LES EMPLOIS DE PRONOMS PERSONNELS EN FRANÇAIS ORAL AU CAMEROUNUniversité de Yaoundé I - Cameroun
00. Introduction 01. L'appellation pronom représentant désigne tout morphème employé comme substitut d'une partie du discours dite prédicative : nom, verbe, adjectif, adverbe ou proposition. Aussi le pronom personnel assurera—t—il une représentation d'un antécédent éventuel dans le système de la personne en corrélation avec le groupe verbal au sein d'un énoncé. Comme les pronoms personnels constituent une catégorie complexe de morphèmes à cause de leurs contraintes morpho-syntaxiques, leur usage peut donc être révélateur de la compétence grammaticale d'un locuteur en français. 02. Les constructions pronominales au Cameroun révèlent, sans doute, un processus de dialectalisation en cours, à travers différents types d'appropriation chez les locuteurs de niveaux différents. Afin de cerner cette question, nous présenterons d'abord notre cadre méthodologique. Ensuite, partant d'une structuration guillaumienne en termes de prédicativité et de non-prédicativité dans la catégorie des pronoms, on procédera respectivement à une analyse des constructions fautives et des différentes valeurs expressives. 1. Le cadre méthodologique 1.1. Du corpus
Le corpus a été constitué à l'aide d'une série
d'interviews enregistrés sur le poste national de Radio-Cameroun
(années 1985 et 1986). Des citoyens, d'origine souvent rurale ou
appartenant à n'importe quel groupe socio-culturel, sont à
la recherche de leurs membres de famille disparus et sollicitent l'aide
de la Radio-diffusion, afin qu'elle lance des messages de détresse
sur l'ensemble du territoire camerounais. La technique utilisée
repose sur une série de questions/réponses, où l'intervieweur
amène son informateur à spécifier autant que possible
la personne recherchée, aux fins d'une éventuelle identification
par des auditeurs. Les informateurs se font quelquefois accompagner de
traducteurs, quand ils ne peuvent pas s'exprimer directement en français.
1.2. Les principes théoriques
D'après Moignet (1967 :76), "Un pronom est un substantif purement
formel, dépourvu de matière notionnelle particulière
que le discours peut requérir. C'est une forme vide de matière
d'expérience d'univers, qui, parce qu'un substantif serait impossible
ou inopportun, en tient la place en recevant de la situation ou du contexte
une charge notionnelle de circonstance". Le pronom personnel remplacera
donc la désignation d'un être par sa situation dans le système
de la personne ; mais il faudra en outre que son interprétation,
dès le plan de la langue, s'effectue dans le système de la
prédicativité.
2. Les constructions fautives 2.1. En guise de rappel
La pronominalisation est une opération syntaxique de substitution
grâce à laquelle un nom est remplacé par un pronom,
mais suivant un processus où ce pronom sera déterminé
par les variations morpho-syntaxiques du substantif pronominalisé.
La pronominalisation permet d'éviter la redondance et de créer
des liens anaphoriques dans l'énoncé.
2.2. Les confusions dans la catégorie des clitiques Certaines fautes dans la pronominalisation, à l'instar des confusions de genres grammaticaux (masculin/féminin) sont courantes en français oral du Cameroun. Mais elles ne présentent pas un intérêt majeur. Aussi abordons-nous directement les fautes de cliticisation. 2.2.1. Les clitiques sont des formes faibles de pronoms qui précèdent (proclitiques) ou suivent (enclitiques) immédiatement le verbe. Ils n'ont pas d'autonomie syntaxique par rapport aux prédicats verbaux qui sont leurs supports. Le français oral présente au Cameroun des constructions approximatives en la matière. Type : Ce qui lui fait énerver: En d'autres termes, une dépendance syntaxique doit déterminer le type de pronom clitique requis par la catégorie lexicale du verbe, ce que souligne Jose Delofeu (1991 : 21) en ces termes :"la notion de rection par une catégorie grammaticale suppose qu'il existe des contraintes de forme imposées par l'unité rectrice sur l'unité régie (…) L'élément recteur contraint le régi en le faisant entrer dans un certain paradigme : être régi par le verbe, c'est être affilié par lui à une organisation paradigmatique."
