LE FRANÇAIS EN AFRIQUE NOIRE À L'AUBE DE L'AN 2000 :
ÉLÉMENTS DE PROBLÉMATIQUE1

Suzanne Lafage
Université de Paris III



Un certain nombre d'ouvrages concernant la Francophonie décrivent l'Afrique noire francophone comme un réservoir potentiel de locuteurs et considèrent que ce continent, avec sa puissante démographie, constitue un espoir pour le maintien du rôle de langue internationale jusqu'à présent dévolu au français. Qu'en sera-t-il en réalité ? Peut-on en analysant les événements sociolinguistiques de ces dernières années du XXe siècle, avancer quelques pronostics qui puissent sembler raisonnablement fiables ?
Je tenterai, tout en faisant un rappel succinct des phénomènes principaux concernant la récente situation du français à travers l'Afrique noire dite d'expression française, d'exposer quelques-uns des traits saillants qui caractérisent l'évolution de l'appropriation de cette langue par les états africains concernés, au cours des dix dernières années, avant d'avancer une problématique prospective prudente.

1. Principales caractéristiques du français en Afrique noire dans les années 80.
 
Il faut, pour décrire brièvement les années 80, rappeler un certain nombre de réalités généralement plus ou moins clairement appréhendées.
a) D'une part, partout, le français est une langue importée par la colonisation et dont l'implantation a prospéré — avec plus ou moins de problèmes, ici ou là — jusqu'à nos jours. Il ne s'agit certes pas de "français langue maternelle" (encore que, depuis les Indépendances, de petits groupes de locuteurs-natifs aient fini par apparaître et se développer en milieu urbain dans certains pays). Mais il ne s'agit pas non plus, pour la plupart des nations africaines dites francophones, de "français langue étrangère" car, pour une bonne partie de la population, la langue importée joue un rôle important et sans cesse grandissant dans la communication nationale usuelle. Elle a peu à peu occupé une place indéniable dans l'environnement quotidien (administration, politique, techniques, commerce, justice…) et dans les média (radio, télévision, journaux, cinéma…). Cependant, bien que son apprentissage soit généralement scolaire, on trouve, à peu près partout, spécialement en milieu urbain, dans les populations analphabètes, des groupes relativement nombreux, qui acquièrent la langue officielle directement par contact. Ainsi vaudrait-il mieux actuellement parler, d'un point de vue descriptif, de "français langue seconde" (même si dans les faits, parfois, il n'intervient qu'en troisième ou quatrième position dans l'ordre des acquis linguistiques), voire, comme l'ont osé certains, (Dumont, 1990), de français langue africaine,tant le français a pris place comme medium usuel dans le paysage linguistique africain.
b) D'autre part, le français ne s'est pas implanté partout de la même façon ou à la même époque (colonisation belge / française / territoires sous-mandat, côte ou intérieur du continent, continuité depuis une centaine d'années/ retour vers le français après une période de séparation comme en Guinée..). Il n'a pas rencontré les mêmes problèmes ni les mêmes conflits linguistiques dans toutes les zones où il s'est développé. Ainsi s'explique un phénomène actuel qui, vu de France, peut paraître relativement surprenant. Malgré le nombre considérable de langues africaines et leur diversité, le français parlé en Afrique noire peut attester des traits de convergences remarquables (certaines spécificités lexicales ou morphosyntaxiques, d'ailleurs plus souvent imputables au français lui-même et à son mode d'acquisition ou à des facteurs d'ordre socio-sémantique, qu'à des problèmes d'interférences avec les parlers locaux). Et pourtant la situation sociolinguistique est si différente d'un pays à l'autre que des caractéristiques nationales finissent par marquer la façon de parler français au point que les Africains se disent généralement capables de deviner la nationalité d'un autre Africain francophone "moyen" à sa manière d'utiliser le français oral.
c) De façon assez grossière, il convient de distinguer des pays où, souvent avant l'époque coloniale, une ou plusieurs langues locales ont développé un rôle véhiculaire important pour l'ensemble de la population et où, actuellement, existe un véritable bilinguisme langue(s) africaine(s) /français, tantôt reconnu au niveau des langues officielles (Centrafrique, Rwanda, Burundi…) ou simplement remarquable dans la vie quotidienne (Mali, Sénégal…). Dans ce cas, le français, mode relativement fréquent d'intercommunication des scolarisés, semble en général, chez les plus instruits, plus proche de la norme exogène2. On peut, cependant, parallèlement, noter une tendance à l'alternance codique voire au métissage linguistique dans les situations de communication non-formelles (cf. le français-sango des kota-zo3 de Bangui, Wenezoui-Déchamps, 1995).
Au contraire, dans les pays multilingues où aucune langue locale ne semble véritablement avoir acquis une position dominante, le français peut assurer un rôle véhiculaire national à deux niveaux : soit dans la variété scolaire normalisée (langue officielle), marquée par une norme parfois endogène, soit dans une variété populaire pidginisée, caractérisant les non ou les peu scolarisés mais constituant pour les plus instruits un mode d'expression parallèle imposé par l'intercompréhension ethnique et sociale (Côte-d'Ivoire, Congo…).
d) Depuis la période des Indépendances (à l'exception de la Guinée revenue à la mort de Sékou Touré dans le giron de la francophonie) l'enseignement — qu'il soit totalement en français (Côte-d'Ivoire, Gabon…) ou bilingue langues africaines/ français à différents niveaux de l'école primaire (Togo, Zaïre, Rwanda…) — s'est démocratisé et très grandement développé grâce à d'importants investissements financiers des états. Dans les années 80, presque tous les pays possèdent une ou plusieurs universités et ont commencé à former leurs propres cadres, au moins dans certaines disciplines. Les programmes ont été africanisés et les enseignants nationaux sont à peu près partout en passe de remplacer les coopérants.
Depuis les Indépendances, en effet, la foi en la promotion sociale nécessairement issue de la scolarisation en français a été partagée par tous et l'école, malgré son extraordinaire développement, ne suffit pas à accueillir tous les effectifs des nouvelles générations. Pourtant, dès 1975, on peut remarquer une certaine inquiétude. Car on commence, dans tous les pays, à parler de "crise de l'enseignement", de "baisse des rendements scolaires" et on s'interroge de plus en plus sur la qualité du français appris à l'école.

