LE FRANÇAIS EN AFRIQUE NOIRE À
L'AUBE DE L'AN 2000 :
ÉLÉMENTS DE PROBLÉMATIQUE1
Suzanne Lafage
Université de Paris III
Un certain nombre d'ouvrages concernant la Francophonie décrivent
l'Afrique noire francophone comme un réservoir potentiel de locuteurs
et considèrent que ce continent, avec sa puissante démographie,
constitue un espoir pour le maintien du rôle de langue internationale
jusqu'à présent dévolu au français. Qu'en sera-t-il
en réalité ? Peut-on en analysant les événements
sociolinguistiques de ces dernières années du XXe siècle,
avancer quelques pronostics qui puissent sembler raisonnablement fiables
?
Je tenterai, tout en faisant un rappel succinct des phénomènes
principaux concernant la récente situation du français à
travers l'Afrique noire dite d'expression française, d'exposer quelques-uns
des traits saillants qui caractérisent l'évolution de l'appropriation
de cette langue par les états africains concernés, au cours
des dix dernières années, avant d'avancer une problématique
prospective prudente.
1. Principales caractéristiques du français en Afrique
noire dans les années 80.
Il faut, pour décrire brièvement les années 80, rappeler
un certain nombre de réalités généralement
plus ou moins clairement appréhendées.
a) D'une part, partout, le français est une langue importée
par la colonisation et dont l'implantation a prospéré — avec
plus ou moins de problèmes, ici ou là — jusqu'à nos
jours. Il ne s'agit certes pas de "français langue maternelle" (encore
que, depuis les Indépendances, de petits groupes de locuteurs-natifs
aient fini par apparaître et se développer en milieu urbain
dans certains pays). Mais il ne s'agit pas non plus, pour la plupart des
nations africaines dites francophones, de "français langue étrangère"
car, pour une bonne partie de la population, la langue importée
joue un rôle important et sans cesse grandissant dans la communication
nationale usuelle. Elle a peu à peu occupé une place indéniable
dans l'environnement quotidien (administration, politique, techniques,
commerce, justice…) et dans les média (radio, télévision,
journaux, cinéma…). Cependant, bien que son apprentissage soit généralement
scolaire, on trouve, à peu près partout, spécialement
en milieu urbain, dans les populations analphabètes, des groupes
relativement nombreux, qui acquièrent la langue officielle directement
par contact. Ainsi vaudrait-il mieux actuellement parler, d'un point de
vue descriptif, de "français langue seconde" (même si dans
les faits, parfois, il n'intervient qu'en troisième ou quatrième
position dans l'ordre des acquis linguistiques), voire, comme l'ont osé
certains, (Dumont, 1990), de français langue africaine,tant
le français a pris place comme medium usuel dans le paysage linguistique
africain.
b) D'autre part, le français ne s'est pas implanté partout
de la même façon ou à la même époque (colonisation
belge / française / territoires sous-mandat, côte ou intérieur
du continent, continuité depuis une centaine d'années/ retour
vers le français après une période de séparation
comme en Guinée..). Il n'a pas rencontré les mêmes
problèmes ni les mêmes conflits linguistiques dans toutes
les zones où il s'est développé. Ainsi s'explique
un phénomène actuel qui, vu de France, peut paraître
relativement surprenant. Malgré le nombre considérable de
langues africaines et leur diversité, le français parlé
en Afrique noire peut attester des traits de convergences remarquables
(certaines spécificités lexicales ou morphosyntaxiques, d'ailleurs
plus souvent imputables au français lui-même et à son
mode d'acquisition ou à des facteurs d'ordre socio-sémantique,
qu'à des problèmes d'interférences avec les parlers
locaux). Et pourtant la situation sociolinguistique est si différente
d'un pays à l'autre que des caractéristiques nationales finissent
par marquer la façon de parler français au point que les
Africains se disent généralement capables de deviner la nationalité
d'un autre Africain francophone "moyen" à sa manière d'utiliser
le français oral.
c) De façon assez grossière, il convient de distinguer des
pays où, souvent avant l'époque coloniale, une ou plusieurs
langues locales ont développé un rôle véhiculaire
important pour l'ensemble de la population et où, actuellement,
existe un véritable bilinguisme langue(s) africaine(s) /français,
tantôt reconnu au niveau des langues officielles (Centrafrique, Rwanda,
Burundi…) ou simplement remarquable dans la vie quotidienne (Mali, Sénégal…).
