SPÉCIFICITÉ DU LEXIQUE ET DES THÈMES
DU ROMAN
AFRICAIN D’EXPRESSION FRANÇAISE
Résumé de thèse
Maureen Lemoine
Université de Paris III
Cette étude prend naissance aux confluents de plusieurs domaines
de recherches : linguistique, sociolinguistique, ethnologie, linguistique
quantitative et littérature. Il est évident que les sujets
qui allient la linguistique et l'informatique peuvent être très
nombreux. Il est intéressant de pouvoir creuser la recherche informatique
en prenant pour base un corpus littéraire.
La littérature d'Afrique Noire francophone a été étudiée,
cataloguée, expliquée, enseignée au travers des dizaines
d'ouvrages, de recueils, d'articles et d'anthologies. La plupart des textes
possèdent une certaine renommée littéraire. Mais cette
renommée reste confinée aux cercles de recherches littéraires
et linguistiques, à certaines UFR de littérature et à
une partie des lecteurs. Cependant, il subsiste toujours la difficulté
de définir avec exactitude ce qu'est la littérature africaine
francophone. De nombreux spécialistes donnent leurs critères
de délimitation sans réellement résoudre le problème.
Littérature exophone, littérature négro-aficaine,
littérature néo-africaine, tous s'accordent à considérer
cette littérature comme la production d'auteurs noirs qui se sentent
animés de "l'âme noire".
Vingt-six œuvres littéraires ont été collectées.
Romans, contes et nouvelles, tous appartenant au genre fiction, s'échelonnent
dans le temps, de 1947 à 1995, et concernent une partie de l'aire
subsaharienne, puisque les sept pays retenus s'étendent le long
du littoral du Sénégal au Congo. L'Afrique est une et multiple.
Lorsque l'on parle de culture traditionnelle africaine, de langues africaines,
de coutumes, de rituels, de peuples, de climats, d'environnement, il faut
en parler au pluriel. C'est pourquoi les vingt-cinq auteurs représentés
dans cette étude, tous issus d'une éducation différente,
sont un premier reflet de cette multiplicité. L'idée première
fut alors d'aborder les spécificités lexicales et thématiques.
Grâce à l'ordinateur, des regroupements thématiques,
stylistiques et un dictionnaire ont été constitués.
Le français en Afrique, qui fait l'objet de nombreuses études
de terrain, est envisagé sous l'angle littéraire. En effet,
la littérature africaine sous l'aspect "occidental" du terme, c'est-à-dire
écrite, représente une mine de renseignements linguistiques,
qui ne sont guère abordés dans les études traditionnelles.
L'apport de cette étude permet d'ouvrir la recherche sur le vocabulaire
utilisé et de comprendre les motivations des écrivains.
Tout d'abord, il a fallu transformer cet objet en objet capable de rendre
compte des attentes de l'auteur. Les 4651 pages papier ont été
modifiées afin de devenir exploitables par un ordinateur. La scannérisation
a permis de réduire cette masse en 1565 pages au format traitement
de texte, soit 5 551 434 caractères. Puis un travail de relecture
et un passage au correcteur orthographique ont annulé les problèmes
de reconnaissance de caractère. Un travail de recherche dans les
dictionnaires et les encyclopédies a permis de faire la différence
entre faute de l'auteur ou orthographes multiples.
Une fois "nettoyée", cette base pouvait être introduite dans
le logiciel Hyperbase 3.0, suivant un jalonnage spécifique, afin
d'être quantifiée, découpée, classée.
Car, à l'inverse des sciences dites "exactes", les corpus linéaires,
soumis aux rigidités d'une morphologie, d'une syntaxe et d'un sémantisme
nécessitent un jalonnage informatique et une autre méthode
d'appréhension. La linguistique quantitative assistée par
ordinateur met à notre disposition des outils informatiques performants.
Comme son nom l'indique, cette spécialité se fonde sur des
principes quantitatifs. L'ordinateur aide le chercheur à mettre
de l'ordre dans son corpus, lui permet d'entrevoir des pistes intéressantes
et l'aide à se diriger dans les méandres du texte et des
chiffres.
Les chiffres ainsi obtenus prennent d'illustrer les démonstrations,
que ce soit du point de vue lexical, sémantique, grammatical ou
encore sociolinguistique. Si nous utilisons ces données chiffrées
à des fins arithmétiques, ce que l'on appelle aussi La Statistique,
les résultats obtenus donnent une information sur le style ou le
degré d'érudition de tel ou tel auteur.