2. Les années 90 ou l'époque des turbulences.
 
On a coutume, en France, de considérer la période d'agitations de toutes sortes que vient de connaître l'Afrique noire francophone, comme débutant avec le célèbre "discours de La Baule". Ce n'est certainement qu'une image symbolique car la crise économique, la conjoncture comme disent les Africains, a coïncidé grosso modo en 1980, avec la diminution à l'échelon mondial du prix de vente des produits agricoles ou des matières premières, avec le surendettement et les effets pervers d'une certaine mauvaise gestion. Les troubles socio-politiques engendrés par des situations critiques, les prises de conscience et les aspirations à la démocratie ont alors explosé.
Il n'est certes pas de ma compétence d'envisager ici de raconter les divers événements politiques. Je m'en tiendrai donc seulement à l'évocation schématique très succincte des effets de ces derniers qui, ici ou là, ont pu revêtir l'aspect de véritables révolutions [Burkina Faso, Centrafrique…] ou de guerres civiles [Rwanda, Togo, Zaïre, Congo…] sur l'usage actuel et l'avenir du français. Aucun pays africain francophone n'y a échappé, même si certains ont été plus durement touchés.
a) Paradoxalement, la période 1985-1998 a accru la diffusion du français tout en affaiblissant sa qualité normative. D'une certaine façon, il y a eu renforcement des normes endogènes différenciatrices au détriment de la norme académique importée. C'est que, pour diverses raisons que je vais exposer succinctement, l'acquisition de notre langue a cessé de passer quasi-exclusivement par la scolarisation.
D'une part, les volontés de démocratisation ont eu pour conséquences l'agitation politique, la naissance du multipartisme et une étonnante prolifération de la presse locale. En effet, parallèlement aux organes de diffusion habituels de l'ex-parti unique, les journaux de tous bords se sont multipliés4 sans que tous les nouveaux journalistes soient des professionnels avertis. On a donc vu fleurir quantité de publications quotidiennes ou hebdomadaires d'une surprenante liberté de ton mais à la langue souvent fort relâchée, plus semblable au mésolecte oral (de norme endogène) voire parfois aux variétés locales basilectales plus ou moins pastichées, — tout au moins dans certaines rubriques à la fois humoristiques et fort critiques5 — qu'au français à tendance normative des publications officielles antérieures.
En outre, la radiodiffusion de grands procès politiques ou des débats des conférences nationales a à peu près banalisé un modèle d'emploi du français, celui de l'oralité mésolectale locale quotidienne. En effet, dans des situations de mises en accusation, le souci du langage correct laisse généralement la place au désir de survie, à l'émotivité de l'auto-défense ou à la volonté de convaincre le plus grand nombre. (cf G. Prignitz, 1996).
Il faudrait ajouter à cela l'impact des troubles socio-politiques sur les établissements scolaires, les grèves d'enseignants ou d'étudiants qui, ici ou là, ont multiplié ce que l'on a appelé les années blanches6.Rares ont été les années universitaires normales. Ces perturbations de l'enseignement ont affaibli grandement l'acquisition normée du français.
