DU FRANÇAIS À L’ÉCOLE SECONDAIRE À OUAGADOUGOU Abou Napon Université de Ouagadougou
Comme
la plupart des ex-colonies françaises, le Burkina Faso a maintenu,
lors de son accession à l’indépendance en 1960, le français
comme principal véhicule de l’enseignement au primaire, au secondaire
et au supérieur.
- Ces formes sont-elles connues par les élèves sans distinction de sexe ? - Comment les élèves perçoivent-ils ces formes ? - Ces formes ne sont-elles pas une façon de s’approprier le français ? Notre
enquête de terrain s’est déroulée en deux phases. Dans
un premier temps, nous avons demandé à six enquêteurs
d’observer les pratiques langagières des élèves dans
six établissements secondaires de la ville de Ouagadougou (trois
publics et trois privés). Il avait été demandé
aux enquêteurs de relever de manière systématique toute
forme qu’ils jugeaient non conforme au français standard. D’après
Napon, 1995 :4, " il est admis qu’au sein d’une communauté linguistique
les variétés ne sont pas à égalité.
L’une d’elles est privilégiée, c’est le standard, autrement
dit l’usage correct, qui s’impose comme norme à l’ensemble de la
communauté et a pour effet de légitimer ou d’autoriser les
discours qui s’y conforment suffisamment. Les autres sont disqualifiées
". La notion de standard est particulièrement complexe mais nous
admettrons, pour la commodité de l’analyse, qu’il existe une norme
scolaire stable à laquelle nous nous référons. Cette
norme est enseignée par le biais des livres de grammaire et des
dictionnaires à l’école.C’est à partir de cette norme
que les informateurs devaient relever toutes les constructions non conformes.
— La dérivation par addition de suffixe : 21,21 %
— Les glissements de sens : 15,15 %
— Les emprunts : 12,12 %
— La troncation : 11,36 %
—
Les mots voyageurs : 10,90 %
— La formation des verbes à partir de noms : 10,6 %
— La métaphore : 8,33 %
— Les calques : 3,03 %
Après cette première enquête essentiellement basée sur l’observation directe, nous avons dans un second temps, cherché à appréhender d’une part, le degré de diffusion de quelques formes jugées non-standard et d’autre part, les différents procédés de création utilisés pour créer ces formes. Le but d’une telle entreprise était de démontrer l’existence d’une certaine forme d’appropriation du français en milieu scolaire en nous basant sur deux éléments fondamentaux : l’identification du procédé, et la connaissance du sens de la construction ou de la forme créée à partir du procédé. Pour mesurer le degré d’appropriation d’un procédé, nous avons retenu les critères suivants : la capacité de l’élève à identifier ledit procédé et à donner le sens exact du mot dans lequel le procédé est utilisé. Ainsi, pour que l’on puisse dire qu’un procédé créatif fait l’objet d’une certaine appropriation en milieu scolaire, il faut qu’il soit connu par au moins 50 % des filles et des garçons. Les procédés qui ont été retenus pour le test d’évaluation étaient les suivants : la dérivation suffixale, l’emprunt, la troncation et les mots voyageurs. Le choix de ces procédés s’est fait de manière délibérée car nous pensons que, quels que soient les procédés choisis, on aboutirait au même résultat étant donné que les procédés se retrouvent dans le corpus de chaque lycée. Pour le test, il a été retenu 40 constructions ou formes jugées non conformes, soit 10 formes par type de procédé. Au total 50 élèves (25 filles et 25 garçons) ont été amenés à donner leur point de vue sur l’usage des 40 constructions. 1. Les marques de l’appropriation linguistiqueLe critère de choix des lexies a été la fréquence d’apparition de la lexie dans les données recueillies dans chaque lycée. Ainsi, les exemples qui ont été retenus sont ceux qui apparaissaient régulièrement dans les corpus enregistrés dans les 6 écoles secondaires qui ont fait l’objet de l’enquête.1.1. La dérivation suffixalePour les lexies formées grâce à la dérivation suffixale, nous avons les pourcentages suivants d’identification :
Pour chaque lexie, plus de 50 % des hommes et des filles ont réussi à trouver son sens et à déterminer le type de procédé à partir duquel la forme a été créée. Ce qui nous conduit à dire que l’utilisation de la dérivation suffixale pour créer des formes non standard est un procédé productif à l’école secondaire aussi bien chez les filles que les garçons. 1.2. L’empruntEn examinant, les termes créés à partir d’emprunts aux langues nationales, nous avons obtenu les pourcentages suivants :
Mots empruntés au jula
Mots empruntés au mooré
En ce qui concerne les emprunts, tous nos juges (hommes et femmes) ont réussi à identifier chaque donnée à plus de 70 %. L’on peut donc conclure que l’emprunt est un procédé qui est très utilisé en milieu scolaire. 1.3. La troncation Les
termes formés par la troncation qui ont été soumis
à nos informateurs étaient les suivants :
À travers les différents pourcentages, l’on note que la troncation est un procédé utilisé aussi bien par les filles que les garçons pour former des mots non tolérés dans la classe. Chaque terme a été identifié à plus de 70 % par les enquêtés des deux sexes. 1.4. Les mots voyageursCe sont des mots aux origines non identifiées. Ils n’appartiennent à aucune langue précise. Ainsi, les enquêtés des deux sexes ont jugé, que les 10 expressions qui leur ont été présentées ne respectaient ni la morpho-syntaxe du français ni celle des langues nationales.