Le terme "francophonie" rend compte d'une réalité linguistique
et d'un enjeu mondial. Le français n'est pas la propriété
d'un seul pays et il est parlé sur les cinq continents. Le français
est donc une langue internationale. Au sein de la francophonie, le français
ne recouvre pas les mêmes réalités linguistiques. Langue
maternelle, langue seconde, langue véhiculaire, langue officielle,
langue résiduelle ou langue étrangère, le français
ne revêt pas le même statut. Cela s'explique par les aléas
historiques. En Afrique, le français a été introduit
par la colonisation. Dans certains pays, le français a été
gardé comme langue officielle. Cette langue est utilisée
par l'administration et l'enseignement. Langue étrangère,
elle est une langue à vocation internationale, et permet aux États
africains d'avoir un rôle au sein de la mondialité. De tout
temps, le français a porté une forte connotation de réussite
sociale. En Afrique, les locuteurs évoluent dans des situations
de diglossie où chaque langue est délimitée dans ses
emplois. La francophonie est vecteur d'un certain art de vivre et d'une
certaine mentalité où l'art et la culture prédominent.
Largement descendu dans les rues africaines, le français acquiert
tour à tour divers statuts : langue de communication internationale,
langue d'échange inter-ethnique, langue de culture et de scolarisation.
La langue parlée au-delà de la Méditerranée
est aussi réelle et aussi intéressante que le français
dit "standard" de Paris. L'auteur africain francophone se situe à
la croisée des chemins. Dans une langue qui n'est pas la sienne,
il fait le pari de raconter son peuple, de dire les envies et les espoirs
qui animent les Africains. Peu à peu, son langage littéraire
va s'imprégner de tournures qui lui sont chères. Syntagmes
issus de sa langue maternelle, ou bien reflétant sa performance
francophone. Le français d'Afrique est linguistiquement pétri
par de nombreux apports : le français colonial, les emprunts aux
langues locales, les variantes individuelles, la non-adéquation
aux niveaux de langue, les glissements de sens, les créations lexicales,
voire même les calques syntaxiques ou sémantiques. Si l'on
admet que la littérature africaine comporte une part importante
de la culture, il n'est pas surprenant que de nombreuses figures de rhétorique
y trouvent une place de choix : proverbes et dictons, locutions, expressions
africaines, expressions "revisitées", noms propres porteurs de sens
ou métaphores et comparaisons avec le milieu naturel.
Le français actualisé sur l'ensemble du continent noir est
un continuum ayant une base historique commune, que les locuteurs ont transformé
par des apports divers, liés à la multitude de cultures et
de langues locales. À côté des nombreuses langues locales,
il existerait un nombre important de variétés du français.
Certains chercheurs estiment qu'il existerait aussi un français
assez proche du français "standard" de France utilisé par
les hommes politiques et les lettrés. La question essentielle est
de pouvoir délimiter chaque variante du français. En ce qui
concernait cette étude, l'objectif fut de relever de manière
exhaustive, sans critère géographique, tous les éléments
qui donnent sa saveur à la littérature noire.
Tout au long des textes les éléments lexicaux ou stylistiques
propres aux variétés francophones ont été relevés
et classés. Bien entendu, le français ici décrit est
celui rencontré dans la littérature. Ce n'est donc pas tout
à fait le même français que l'on peut entendre au coin
d'une rue ou au détour d'un étal de marché. La langue
étudiée est soumise aux phénomènes linguistiques
: origine et scolarisation du locuteur, situation externe de communication
(l'objet littéraire), situation interne de communication (paroles
des personnages), degré d'imprégnation du français
(langue d'appropriation, "petit-nègre", langue outil) et linéarité
de la parole. Partant de ce constat, on peut se voir contester cette étude
sur du français "littéraire", soumis aux exigences stylistiques
et grammaticales du français, immuable et quelque peu artificiel
car ne traduisant pas réellement les compétences et les perfonnances
ni des écrivains, ni des personnages. De plus, ce français
décrit ne sera qu’un pâle reflet de ce qui est sensé
être transposé, puisque le lectorat principal de ces œuvres
se situent en général dans les zones occidentalisées
de l'aire francophone. Sur place, les masses populaires sont encore trop
peu scolarisées, et le prix de vente d'un livre est souvent prohibitif
pour pennettre l'accès à la culture.
Le degré d'éducation des auteurs peut aussi faire douter
de la réalité d'un "français africain". Tous sont
en majorité d'anciens étudiants ou travailleurs sont venus
en France dans leur jeunesse. Leur français est surveillé.