Or, déjà, la déperdition scolaire trop importante, le chômage des diplômés, la raréfaction des débouchés avaient, dès les années 85, freiné l'élan vers l'école en français. On peut donc, à l'heure actuelle, observer, dans certaines régions, une baisse significative de la scolarisation primaire (notamment pour les filles7). Celle-ci peut être liée parfois à un renouveau de fréquentation de l'école coranique dans les zones islamisées. Mais le problème de la dévaluation du franc CFA, (même si pour certains pays il est actuellement en passe d'être péniblement surmonté), a considérablement réduit le revenu — pourtant déjà bien restreint ! — des familles et beaucoup d'entre elles ne peuvent plus faire face aux frais d'écolage.Le dogme de la toute puissance du diplôme, facteur de la promotion sociale, s'est effrité et la population s'interroge sur l'excellence de la formation par une école des Blancsqui semble couper l'enfant africain de ses racines et le rendre, s'il y a déscolarisation, à la fois inapte à se réinsérer dans son milieu rural traditionnel d'origine mais aussi inapte à trouver un emploi en zone urbaine. Car les déscolarisés,notamment ceux du secondaire, demeurent généralement en ville où ils se rassemblent en bandes organisées et tentent de survivre de façon marginale grâce à des activités plus ou moins licites.
b) De tout temps, les pays africains francophones ont connu un fort exode rural et une grande mobilité de leurs populations. Certains états même8 constituent depuis des décennies des pôles d'attraction pour l'ensemble du continent. D'où la formation rapide de véritables mégapoles où se mêlent des populations diverses qui n'ont rien en commun si ce n'est les mêmes difficultés économiques et les mêmes problèmes existentiels. Les langues maternelles vernaculaires demeurent seulement d'usage au sein de la famille mais les contacts de la rue se font dans diverses variétés du véhiculaire urbain dominant c'est-à-dire bien souvent du français. Car la rue est à la fois le lieu d'apprentissage de ce français véhiculaire par les nouveaux-venus mais aussi "le lieu de rencontre privilégié des jeunes désœuvrés qui, comme dans toute société, ont élaboré un code crypté permettant la reconnaissance à l'intérieur du groupe et la distinction par rapport au reste du monde". (Tschiggfrey, 1994 : 14). Il est tout à fait remarquable de constater l'expansion récente d'argots africains du français dans toute l'Afrique de l'Ouest vraisemblablement à partir d'Abidjan (nouchi des délinquants où sur une base de français pidginisé se greffent "un certain nombre de mots provenant des langues ivoiriennes, modifiés, tronqués, associés parfois à des éléments d'une autre langue, dérivés, composés, changés de signification par métaphore ou métonymie"[Kouadio N'Guessan, 1990 : 375], zougloudes étudiants et des chansons à la mode, français des rues des déscolarisés…). Des phénomènes plus ou moins similaires ont apparu ensuite en Guinée (Diallo in Queffélec, 1998), au Burkina, (Prignitz, Millogo in Queffélec, 1998) au Togo (Anzorge, 1997, 101-110) etc. Car il est vrai que les problèmes de l'exclusion des jeunes des quartiers-ghettos ou des habitats spontanés semblent un phénomène mondial lié à l'urbanisation explosive, à la misère, au mélange de populations disparates et sans cohésion communautaire, à la rupture entre les générations, au cadre familial en voie de dissolution, à l'échec de la scolarisation, à la destruction des valeurs traditionnelles que rien ne semble venir remplacer.
c) Il est malheureusement évident que l'extension des conflits armés contraignant des groupes entiers à fuir — parfois fort loin du territoire originel — n'a pu que renforcer cette instabilité et cette absence de repères. Bien des exilés (Batutsi, Bahutu, mais aussi tant d'autres, Togolais, Zaïrois et plus récemment Congolais…) se sont préférentiellement réfugiés dans les pays francophones, marquant ainsi l'importance fondamentale accordée à la possession d'une langue commune interafricaine, perçue telle tant par les couches cultivées que par les analphabètes pour lesquelles la possession d'un français même rudimentaire peut encore apparaître comme un élément indéniable de survie.