Dans ce cas, le français, mode relativement fréquent d'intercommunication
des scolarisés, semble en général, chez les plus instruits,
plus proche de la norme exogène2.
On peut, cependant, parallèlement, noter une tendance à l'alternance
codique voire au métissage linguistique dans les situations de communication
non-formelles (cf. le français-sango des kota-zo3
de Bangui, Wenezoui-Déchamps, 1995).
Au contraire, dans les pays multilingues où aucune langue locale
ne semble véritablement avoir acquis une position dominante, le
français peut assurer un rôle véhiculaire national
à deux niveaux : soit dans la variété scolaire normalisée
(langue officielle), marquée par une norme parfois endogène,
soit dans une variété populaire pidginisée, caractérisant
les non ou les peu scolarisés mais constituant pour les plus instruits
un mode d'expression parallèle imposé par l'intercompréhension
ethnique et sociale (Côte-d'Ivoire, Congo…).
d) Depuis la période des Indépendances (à l'exception
de la Guinée revenue à la mort de Sékou Touré
dans le giron de la francophonie) l'enseignement — qu'il soit totalement
en français (Côte-d'Ivoire, Gabon…) ou bilingue langues africaines/
français à différents niveaux de l'école primaire
(Togo, Zaïre, Rwanda…) — s'est démocratisé et très
grandement développé grâce à d'importants investissements
financiers des états. Dans les années 80, presque tous les
pays possèdent une ou plusieurs universités et ont commencé
à former leurs propres cadres, au moins dans certaines disciplines.
Les programmes ont été africanisés et les enseignants
nationaux sont à peu près partout en passe de remplacer les
coopérants.
Depuis les Indépendances, en effet, la foi en la promotion sociale
nécessairement issue de la scolarisation en français a été
partagée par tous et l'école, malgré son extraordinaire
développement, ne suffit pas à accueillir tous les effectifs
des nouvelles générations. Pourtant, dès 1975, on
peut remarquer une certaine inquiétude. Car on commence, dans tous
les pays, à parler de "crise de l'enseignement", de "baisse des
rendements scolaires" et on s'interroge de plus en plus sur la qualité
du français appris à l'école.
2. Les années 90 ou l'époque des turbulences.
On a coutume, en France, de considérer la période d'agitations
de toutes sortes que vient de connaître l'Afrique noire francophone,
comme débutant avec le célèbre "discours de La Baule".
Ce n'est certainement qu'une image symbolique car la crise économique,
la conjoncture comme disent les Africains, a coïncidé
grosso modo en 1980, avec la diminution à l'échelon mondial
du prix de vente des produits agricoles ou des matières premières,
avec le surendettement et les effets pervers d'une certaine mauvaise gestion.
Les troubles socio-politiques engendrés par des situations critiques,
les prises de conscience et les aspirations à la démocratie
ont alors explosé.
Il n'est certes pas de ma compétence d'envisager ici de raconter
les divers événements politiques. Je m'en tiendrai donc seulement
à l'évocation schématique très succincte des
effets de ces derniers qui, ici ou là, ont pu revêtir l'aspect
de véritables révolutions [Burkina Faso, Centrafrique…] ou
de guerres civiles [Rwanda, Togo, Zaïre, Congo…] sur l'usage actuel
et l'avenir du français. Aucun pays africain francophone n'y a échappé,
même si certains ont été plus durement touchés.
a) Paradoxalement, la période 1985-1998 a accru la diffusion du
français tout en affaiblissant sa qualité normative. D'une
certaine façon, il y a eu renforcement des normes endogènes
différenciatrices au détriment de la norme académique
importée. C'est que, pour diverses raisons que je vais exposer succinctement,
l'acquisition de notre langue a cessé de passer quasi-exclusivement
par la scolarisation.