Ainsi, à partir de sa catégorie lexicale
définissable (en termes de traits paradigmatiques), un verbe sélectionnera
les éléments pronominaux qui entrent dans sa réalisation
syntaxique.
Et sa camarade là elle loue avec avec moi ensemble alors c'est celle que elle sort avec lui (L3, 104). Je n'ai pas donné l'enfant avec mon mari là j'ai donné un seul l'enfant à la maison (L2, 30) 2.2.2. Du reste, face aux contraintes de cliticisation
déterminées à partir des valences verbales, le français
oral a continuellement simplifié la déclinaison pronominale,
en remplaçant les morphèmes déclinables requis par
des pronoms invariables, offrant des virtualités référentielles
approximatives. Ce sont des morphèmes tels que ça, cela.
Voilà la grand'mère de ta femme est morte je lui ai donc dit ça d'attendre je m'en vais seul (L2, 98). Alors qu'est ce qu'il raconte au sujet de la manière dont Amandja Isidore a disparu + Cela s'est passé concrètement comment (L2,56). Dans les exemples suivants, le pronom adverbial y "ycroire" est glosé par en ça tandis que le pronom adverbial enne figure que dans des constructions agrammaticales. Je prie à mon mari de rentrer à la maison (…) je lui en prie de venir pardon s'il ne vient pas il vient quand même chercher les enfants (L2, 119). 2.2.5. Enfin, il existe des constructions plus surprenantes qu'on trouve chez des locuteurs de niveau basilectal, car certaines rections sont carrément absentes de la combinatoire verbale et laissent paraître des incomplétudes syntaxiques : La même incomplétude syntaxique se note avec les omissions du pronom en. Il en est ainsi de cet exemple où la forme j'en aifait défaut à l'énoncé. J'ai : Six. (L1 et L2, 131.) 2.2.6. Anne Dagnac (1996 : 201-206) a abordé
cette question en étudiant l'ellipse pronominale dans le français
journalistique en Afrique de l'Ouest. Dans ce type d'énoncé,
la question majeure n'étant pas la recherche d'une référence
spécifique, "l'absence de complément spécifié
suggère peut-être que là, justement, n'est pas l'important,
c'est l'information nouvelle qui est mise en exergue".
2.2.7. Dans notre approche théorique,
nous avons rappelé, avec Moignet, les deux opérations successives
dans la genèse du pronom personnel français :
De plus, Moignet (1973 : 377) a fait état, dans la déclinaison pronominale (reflet de l'incidence verbale), des deux types d'incidence à l'effection. "on y distingue l'objet primaire et l'objet secondaire (…). On a ainsi : Cas-régime 1 et cas-régime 2 : me, te, se ;en face de : Cas-régime 1 : le, la, les ;Cas-régime 2 : lui, leur". Il est logiquement fondé que, d'un point de vue syntaxique, l'objet évoqué (objet direct) tout comme l'objet invoqué (l'objet indirect) soient en affinité sémantico-syntaxique avec l'être invoqué au préalable par la sémantèse verbale, même si cette affinité n'est pas totale. C'est ce que l'on relève en principe dans le français central. Mais en français oral basilectal, ces contraintes logico-syntaxiques de projection ne sont pas respectées. En revanche, le français oral du Cameroun — en fonction de la compétence linguistique des locuteurs — a développé un véritable système des effets de sens, grâce à plusieurs valeurs expressives. 3. Les valeurs expressives
On se propose à ce niveau d'analyser les emplois
prédicatifs des pronoms, à partir des différentes
valeurs expressives auxquelles ils se prêtent.