Si, nous examinons de près les pourcentages, ils révèlent que la stratégie qui consiste à diffuser des mots qui n’appartiennent ni au français ni aux langues nationales est utilisée aussi bien par les garçons que les filles en milieu secondaire. 2. Les éléments métalinguistiques de l’appropriation L’appropriation d’une langue par un individu ou un groupe donné ne se fait pas uniquement à partir de la manipulation des signes linguistiques de la langue. Elle est également psycho-sociolinguistique. Ce type d’appropriation, peut être appréhendé à partir de la manière dont le groupe ou l’individu se représente son nouveau système de communication ; à savoir la valeur symbolique qu’a pour le groupe par exemple l’expression commer pour " commerçant ". Comment le groupe définit-il sa nouvelle manière de parler par rapport au parler standard ? Nous entrons dans le domaine de l’enquête épilinguistique.
Menée auprès de nos 50 informateurs (garçons
et filles) elle a permis de montrer que 4 raisons essentielles sont avancées
pour justifier l’utilisation des termes argotiques à l’école
secondaire dans les lycées de la ville de Ouagadougou.
Le
classement des raisons avancées donne par ordre d’importance, la
hiérarchie suivante :
a. Le désir de s’amuser (la fonction ludique) L’une des principales raisons qui poussent les élèves à recourir à des termes argotiques est l’humour. En effet, il est plus facile de détendre une atmosphère en utilisant l’expression il est gnolé que de dire de quelqu’un qu’" il est saoul ". Les propos du genre viennent confirmer nos dires :
- "Vous savez, nous utilisons les mots argotiques pour
plaisanter avec les autres"
Ainsi, les termes "plaisanter", "s’amuser", "ambiancer" (qui signifie "s’amuser") montrent, le caractère humoristique des créations des élèves. Ici, donc l’on note que c’est l’aspect ludique qui motive l’utilisation des mots argotiques. b. L’effet de mode
La mode joue un rôle important dans la création
des mots. À ce sujet voici quelques propos de certains enquêtés
:
Ainsi, les expressions "c’est la mode", "être à la page" ("être à la mode"), "être branché" ("être à la mode"), parler comme ces camarades ivoiriens, montre l’importance qu’occupe la mode dans la création lexicale en milieu scolaire. Ainsi, on crée par plaisir mais également par imitation des habitudes collectives passagères de parler. c. La connivence
L'aspect grégaire du parler des élèves
est attesté à travers les propos du genre :
Il
y a bien sûr d’autres termes qui sont utilisés par les enquêtés,
mais celui qui revient le plus souvent est "les confidences".
d. La fonction identitaire Aux
dires des enquêtés, l’utilisation de l’argot vise également
à montrer la spécificité du parler scolaire par rapport
au français standard. Leur parler est donc un signum social.