 

 
 
 

3. Éléments de prospective.
 

Dans toute prospective s'entremêlent des facteurs négatifs et des facteurs positifs bien difficiles parfois à séparer tant les conséquences peuvent être difficiles à évaluer. Je citerai d'abord quelques points sombres avant d'exposer quelques aspects porteurs d'espoirs.
a) L'image de la France s'est assez gravement détériorée en Afrique ces dernières années et il faudrait s'en inquiéter car c'est largement à la France qu'est généralement rattachée l'image du français, quels que soient les efforts consentis par la Belgique (aux relations, elles aussi, tumultueuses avec ses anciennes colonies…) et le Québec (très actif dans les domaines commerciaux ou universitaires et bénéficiant du transfert des sympathies). Bien des faits, à tort ou à raison, troublent les esprits, sèment des inquiétudes ou même froissent les susceptibilités. Je citerai pêle-mêle les plus fréquemment évoqués dans les journaux du continent : la dévaluation sans concertation préalable du franc CFA, l'impression de désengagement vis-à-vis des pays dits "du champ" pour réorientation vers l'Europe certes mais aussi vers des états africains lusophones ou anglophones, la fin estimée symbolique du Ministère de la Coopération, l'absence d'intérêt des investisseurs français et toujours bien sûr les difficultés d'obtention de visas qui conduisent bon nombre d'étudiants africains à choisir des universités nord-américaines, la publicité faite autour des expulsions de "sans-papiers", une certaine réputation de racisme de l'hexagone etc.
b) Les divers bouleversements politiques en Afrique centrale attestent l'accroissement de la puissance linguistique de l'anglais. Un certain nombre de nouveaux dirigeants sont des diplômés des universités américaines qui utilisent préférentiellement l'anglais et pourraient être prêts à nouer des liens privilégiés avec la super-puissance mondiale. Quand on réfléchit qu'il a suffi d'une cinquantaine d'années, pour que le français, langue importée et quasi-minoritaire, ait pu devenir, en partie grâce aux poids des élites formées dans l'hexagone, un élément dynamique et en l'état actuel, incontournable des réalités africaines, on peut se demander si les menaces d'abandon du français au profit de l'anglais (parfois clairement formulées dans certains articles de presse), sont véritablement impensables à concrétiser malgré le coût d'une telle opération.
c) Pour maintenir intercompréhension et cohésion à travers la francophonie, il faudrait qu'un enseignement de qualité répande une variété de français commun, à la fois vivant et adapté à la communication quotidienne tant écrite qu'orale, afin de corriger les fortes tendances en cours à la différenciation et à l'éclatement. Car, plus le français devient une langue parlée en Afrique, plus la variation s'accroît dans tous les domaines linguistiques : prononciation, prosodie, morphologie, syntaxe, lexique et sémantique. Certes, comme en France, tout locuteur francophone local cultivé peut opérer des choix entre les variétés à sa disposition afin d'établir une adéquation entre son parler et la situation de communication. Mais ce choix n'est pas possible pour ceux qui ont appris le français par contact et ne connaissent que la variété basilectale propre à leur environnement ordinaire. Quant aux jeunes urbanisés, comme dans les banlieues de l'hexagone, ils construisent des parlers argotiques enrichis d'apports des différentes langues véhiculaires locales pour en faire "un symbole d'adhésion, d'intégration communautaire et d'identification au groupe des pairs" (Billiez 1990 : 117). Il arrive même que naisse, entre le français populaire local et les plus usitées des langues africaines du pays, un parler particulièrement opaque où l'hybridation9 touche aussi bien le lexique que la morpho-syntaxe (Lafage, 1998). Or ces parlers sont largement diffusés en dehors même des frontières du pays où ils ont pris naissance, par la chanson, la bande dessinée, la radio ou la télévision quand ce n'est pas par une certaine forme de littérature ou de presse locale humoristique ou branchée.
d) Cependant il semble que depuis quelques années le danger de voir se répandre un français si dialectalisé qu'il ne permettrait plus l'intercompréhension francophone a été clairement perçu par les dirigeants. Les rencontres interafricaines des responsables de l'éducation montrent le souci majeur de remettre en œuvre un enseignement de qualité de la langue officielle, souvent grâce à l'instauration d'un bilinguisme équilibré par l'introduction, dans le primaire, de l'enseignement de langues nationales. La multiplication des projets entre les divers pays de la francophonie du nord et du sud touche particulièrement les aspects didactiques. Les divers travaux en cours, les décisions et les actions partagées10 issus des plus récents Sommets de la francophonie vont dans ce sens. Par ailleurs, il semble bien que l'on puisse observer une reprise de l'attention portée à la qualité de l'expression française tant dans la presse que dans les media. Ainsi, dans quelques-uns des pays où les risques de créolisation étaient relativement sérieux comme en Côte-d'Ivoire, les rubriques pastichées imitant la variété dialectale ont disparu des journaux.
e) En outre on ne saurait ignorer le nombre croissant de publications littéraires africaines en français. Il est indéniable que de nombreux Africains - peut-être faute d'un autre medium permettant la diffusion internationale de leurs écrits — choisissent cette langue pour leurs œuvres. Désormais la plupart d'entre eux revendiquent une certaine africanité de leur écriture qui leur permette de mieux exprimer une pensée nourrie à d'autres sources et à d'autres visions du monde. Ainsi, la langue française, en devenant "transculturelle" cesse d'être le véhicule rigide d'une culture unique un peu trop tentée de se croire supérieure, pour y gagner souplesse, richesse et créativité. Il est certain que le nombre et la qualité de ces ouvrages constituent un important facteur d'espoir pour l'avenir africain du français.
f) Enfin, d'un point de vue politique, à l'époque de la mondialisation, les États africains tentent de s'unir pour mieux se développer et se défendre. Traités et conventions diverses regroupent, depuis quelques années déjà, plusieurs pays francophones d'Afrique de l'Ouest ou d'Afrique centrale. Une éventuelle construction d'union sur le modèle européen, repose actuellement sur la partition en sous-régions (Afrique de l'Ouest, Afrique Centrale, Afrique de l'est…) avec comme support linguistique le français ou l'anglais. Il semble bien que, dans un avenir proche, l'extension rapide des réseaux supranationaux de communication (internet par exemple) ne permette de prévoir ni une totale hégémonie de l'anglais ni d'ailleurs l'émergence véritable à ce niveau d'une ou de plusieurs des langues africaines les plus dynamiques.