D'une part, les volontés de démocratisation ont eu pour conséquences
l'agitation politique, la naissance du multipartisme et une étonnante
prolifération de la presse locale. En effet, parallèlement
aux organes de diffusion habituels de l'ex-parti unique, les journaux de
tous bords se sont multipliés4
sans que tous les nouveaux journalistes soient des professionnels avertis.
On a donc vu fleurir quantité de publications quotidiennes ou hebdomadaires
d'une surprenante liberté de ton mais à la langue souvent
fort relâchée, plus semblable au mésolecte oral (de
norme endogène) voire parfois aux variétés locales
basilectales plus ou moins pastichées, — tout au moins dans certaines
rubriques à la fois humoristiques et fort critiques5
— qu'au français à tendance normative des publications officielles
antérieures.
En outre, la radiodiffusion de grands procès politiques ou des débats
des conférences nationales a à peu près banalisé
un modèle d'emploi du français, celui de l'oralité
mésolectale locale quotidienne. En effet, dans des situations de
mises en accusation, le souci du langage correct laisse généralement
la place au désir de survie, à l'émotivité
de l'auto-défense ou à la volonté de convaincre le
plus grand nombre. (cf G. Prignitz, 1996).
Il faudrait ajouter à cela l'impact des troubles socio-politiques
sur les établissements scolaires, les grèves d'enseignants
ou d'étudiants qui, ici ou là, ont multiplié ce que
l'on a appelé les années blanches6.Rares
ont été les années universitaires normales. Ces perturbations
de l'enseignement ont affaibli grandement l'acquisition normée du
français.
Or, déjà, la déperdition scolaire trop importante,
le chômage des diplômés, la raréfaction des débouchés
avaient, dès les années 85, freiné l'élan vers
l'école en français. On peut donc, à l'heure actuelle,
observer, dans certaines régions, une baisse significative de la
scolarisation primaire (notamment pour les filles7).
Celle-ci peut être liée parfois à un renouveau de fréquentation
de l'école coranique dans les zones islamisées. Mais le problème
de la dévaluation du franc CFA, (même si pour certains pays
il est actuellement en passe d'être péniblement surmonté),
a considérablement réduit le revenu — pourtant déjà
bien restreint ! — des familles et beaucoup d'entre elles ne peuvent plus
faire face aux frais d'écolage.Le dogme de la toute puissance
du diplôme, facteur de la promotion sociale, s'est effrité
et la population s'interroge sur l'excellence de la formation par une école
des Blancsqui semble couper l'enfant africain de ses racines et le
rendre, s'il y a déscolarisation, à la fois inapte à
se réinsérer dans son milieu rural traditionnel d'origine
mais aussi inapte à trouver un emploi en zone urbaine. Car les déscolarisés,notamment
ceux du secondaire, demeurent généralement en ville où
ils se rassemblent en bandes organisées et tentent de survivre de
façon marginale grâce à des activités plus ou
moins licites.
b) De tout temps, les pays africains francophones ont connu un fort exode
rural et une grande mobilité de leurs populations. Certains états
même8 constituent
depuis des décennies des pôles d'attraction pour l'ensemble
du continent. D'où la formation rapide de véritables mégapoles
où se mêlent des populations diverses qui n'ont rien en commun
si ce n'est les mêmes difficultés économiques et les
mêmes problèmes existentiels. Les langues maternelles vernaculaires
demeurent seulement d'usage au sein de la famille mais les contacts de
la rue se font dans diverses variétés du véhiculaire
urbain dominant c'est-à-dire bien souvent du français. Car
la rue est à la fois le lieu d'apprentissage de ce français
véhiculaire par les nouveaux-venus mais aussi "le lieu de rencontre
privilégié des jeunes désœuvrés qui, comme
dans toute société, ont élaboré un code crypté
permettant la reconnaissance à l'intérieur du groupe et la
distinction par rapport au reste du monde". (Tschiggfrey, 1994 : 14). Il
est tout à fait remarquable de constater l'expansion récente
d'argots africains du français dans toute l'Afrique de l'Ouest vraisemblablement
à partir d'Abidjan (nouchi des délinquants où
sur une base de français pidginisé se greffent "un certain
nombre de mots provenant des langues ivoiriennes, modifiés, tronqués,
associés parfois à des éléments d'une autre
langue, dérivés, composés, changés de signification
par métaphore ou métonymie"[Kouadio N'Guessan, 1990
: 375], zougloudes étudiants et des chansons à la
mode, français des rues des déscolarisés…).