Il pourrait ne pas refléter le véritable visage d'une écriture
typiquement africaine. Ces contraintes font de leur « français
littéraire » un objet quelque peu aseptisé, teinté
quelques fois de mots et de tours d'esprit africains afin de le replacer
dans son contexte et de lui attribuer une paternité? historique.
C'est justement l'ambiguïté dans laquelle se situent les écrivains
noirs, qui évoluent entre deux cultures, entre deux langues et deux
manières d'appréhender le monde.
Généalogies, récits historiques, légendaires,
contes, fables, proverbes, énigmes et mythes constituent la tradition
orale africaine. Même si l'écriture n'appartenait pas à
leur méthode communicative, il n'empêche que cette richesse
orale constitue une vraie littérature. Pour les Africains, la parole
doit être libre car elle contient en germe la vie. Écrite,
donc figée, elle représenterait la mort de la tradition.
De plus, elle serait susceptible d'être accaparée de tous,
alors que la parole est un joyau appartenant aux traditionalistes conteurs
qui se chargent de la faire vivre dans le cœur de l'assemblée. Dans
lajuste continuité de la tradition orale où griots et musiciens
perpétuent la mémoire vivante du peuple, où les palabres
sous le baobab permettent de se mesurer en joutes oratoires, les écrivains
africains travaillent avec les moyens modernes et sont à leur tour
les "troubadours" des temps nouveaux.
La notion de littérature d'ailleurs induit-elle nécessairement
la notion de mot exotique ? Sûrement, dès que l'on franchit
les frontières de son pays, puisque la littérature est le
reflet de la langue. Les langues vivantes ont toutes en commun le procédé
naturel d'enrichissement lexical, et comptent une quantité extraordinaire
d'emprunts ou de glissements de sens suite au contact entre les peuples.
Une nécessité de communication pousse les locuteurs à
intégrer de nouveaux mots dans leur système commun. Quand
une réalité qui n'existait pas jusqu'alors apparaît
dans la vie quotidienne, l'emprunt est nécessaire.
L'emprunt est produit par l'arrivée d'un objet ou par des laits
culturels nouveaux. L'emprunt peut être issu de la création.
La création se fait par suffixation (enceinter), par préfixation
(co-épouse) ou les deux (dévierger). Inversement,
quand une langue emprunte un terme, elle emprunte aussi la réalité
qui lui est liée ; l'usage se charge par la suite d'éliminer
l'un ou l'autre sens en y collant un sens spécifique, parce que
ce nouveau terme était en concurrence sémantique avec le
terme originel. Quelle que soit leur nature et leur mutation, les emprunts
sont avant tout pragmatiques et il n'existe pas de langue pure.
Le dictionnaire des spécificités lexicales constitué
à l'occasion des travaux de l'auteur, contient 1936 formes qui enrichissent
le fonds lexical francophone. Objectivement, tous les termes relevés
sont des emprunts. Du fait que l'auteur soit africain francophone, il décrit
en français des réalités africaines. Il a donc un
langage issu de plusieurs sources. Il emprunte par son écriture
au français standard, il écrit le français parlé
dans son pays qui a emprunté au français standard et aux
langues locales. Il fait parler des personnages en utilisant des termes
locaux. Les emprunts se font à tous les niveaux de la production,
de l'auteur aux personnages, et dans les deux sens, du français
sur les langues africaines, du français sur le français d'Afrique
et des langues locales sur le français (standard ou d'Afrique).
Souvent il est démarqué dans le discours écrit. Des
marques métadiscursives mettent en relief l' "exoticité"
du terme, au profit de lecteurs, ignorant la culture.
Les autres nomenclatures concernent notamment les passages en "petit nègre".
Le petit nègre est la production minimale d'une langue dont le locuteur
ne marie pas les règles morphosyntaxiques ni le vocabulaire. (--
Missé toi pâti ! Ici, maison pour nous, pas maison pour Blancs
! Vendredi manzé riz enfants, moi coupé cou Vendredi, enfants
gagné manzé, c'est quitte !... (bb p. 125 » La
prononciation peut être très marquée par la substitution
phonétique de certains sons. (Movié / Mon vieux, Missié
/ Monsieur)
L'oralité retranscrite peut rendre compte de la tradition orale.