3.1. Le pronom d'intérêt personnel Il s'agit d'un emploi particulier du pronom personnel objet secondaire que l'on appelle"explétif d'intérêt personnel". Ainsi employé, le pronom personnel (de première ou de deuxième personne) permet de marquer l'intérêt que le sujet parlant prend à l'objet de son énoncé. Ainsi de cet exemple où les pronoms moi/mesont des datifs d'intérêt, car une fillette est invitée à exécuter certaines tâches domestiques au profit de sa mère : Ces constructions présentent certains caractères contraires à la norme puisque le représenté et le représentant figurent dans la même proposition. Le syntagme ainsi placé en extraposition est souvent détaché du reste de la phrase par une pause. Même si le français oral ne présente pas de construction typique, le résultat reste toujours la production de pléonasmes. C'est le cas de cet exemple où l'antécédent et le pronom anaphorique sont employés dans la même proposition, afin de traduire un effet d'insistance. C'est le cas ci-dessous. Le pronom il est doublement marqué grâce à l'anaphorique lui ; J'ai déjà demandé à l'un(e) de ses ami(e)s que je le connais il me dit qu'il ne lui sent pas… (L1 et L2, 131).
D'après Georges et Robert Le Bidois (1935 :
142), on parlera de ce type de valeur expressive, chaque fois que le pronom
personnel est employé d'une manière telle qu'il "ne s'applique
pas à une personne déterminée, mais est dit comme
à la cantonade pour prendre en quelque sorte le lecteur lui-même
à témoin".
Il existe en français oral des expressions telles
que : même, seul, en personne, qui permettent d'obtenir des
renforcements de pronom.
En français oral, l'expression en personneou personnellementjoue le même rôle. C'est le cas ci-dessous :
La langue offre la possibilité d'employer les
déictiques avec une valeur décalée par rapport à
leur valeur usuelle ; c'est ce phénomène qu'on désigne
"enallage", ce qui permet, d'après Catherine Kerbrat-Orecchioni
(1981 : 64), "aux shifters de déraper et d'effectuer leur ancrage
sur "des points de référence" décalés par rapport
aux coordonnées énonciatives effectives. Toutes les unités
déictiques qui s'organisent en fonction du locuteur et de son inscription
spatio-temporelle sont dans certaines conditions susceptibles de venir
graviter autour de l'allocutaire ou d'une tierce personne actant de l'énoncé".
Mais qu'est-ce qu'on se dit (…) au sein de la famille depuis qu'on a perdu trace de votre frère … (L2, 64). Enfin, le pronom ça demeure également prédicatif dans la mesure où il s’emploie pour toutes les catégories de référents. Comme le pronom on,il n’implique pas une délimitation précise dans les situations de discours : Opérant sur le plan spatial, ils traduisent la perception de l’être agissant, en mouvement. Prédicatifs dès la langue, ils sont virtuellement en discours, selon la formalisation, agents ou patients ; c’est pourquoi, leurs valeurs signifiantes ne peuvent être que très variées. À juste titre, ils peuvent même être précédés d’une préposition ou du présentatif c’est,puisqu’ils sont semblables aux substantifs, grâce à leur prédicativité. Le français oral exploite pleinement ces potentialités à des fins expressives, quelle que soit l’échelle d’appropriation (vernaculaire ou fonctionnelle). On est sans doute au cœur d’un processus de dialectalisation, à cause de l’incidence des interférences linguistiques. À ce niveau, le français oral réussit sans ambages à intégrer les substrats sémantico-stylistiques des dialectes camerounais. Conclusion générale
Nous avons étudié les constructions fautives des pronoms
personnels en français oral du Cameroun. En interprétant
les fautes d’un point de vue sémantico-syntaxique, nous avons mis
en lumière l’incapacité des locuteurs de niveaux basilectaux
à structurer la combinatoire verbale à partir des distributions
des formes clitiques. Dans certains cas, afin d’éviter des fautes
grossières, les locuteurs africains ont recours aux pronoms-valises,
à vaste capacité de référentialisation. Ces
particularismes contribuent sans doute à un processus de dialectalisation
en cours, car ces pronoms-valises transcendent la bipartition prédicatif/non-prédicatif,
à des fins d'expressivité. En ce qui concerne ces valeurs
expressives, nous avons essayé de les organiser en systématique
d’effets de sens. Il en ressort que le substrat sémantico-stylistique
a été pris en charge avec une grande souplesse par le français,
ce qui prouve, explique aussi, qu’il y a une dynamisation du français,
à l'œuvre, sur le continent noir.
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