Des phénomènes plus ou moins similaires ont apparu ensuite
en Guinée (Diallo in Queffélec, 1998), au Burkina, (Prignitz,
Millogo in Queffélec, 1998) au Togo (Anzorge, 1997, 101-110) etc.
Car il est vrai que les problèmes de l'exclusion des jeunes des
quartiers-ghettos ou des habitats spontanés semblent un phénomène
mondial lié à l'urbanisation explosive, à la misère,
au mélange de populations disparates et sans cohésion communautaire,
à la rupture entre les générations, au cadre familial
en voie de dissolution, à l'échec de la scolarisation, à
la destruction des valeurs traditionnelles que rien ne semble venir remplacer.
c) Il est malheureusement évident que l'extension des conflits armés
contraignant des groupes entiers à fuir — parfois fort loin du territoire
originel — n'a pu que renforcer cette instabilité et cette absence
de repères. Bien des exilés (Batutsi, Bahutu, mais aussi
tant d'autres, Togolais, Zaïrois et plus récemment Congolais…)
se sont préférentiellement réfugiés dans les
pays francophones, marquant ainsi l'importance fondamentale accordée
à la possession d'une langue commune interafricaine, perçue
telle tant par les couches cultivées que par les analphabètes
pour lesquelles la possession d'un français même rudimentaire
peut encore apparaître comme un élément indéniable
de survie.
3. Éléments de prospective.
Dans toute prospective s'entremêlent des facteurs négatifs
et des facteurs positifs bien difficiles parfois à séparer
tant les conséquences peuvent être difficiles à évaluer.
Je citerai d'abord quelques points sombres avant d'exposer quelques aspects
porteurs d'espoirs.
a) L'image de la France s'est assez gravement détériorée
en Afrique ces dernières années et il faudrait s'en inquiéter
car c'est largement à la France qu'est généralement
rattachée l'image du français, quels que soient les efforts
consentis par la Belgique (aux relations, elles aussi, tumultueuses avec
ses anciennes colonies…) et le Québec (très actif dans les
domaines commerciaux ou universitaires et bénéficiant du
transfert des sympathies). Bien des faits, à tort ou à raison,
troublent les esprits, sèment des inquiétudes ou même
froissent les susceptibilités. Je citerai pêle-mêle
les plus fréquemment évoqués dans les journaux du
continent : la dévaluation sans concertation préalable du
franc CFA, l'impression de désengagement vis-à-vis des pays
dits "du champ" pour réorientation vers l'Europe certes mais aussi
vers des états africains lusophones ou anglophones, la fin estimée
symbolique du Ministère de la Coopération, l'absence d'intérêt
des investisseurs français et toujours bien sûr les difficultés
d'obtention de visas qui conduisent bon nombre d'étudiants africains
à choisir des universités nord-américaines, la publicité
faite autour des expulsions de "sans-papiers", une certaine réputation
de racisme de l'hexagone etc.
b) Les divers bouleversements politiques en Afrique centrale attestent
l'accroissement de la puissance linguistique de l'anglais. Un certain nombre
de nouveaux dirigeants sont des diplômés des universités
américaines qui utilisent préférentiellement l'anglais
et pourraient être prêts à nouer des liens privilégiés
avec la super-puissance mondiale. Quand on réfléchit qu'il
a suffi d'une cinquantaine d'années, pour que le français,
langue importée et quasi-minoritaire, ait pu devenir, en partie
grâce aux poids des élites formées dans l'hexagone,
un élément dynamique et en l'état actuel, incontournable
des réalités africaines, on peut se demander si les menaces
d'abandon du français au profit de l'anglais (parfois clairement
formulées dans certains articles de presse), sont véritablement
impensables à concrétiser malgré le coût d'une
telle opération.