4. Un avenir fragile et menacé ?
 
Les choix linguistiques des pays africains sont primordiaux pour l'avenir de la langue française tant sur le plan de la démographie que sur celui des relations internationales. Or, si des bouleversements imprévisibles demeurent toujours possibles, il reste cependant, semble-t-il, à l'aube de l'an 2000, une alternative vraisemblable : soit le français saura développer sa modernité technique et scientifique et ainsi conserver un rôle de langue africaine privilégiée pour l'enseignement, grâce à la consolidation de sa complémentarité avec les langues africaines nationales, soit la francophonie africaine fragile et menacée ne cessera de reculer.

 

 
 



Bibliographie

ANZORGE, Isabelle (1997). "Corpus et variétés de langue. De la nécessité d'un corpus exhaustif", in Frey, Latin (eds) Le corpus lexicographique : méthodes de constitution et de gestion. AUPELF-UREF, De Boeck Université, pp. 101-110.

BARRETEAU, Daniel (1997). "Les particularités lexicales du français au Niger. Des propos de Zek à la littérature écrite nigérienne", in Frey, Latin (eds), Le corpus lexicographique : méthodes de constitution et de gestion. AUPELF-UREF, De Boeck Université, pp. 159-174.

BILLIEZ, Jacqueline (1990). "Le parler véhiculaire interethnique de groupes d'adolescents en milieu urbain" in Gouaini et Thiam (eds), Des langues et des villes, ACCT, Didier érudition, pp. 117-126.

DUMONT, Pierre (1990). Le français langue africaine, Paris : l'Harmattan, 176 p.

GOUAINI, Elhousseine, THIAM Ndiassé (1990). "Des langues et des villes", ACCT, collection Langues et développement ; ACCT, Didier érudition, 579 p.

LAFAGE, Suzanne (1998 a). "Hybridation et "français des rues" à Abidjan" in Queffélec (ed) Alternances codiques et français parlé en Afrique, pp. 279-291.

LAFAGE, Suzanne (1998 b). "Le français des rues, une variété avancée du français abidjanais" in S. PLATIEL, R. KABORE, (eds.), Faits de langue : Les langues d'Afrique Subsaharienne, n° 11-12, pp. 134-144.

N'GUESSAN KOUADIO, Jérémie (1990). "Le nouchi abidjanais, naissance d'un argot ou mode linguistique passagère ?" in Gouaini Elhousseine et THIAM Ndiassé (eds), 1990, Des langues et des villes, ACCT, Didier érudition, pp. 373-383.