L’utilisation de formes non standard a donc un rôle identitaire. Ainsi, les différentes créations utilisées par les uns et les autres sont des indicateurs du marquage identitaire du parler des élèves du secondaire. 3. Essai de définition du français parlé à l’école secondaire : sociolecte ou argot ? Nous tenterons de définir le français parlé à l’école secondaire en nous appuyant sur les propos des enquêtés et sur les définitions générales de l’argot et du sociolecte. Le sociolecte est un dialecte non artificiel propre à un groupe social donné. L’argot est un système clos, utilisé par le groupe pour se distinguer d’autres groupes parlant diverses variétés d’une langue. De plus l’argot est " un langage artificiel dans son emploi " (Guiraud, 1985 : 33). L’argot double le langage. C’est-à-dire que l’individu qui utilise le terme bagnole est conscient de l’existence du terme voiture. Dans le cas du sociolecte, l’individu qui utilise le terme bagnole n’est pas au courant de l’existence du terme voiture. Il n’a donc pas la possibilité de jouer sur les " mots " car il a une maîtrise insuffisante du français. Après l’examen des discours de nos informateurs, nous avons opté pour le concept d’argot, car parler de sociolecte reviendrait à comparer le parler des élèves à d’autres variétés de français en usage dans la communauté francophone burkinabè ce qui n’est pas le cas, car le français parlé à l’école secondaire est l’apanage uniquement du monde scolaire. Il a un usage limité et est artificiel dans son emploi. De plus, les élèves qui l’utilisent, savent qu’il existe une autre variété de français standard. À propos de leur parler, voici les traits caractéristiques cités par les élèves qui nous ont amenés à choisir le terme argot en lieu et place de sociolecte. 3.1. La référence à la notion d’argot
- "Le français des élèves est plein
de mots argotiques".
3.2. La fonction de différenciation Cette
fonction du parler des élèves apparaît également
à travers les propos du genre :
3.3. La fonction du "doublage" du langage Cette
fonction est attestée à travers les affirmations des enquêtés
:
ConclusionLa question de l’appropriation du français en milieu scolaire pose l’éternel problème de la redéfinition d’une pédagogie pour l’enseignement du français en Afrique. Tout le monde est aujourd’hui convaincu de la baisse du niveau des élèves en français. La principale raison évoquée pour expliquer cette situation est l’inadéquation des méthodes d’enseignement aux réalités socio-culturelles des apprenants. Mais force est de constater que l’utilisation de plus en plus de mots argotiques en milieu scolaire constitue une autre menace pour le français standard. En effet, l’on trouve de plus en plus certaines formes argotiques dans les rédactions des élèves et dans leurs productions orales. Dans un tel contexte que peut-on faire pour éviter la contamination du français standard par le français argotique ?En effet, notre investigation a montré que l’utilisation de formes non standards du français n’est pas seulement l’affaire des garçons comme on avait tendance à le croire jusqu’à une époque récente. Aujourd’hui, les filles utilisent des formes argotiques au même titre que les garçons. Face à l’apparition de ces formes deux tendances s’affrontent : il y a d’abord les élèves qui estiment que leur pratique ne peut pas influencer leur pratique en classe dans la mesure où elle n’est pas tolérée dans ce cadre. Par conséquent, ils souhaiteraient avoir la possibilité d’utiliser leur système qui a essentiellement une fonction crypto-ludique. Pour les enseignants au contraire, il faudrait interdire l’usage de formes non conformes au français enseigné à l’école secondaire dans les lycées et collèges de Ouagadougou, si on veut que les petits Burkinabè puissent maîtriser la langue française au même titre que leurs camarades Français. Pour notre part, nous pensons plutôt que les enseignants devraient plutôt chercher à connaître d’une part, les formes argotiques et d’autre part, les raisons qui amènent les élèves à utiliser ces formes, car à notre avis l’usage des expressions argotiques pourrait être lié à une recherche d’une certaine identité dans la communauté francophone burkinabè. Ce que l’on pourrait traduire en ces termes. "Attention, nous aussi nous existons et nous sommes également capables de créer nos propres mots" en fonction de nos besoins et de nos réalités socio-culturelles (Napon, 1992 : 110). La prise en compte de ces réalités permettrait selon nous, aux enseignants d’amener les élèves à s’intéresser au cours du français car beaucoup d’entre eux sentent de plus en plus l’apprentissage du français comme une "corvée". Cette situation explique souvent le manque de motivations des apprenants à suivre les cours de français au secondaire. Bibliographie NAPON A., (1992). Étude du français des non lettrés au Burkina Faso, thèse de doctorat unique, Université de Rouen, 322 p. NAPON A., (1995). "Les inscriptions sur les enseignes : un exemple de gestion de la langue par ses locuteurs", Annales de l’Université de Ouagadougou, série A, vol III, pp. 1-13. |