c) Pour maintenir intercompréhension et cohésion à
travers la francophonie, il faudrait qu'un enseignement de qualité
répande une variété de français commun, à
la fois vivant et adapté à la communication quotidienne tant
écrite qu'orale, afin de corriger les fortes tendances en cours
à la différenciation et à l'éclatement. Car,
plus le français devient une langue parlée en Afrique, plus
la variation s'accroît dans tous les domaines linguistiques : prononciation,
prosodie, morphologie, syntaxe, lexique et sémantique. Certes, comme
en France, tout locuteur francophone local cultivé peut opérer
des choix entre les variétés à sa disposition afin
d'établir une adéquation entre son parler et la situation
de communication. Mais ce choix n'est pas possible pour ceux qui ont appris
le français par contact et ne connaissent que la variété
basilectale propre à leur environnement ordinaire. Quant aux jeunes
urbanisés, comme dans les banlieues de l'hexagone, ils construisent
des parlers argotiques enrichis d'apports des différentes langues
véhiculaires locales pour en faire "un symbole d'adhésion,
d'intégration communautaire et d'identification au groupe des pairs"
(Billiez 1990 : 117). Il arrive même que naisse, entre le français
populaire local et les plus usitées des langues africaines du pays,
un parler particulièrement opaque où l'hybridation9
touche aussi bien le lexique que la morpho-syntaxe (Lafage, 1998). Or ces
parlers sont largement diffusés en dehors même des frontières
du pays où ils ont pris naissance, par la chanson, la bande dessinée,
la radio ou la télévision quand ce n'est pas par une certaine
forme de littérature ou de presse locale humoristique ou branchée.
d) Cependant il semble que depuis quelques années le danger de voir
se répandre un français si dialectalisé qu'il ne permettrait
plus l'intercompréhension francophone a été clairement
perçu par les dirigeants. Les rencontres interafricaines des responsables
de l'éducation montrent le souci majeur de remettre en œuvre un
enseignement de qualité de la langue officielle, souvent grâce
à l'instauration d'un bilinguisme équilibré par l'introduction,
dans le primaire, de l'enseignement de langues nationales. La multiplication
des projets entre les divers pays de la francophonie du nord et du sud
touche particulièrement les aspects didactiques. Les divers travaux
en cours, les décisions et les actions partagées10
issus des plus récents Sommets de la francophonie vont dans ce sens.
Par ailleurs, il semble bien que l'on puisse observer une reprise de l'attention
portée à la qualité de l'expression française
tant dans la presse que dans les media. Ainsi, dans quelques-uns des pays
où les risques de créolisation étaient relativement
sérieux comme en Côte-d'Ivoire, les rubriques pastichées
imitant la variété dialectale ont disparu des journaux.
e) En outre on ne saurait ignorer le nombre croissant de publications littéraires
africaines en français. Il est indéniable que de nombreux
Africains - peut-être faute d'un autre medium permettant la diffusion
internationale de leurs écrits — choisissent cette langue pour leurs
œuvres. Désormais la plupart d'entre eux revendiquent une certaine
africanité de leur écriture qui leur permette de mieux exprimer
une pensée nourrie à d'autres sources et à d'autres
visions du monde. Ainsi, la langue française, en devenant "transculturelle"
cesse d'être le véhicule rigide d'une culture unique un peu
trop tentée de se croire supérieure, pour y gagner souplesse,
richesse et créativité. Il est certain que le nombre et la
qualité de ces ouvrages constituent un important facteur d'espoir
pour l'avenir africain du français.
f) Enfin, d'un point de vue politique, à l'époque de la mondialisation,
les États africains tentent de s'unir pour mieux se développer
et se défendre. Traités et conventions diverses regroupent,
depuis quelques années déjà, plusieurs pays francophones
d'Afrique de l'Ouest ou d'Afrique centrale. Une éventuelle construction
d'union sur le modèle européen, repose actuellement sur la
partition en sous-régions (Afrique de l'Ouest, Afrique Centrale,
Afrique de l'est…) avec comme support linguistique le français ou
l'anglais. Il semble bien que, dans un avenir proche, l'extension rapide
des réseaux supranationaux de communication (internet par exemple)
ne permette de prévoir ni une totale hégémonie de
l'anglais ni d'ailleurs l'émergence véritable à ce
niveau d'une ou de plusieurs des langues africaines les plus dynamiques.