Cette transposition d'énoncés typiquement africains procèderait
d'une fonction de discursivisation, sous forme de narration directe ou
sous forme de paroles de personnage. Les énoncés ainsi présentés
au lecteur sont des ethno?textes, c'est à dire des modèles
littéraires de la tradition Africaine ou des actes de communication
habituelle. Ce sont les placages bruts de sentences étrangères
qui concernent les salutations, les interjections, des conseils, des chants
et des morceaux de dialogues. Traduits ou non, on constate que la présence
d'énoncés africains indiquent d'une certaine manière
l'attachement de l'auteur à sa culture, et replacent les personnages
par rapport au texte. L'émotionnel perrnet la production de ces
formes verbalisées. (Et voilà que son ami Iguane?fils le
regarde et se met à pleurer en chantant : E-ni mô su-han
bè n‘zu n’zô, E-lan mô b è su-han bè n’zu
n'zô, Bè sun akolou minsan miahlô... ô-ô,
Amo zihaba miahlô... ô-ô ! (pn p.76))
Sur le continent noir, la langue est un don et se voit respectée
tant elle est impliquée dans la vie sociale et culturelle. Chaque
message, sous une image plaisante porte à dessein une conduite de
vie. (Des frères peuvent se battre le matin et dormir dans le
même lit le soir (Cs p. 189) : se faire pardonner, Il faut
d'abord adhérer à une société secrète
avant d'en briguer la chefferie (bK p. 40) : patience) La parole décrit
le monde, le catégorise, tisse des liens avec les personnes et agit
sur l'univers tout entier. De nombreuses sentences sont intégrées
au roman après avoir subi une toilette stylistique : syntaxe reformulée,
conjugaison, insertion d'éléments narratifs ou romanesques
pour illustrer et rallonger le proverbe, voire reformulation entière
sous forme de développement. L'utilisation de sentences africaines
permet de présenter un autre univers à des lecteurs habitués
à manipuler des images plus appropriées à leur type
de vie. Le roman peut alors faire œuvre didactique : des joyaux sont dévoilés,
la richesse orale est mise en évidence.
Les personnages du récit entretiennent aussi un rapport étroit
avec le proverbe et le dicton. Ils tiennent des propos souvent illustrés
par un bon mot. Même si elles sont tombées dans le langage
populaire, elles restent tout de même vivaces. Dans les œuvres littéraires,
la majorité des sentences traditionnelles sont le fait des personnes
âgées. Cela montre bien que l'autour est conscient de la dichotomie
existante entre les générations et les lieux de vie. En écrivant
français où se situe-t-il ? Est-il un spectateur impuissant
face à la tragédie linguistique et culturelle qui s'opère
sous sa plume, ou est?il un acteur fervent qui se plait à pousser
à l'extrême la séparation entre les deux mondes africains
?
Lors du passage à l'écrit, il semble que l'auteur use du
proverbe comme à l'oral. Outre la pertinence du proverbe formulé
en un certain point du récit (en corrélation avec la situation
de discours), il est possible de déceler dans la relation qu'entretient
l'auteur avec son écrit et son antécédent socioculturel,
des critères implicitement liés aux proverbes. La présence
de proverbes et de dictons situe l'auteur dans une aire culturelle et
géographique. Ensuite, le proverbe est un élément
qui illustre les fondements sociaux et culturels de la société
en question. En cela, son utilisation volontaire dans la littérature
écrite montre l'attachement de l'auteur à sa culture maternelle.
Même si, comme le prétendaient certains, l'auteur de première
génération était un être écartelé,
il montrait et montre toujours de nos jours, par son écriture, le
lien qu'il entretient avec son peuple et le pays qu'il représente.
Il était peut-être "aliéné" par la langue, mais
il demeure Africain de cœur.
Une autre nomenclature concerne les expressions. Les expressions populaires
sont des formes syntaxiques simples et ne contiennent pas de morale. Beaucoup
sont des locutions verbales. Les expressions sont des images tombées
dans le langage courant. Le sens émerge de l'assemblage des mots.
(Tomber comme une pluie qu'on attendait, Sécher le ventre).
Partout dans le monde, l'analogie se basant sur une image est naturellement
introduite dans le langage. Comparer c'est montrer à soi ou à
l'autre la ressemblance d'une situation avec une chose connue. La comparaison
peut être flatteuse (des seins d'ignames, durs et luisants)
ou au contraire déshonorante (son odeur d'huître fermée).
Pour mettre en relation deux termes, il existe des procédés
qui usent d'une particule grammaticale (comparaisons) et d'autres qui ne
l'utilisent (tropes). D'une langue à l'autre, les champs sémantiques
et lexicaux sont différents pour découper la réalité.