PRIGNITZ, Gisèle (1996). Aspects lexicaux, morpho-syntaxiques et stylistiques du français parlé au Burkina-Faso (période 1980-1996), Université de Paris III, thèse de doctorat sous la direction de S. Lafage et A-M. Morel, 890 p.

QUEFFÉLEC, Ambroise, (ed.) (1998). Alternances codique et français parlé en Afrique, Actes du Colloque d'Aix en Provence, septembre 1995, Presses Université de Provence, 382 p.

ROBILLARD, Didier de, BENIAMINO, Michel (eds) (1993-1996). Le français dans l'espace francophone. Description linguistique et sociolinguistique de la francophonie, 2 tomes, 964 p.

TSCHIGGFREY, Thomas (1994). Zouglou : étude morphologique et syntaxique du français dans un corpus de chansons ivoiriennes. Mémoire de DEA, 2 volumes, Université de Paris X-Nanterre.

WENEZOUI-DESCHAMPS, Martine (1995). "Le franc-sango des kota-zo de Bangui : un exemple d'intégration de mots français dans un discours en langue africaine". Paris ROFCAN 10, INALF, CNRS, Didier érudition, pp. 143-155.
 


1Figurent en italique dans le texte, certaines particularités lexicales du français parlé commun à l'ensemble de l'Afrique francophone. Leur signification est généralement suffisamment claire pour ne pas nécessiter une glose.
2On a coutume de distinguer, en ce qui concerne le français en Afrique, la norme exogène c'est-à-dire la norme centrale représentant le parler du Parisien cultivé propagée par l'école, à la norme endogène, usage local de la majorité des francophones d'un pays. Pour donner un exemple courant de différenciation entre ces normes, j'opposerai : C'est la première fois que je viens ici à C'est ma première fois de venir ici. (fort répandu au sud du Sahara).
3Terme centrafricain désignant les " élites " capables de s'exprimer aussi bien en français qu'en sango mais utilisant souvent entre eux un mélange des deux codes. (M. Wenezoui-Dechamps, 1995).
4Pour illustrer cette explosion de la presse africaine, les années 90 ont vu le nombre de journaux ivoiriens s'élever à près de 70. Mais environ une quarantaine d'entre eux ont actuellement disparu.
5Par exemple : à l'image des célèbres " chroniques de Moussa " du défunt Ivoire-Dimanche, les " propos de Zek " dans le Paon africain, hebdomadaire nigérien (Barreteau, 1998), ou les " chroniques de Boanga " dans l'Intrus, quotidien burkinabè (Prignitz, 1996) ainsi que diverses autres publications étudiées dans Queffélec, 1998.
6Année blanche : année scolaire durant laquelle la durée réelle des cours n'a pas été estimée suffisante pour permettre de dispenser un programme autorisant l'organisation des examens.
7À l'exception sans doute du Burkina-Faso qui, conscient de l'importance de la scolarisation des femmes pour l'évolution d'une société, corrige cette tendance par l'attribution de bourses supplémentaires et préférentielles aux jeunes filles.
8Quelques pays africains francophones comme la Côte-d'Ivoire ou le Gabon, sont depuis longtemps des lieux attractifs pour les immigrants. Ainsi, sur 13 millions d'habitants, la CI compterait plus de 5 millions d'étrangers selon un discours du Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique cité in Jeune Afrique, 28/10/1993 : 31.
9Faute de place, je ne donnerai qu'un bref exemple d'hybridation (Abidjan) : Attention bra mogo, faut pas fauya, tu vas gué le wari tchêtchê !." Fais gaffe, frangin, pas de magouille, tu vas partager le fric en parts égales ! ". (bra mogo du dioula " chez moi-homme " c’est-à-dire " frère ", fauya, du français faux + suffixe dioula -ya qui, ajouté à un substantif permet de créer un nouveau substantif : " magouille ", gué du français " guérir " devenu partager (: guérir une attente), wari, du dioula " argent ", tchêtchê, du baoulé " à parts égales ".
10Notamment l'action de recherche sur l'État du français en francophonie lancée récemment par le Fonds Francophone de la Recherche (AUPELF-UREF), la publication en cours des Inventaires de particularités lexicales, la prochaine mise en œuvre d'un nouvel Inventaire de synthèses lexicographiques pour les particularités lexicales du français en Afrique noire (IFA 2), les programmes éducatifs de l'ACCT, les projets franco-africains " Campus " etc.