4. Un avenir fragile et menacé ?
Les choix linguistiques des pays africains sont primordiaux pour l'avenir
de la langue française tant sur le plan de la démographie
que sur celui des relations internationales. Or, si des bouleversements
imprévisibles demeurent toujours possibles, il reste cependant,
semble-t-il, à l'aube de l'an 2000, une alternative vraisemblable
: soit le français saura développer sa modernité technique
et scientifique et ainsi conserver un rôle de langue africaine privilégiée
pour l'enseignement, grâce à la consolidation de sa complémentarité
avec les langues africaines nationales, soit la francophonie africaine
fragile et menacée ne cessera de reculer.
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WENEZOUI-DESCHAMPS, Martine (1995). "Le franc-sango des kota-zo de Bangui
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en langue africaine". Paris ROFCAN 10, INALF, CNRS, Didier érudition,
pp. 143-155.
1Figurent
en italique dans le texte, certaines particularités lexicales du
français parlé commun à l'ensemble de l'Afrique francophone.
Leur signification est généralement suffisamment claire pour
ne pas nécessiter une glose.
2On
a coutume de distinguer, en ce qui concerne le français en Afrique,
la norme exogène c'est-à-dire la norme centrale représentant
le parler du Parisien cultivé propagée par l'école,
à la norme endogène, usage local de la majorité des
francophones d'un pays. Pour donner un exemple courant de différenciation
entre ces normes, j'opposerai : C'est la première fois que je viens
ici à C'est ma première fois de venir ici. (fort répandu
au sud du Sahara).
3Terme centrafricain
désignant les " élites " capables de s'exprimer aussi bien
en français qu'en sango mais utilisant souvent entre eux un mélange
des deux codes. (M. Wenezoui-Dechamps, 1995).
4Pour
illustrer cette explosion de la presse africaine, les années 90
ont vu le nombre de journaux ivoiriens s'élever à près
de 70. Mais environ une quarantaine d'entre eux ont actuellement disparu.
5Par
exemple : à l'image des célèbres " chroniques de Moussa
" du défunt Ivoire-Dimanche, les " propos de Zek " dans le Paon
africain, hebdomadaire nigérien (Barreteau, 1998), ou les " chroniques
de Boanga " dans l'Intrus, quotidien burkinabè (Prignitz, 1996)
ainsi que diverses autres publications étudiées dans Queffélec,
1998.
6Année
blanche : année scolaire durant laquelle la durée réelle
des cours n'a pas été estimée suffisante pour permettre
de dispenser un programme autorisant l'organisation des examens.
7À
l'exception sans doute du Burkina-Faso qui, conscient de l'importance de
la scolarisation des femmes pour l'évolution d'une société,
corrige cette tendance par l'attribution de bourses supplémentaires
et préférentielles aux jeunes filles.
8Quelques
pays africains francophones comme la Côte-d'Ivoire ou le Gabon, sont
depuis longtemps des lieux attractifs pour les immigrants. Ainsi, sur 13
millions d'habitants, la CI compterait plus de 5 millions d'étrangers
selon un discours du Ministre de l'Enseignement Supérieur et de
la Recherche Scientifique cité in Jeune Afrique, 28/10/1993 : 31.
9Faute
de place, je ne donnerai qu'un bref exemple d'hybridation (Abidjan) : Attention
bra mogo, faut pas fauya, tu vas gué le wari tchêtchê
!." Fais gaffe, frangin, pas de magouille, tu vas partager le fric en parts
égales ! ". (bra mogo du dioula " chez moi-homme " c’est-à-dire
" frère ", fauya, du français faux + suffixe dioula -ya qui,
ajouté à un substantif permet de créer un nouveau
substantif : " magouille ", gué du français " guérir
" devenu partager (: guérir une attente), wari, du dioula " argent
", tchêtchê, du baoulé " à parts égales
".
10Notamment
l'action de recherche sur l'État du français en francophonie
lancée récemment par le Fonds Francophone de la Recherche
(AUPELF-UREF), la publication en cours des Inventaires de particularités
lexicales, la prochaine mise en œuvre d'un nouvel Inventaire de synthèses
lexicographiques pour les particularités lexicales du français
en Afrique noire (IFA 2), les programmes éducatifs de l'ACCT, les
projets franco-africains " Campus " etc.
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