriation. Si elle se bornait à cette fonction illustrative, elle
pourrait apparaître comme simplement pittoresque. Ce qu'elle me semble montrer
de manière plus nette c'est le partage symbolique qui se fait en Côte d'Ivoire
entre français et dioula et qui demanderait à être complété par une étude
systématique sur les représentations attachées à ces deux langues.
Bibliographie
CALVET L.J.
(1994). Les voix de la ville.
Introduction à la sociolinguistique urbaine, Paris : Payot.
CANUT C.
(1995). "Dynamiques linguistiques au Mali ou la diglossie revisitée",
Lengas. Revue de sociolinguistique, 36.
LAFAGE S.
(1983). Étude socio-linguistique de
l'aire kru de Côte d'Ivoire, Abidjan : ACCT/ILA.
VAN DEN
AVENNE C. (1995). Approche morphosyntaxique
d'un échantillon de français mésolectal ivoirien (Étude circonscrite à la ville
de Man), mémoire de DEA sous la direction de Suzanne LAFAGE, Université de
Paris III.
[1] C'est sur ce point qu'insistaient les commentaires et
les présentations télévisées diffusées sur la chaîne nationale lors de la
visite d'Henri Konan Bédié en mars 1995.
[2] Lors de la visite du chef de l'État dans la région
ouest, les chiffres officiels présentés sur la chaîne de télévision nationale
donnaient 70 % d'autochtones (Kru et Mandé sud confondus), 14 %
d'allogènes ivoiriens et 16 % d'étrangers (toutes origines confondues).
[3] Le gnamakoudji
(également noté niamakoudji) est un
mot d'origine dioula et le bissap un
mot d'origine wolof. Ils désignent deux boissons.