Chaque communauté désigne la réalité physique
ou mentale par ce qui lui est significatif. (Être long comme dix
acajous placés bout à bout (pn p. 87), Être noir comme
le serpent noir couché dans un champ de manioc (VC p. 175))
Dans le corpus littéraire, des placages entiers ont été
aussi relevés. Avec ou sans traduction, ils sont écrits en
latin, en espagnol ou en anglais. Ces passages en langues étrangères
ont une fonction précise par rapport au reste du texte. Sentences
religieuses, expressions littéraires, bilinguisme d'un personnage,
tentatives linguistiques ou expressions à la mode, elles sont comme
un appel. Elles situent soit l'auteur, soit les personnages dans un panorama
sociolinguistique.
L'étude du nom propre au sein de la société africaine
a aussi été abordé. Le nom propre place l'individu
dans la société. Bien plus qu'une simple étiquette,
le nom propre comporte des messages adressés aux autres personnes
de la communauté ou aux forces supérieures. De nombreux exemples
montrent que le nom du personnage entre en adéquation avec la situation
ou la morale du texte. (Le Général Bwakamabé Na
Sakk-adé est "un mauvais à jeter" et le colonel Kaputula
est un "short court"). D'autres noms propres transposés en français
procèdent du même phénomène (Gosier-d'Oiseau).
Certains personnages de contes ont le prénom de la race qui les
caractérise, comme les animaux anthropomorphes de B. Diop, qui ont
la particularité d'avoir un double nom wolof/français (Khatj-le-chien).
Les pistes quantitatives sont aussi différentes que le sont les
chercheurs. Déjà le corpus de l'un ne recouvre pas forcément
le corpus de l'autre, ni par sa taille, ni par son genre, ni par sa provenance.
Ensuite, les motivations de ceux qui utilisent les mathématiques
pour venir au secours d'une étude lexicale ne vont pas dans le même
sens. Hyperbase calcule les proportions, les moyennes et les probabilités
des termes. Ce logiciel se base surtout sur les écarts réduits
calculés selon la loi de Pearson. L'analyse factorielle répartit
les textes sur un schéma à trois dimensions, où l'on
voit les regroupements. On peut y détecter des ressemblances non
remarquées par les chiffres car tous les paramètres sont
repris en compte, chose que le cerveau humain ne peut pas toujours faire.
En tout acte d'écriture préexistent des facteurs "paralittéraires",
des éléments qui en forgent le sens profond. Il s'agit de
l'histoire, de l'histoire sociale, du niveau social de l'auteur, de son
sentiment linguistique par rapport à la langue empruntée,
ou de son degré d'attachement à la culture traditionnelle.
Ces facteurs "discrets" se reflètent dans la littérature
africaine avec force. Surtout les écrivains de première génération,
ils se sont retrouvés dans une situation instable, presqu' éloignés
de leur groupe d'origine. Ni Français, ni plus tout à l'ait
Africains, leur identité était incertaine. Assimilés
à la culture française par la langue et aliénés
à la culture traditionnelle. Ayant rompu avec la vie authentiquement
africaine, ils se sont engagés dans un long chemin pour parvenir
jusqu'à nous sous la forme d'une littérature entièrement
libre d'expérimenter de nouveaux thèmes et d'aborder une
manière d'écrrire beaucoup moins soumise aux curiosités
déplacées. Cette littérature montre, non pas LA culture
française mais UNE culture francophone qui mérite une place
au sein du marché mondial.
Pour être reconnu, l'auteur utilise une langue à large diffusion.
Aussi, n'est-il pas "critiqué" par les siens mais par des individus
externes à son monde. Le seul moyen de diffusion à échelle
mondiale reste le livre, ou du moins la trace écrite, mais le taux
d'analphabètes est encore trop élevé. Du choc des
cultures sont nées des générations d'individus ayant
en partage deux traditions, l'une ancestrale, l'autre récente.
Le texte littéraire devient un vecteur de l'ensemble des valeurs
dans lesquelles se reconnaît un groupe humain. Tout le pan culturel,
social et sociologique est perçu au travers l'œuvre littéraire.
Les arts sont un échappatoire idéal pour dénoncer?
et aspirer à des J'ours meilleurs. Ordo ab chaos. Du chaos
sortira l'ordre. Maintenant, avec la nouvelle génération
d'écrivains, la langue française semble intégrée.
Elle fait partie du bagage intellectuel de l'auteur. Celui?ci s'est approprié
la langue que ces a~ieux ont nié sous prétexte de perte d'identité.
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