LITTÉRATURE FRANÇAISE ET LANGUE AFRICAINE :
L'EXEMPLE DE PIERRE LOTI 1 :

Amadou Dialo et Francis Gandon
Université de Dakar et Université de Caen


Publié en 1881, troisième œuvre de Pierre Loti (après Aziyadé et Le Mariage de Loti), la première à être signée de son nom, le Roman d'un spahi2 relève d'un genre particulier : le roman colonial. À ce titre, il n'a pas bonne presse : il ne serait bon qu'à satisfaire à peu de frais la soif d'exotisme de l'époque, en la confortant dans ses préjugés raciaux ; exotisme considéré d'ailleurs aujourd'hui comme d'autant plus frelaté qu'il concerne essentiellement chez Loti, de la Polynésienne Harahu à la mousmé Chrysanthème3des figures féminines.
Bien qu'ici notre intérêt soit strictement linguistique, nous ne nous interdisons cependant pas quelques réflexions à incidence littéraire. Disons que l'œuvre de Loti, le "roman colonial" en général, ne méritent pas entièrement le discrédit gaufré de condescendance dans lequel ils sont tenus. Ne le méritent pas tous4Dans le Roman, par delà l'intérêt historique et un exotisme parfois facile, la figure du spahi, cet hôte de la "partie morte d'une ville morte" émeut par une sorte de malaise existentiel à l'état sauvage. Mais l'histoire du couple qu'il compose avec Fatou-Gaye touche très précisément au tragique de par son impossibilité même - l'impossibilité, au fond, de la greffe, du métissage5Si la mort du soldat relève d'un thème solaire, l'infanticide et le suicide de Fatou-Gaye, conjuguant le sable et le ciel, haussent ce thème à la dimension d'un mythe, qui n'est pas sans évoquer les tragédies antiques. On peut d'ailleurs remarquer, tout au long du texte, une discrète mais insistante métaphore associant la jeune femme à une figure grecque.
Passons à présent à des considérations linguistiques. L'étude proposée porte sur les termes de "yolof"6 dont Loti parsème son roman.
Trois ensembles peuvent être déterminés :
1) Termes actuellement attestés, même s'ils présentent un écart d'avec l'usage standard ;
2) Termes vieillis, connus — quand ils le sont — des seuls spécialistes, catégorie dans laquelle nous rangerons certains mots dont l'origine et l'identité sont problématiques ;
3) Enfin une formule énigmatique de griot, énigmatique dans la mesure où aucune traduction grammaticalement satisfaisante n'en a pu être donnée. L'interprétation qui sera proposée sera en quelque sorte la radiographie d'une certaine perplexité collective (la patience et la science de plusieurs chercheurs ayant été sollicitée), encore que le sens général ne fasse pas de doute.
On verra, au terme de cette modeste analyse, que — quelque lapidaires en soient les données — le texte de Loti n'est pas dépourvu d'intérêt linguistique : il permet, en particulier, d'évaluer certains traits de la langue wolofe du XIXe siècle et de caractériser précisément celle-ci par une aptitude passablement rapide au changement.
1. Permanences lexicales
Ram ("je ne sais pas") 
- [...] Où l'as-tu mise [la montre] ?
- Ram !...(je ne sais pas!) répondit Fatou avec indifférence (p.332).
Il s'agit ici d'un emploi bien connu en wolof contemporain pour xamuma, avec apocope du suffixe de négation. D'où le paradoxe d'une formule en apparence antiphrastique qui a paru suffisamment intrigante à Mgr Kobès pour qu'il en propose l'interprétation suivante : "Ham" (graphie d'époque) aurait dans un premier temps pris valeur interrogative : "que sais-je ?" "que pourrais-je bien savoir ?" (Lu ma ci xam ? Dama xam ?) pour acquérir ensuite la valeur négative proprement dite. on pourrait ajouter : valeur exclamative.
Cheikh Anta Diop, qui le rapproche de l'égyptien pharaonique h m, "assurément, vraiment", donne l'analyse :

ham (sic) : savoir ; employé comme une interjection, il exprime par antiphrase le refus de renseigner un curieux, d'où ham ! je ne sais pas (1977 : 267). [Pour dire les choses plus crûment, à la limite, : m… !]. A. Fal et alii (mais non J. L Diouf) fournissent carrément, dans leur Dictionnaire, deux entrées différentes pour les valeurs assertive et négative-exclamative.
Ici Loti identifie [x] et [Â], bien qu'il n'ignore pas la spécificité du premier phonème, ailleurs transcrit par kh (khâliss, khassonke…), comme chez Faidherbe7Prononciation propre au Saint-Louis de l'époque ? Il est à noter que certains Saint-Louisiens et Goréens ont effectivement tendance à "pornoncer", c'est-à-dire à grasseyer le [r] apico-alvéolaire, d'où un [Â] risquant, dans certains contextes, de se confondre avec le [x]. On aura noté que Cheikh Anta Diop transcrit le phonème [x] par h, à l'instar de Mgr Kobès.
Tara : "sorte de sofa en lattes légères que fabriquent les nègres des bords de la Gambie" (p. 319). Chez Kobès : "grosse nervure des feuilles du tambi, dont on se sert pour les canapés du pays". À noter que le tarafigure en illustration du Lexique français du Sénégal de J. Blondè, P. Dumont et D. Gontier, p. 120.
On trouve dans le Vocabulairede Faidherbe le mot takhadé comme traduction soninkée de "chaise".
Khâliss : "pièce de cinq francs en argent". Il s'agit, pour Kobès d'une contraction de derem ou hâlis. Cette valeur quinaire (unitaire, dans un système de comptabilité lui-même quinaire), conservée dans dërëm, semble avoir déserté xaalis en wolof contemporain. Elle est parfaitement claire chez Loti :
[...] pourtant, deux khâliss, c'était beaucoup dans ce moment pour sa pauvre bourse de spahi (p. 306)
L'accent circonflexe transcrit, chez Kobès, comme ici, le a long (aa), ce qui est correct.
Toubab. Devient "toubah !" en tant qu'interjection. L'interprétation de cette lénition apparaît d'autant plus délicate qu'elle n'a lieu qu'en cas d'interpellation isolée, puisque, — l'exemple suivant le montre — l'insertion du mot dans un contexte phrastique ne la provoque pas. On ne peut exclure l'hypothèse d'un amuïssement de b dans certains environnements. À noter que l'origine même de toubabreste uneénigme (une éventuelle origine arabe tubibétant sans pertinence). Sont aussi attestées les variantes toab et touab.
Man/Ma.Pronom personnel de la première personne à double forme : tonique et atone. L'exemple suivant montre une confusion entre les deux formes : May man coper, souma toubab ! (donne-moi un sou, mon blanc !) (p. 271).
Ce qui présente un cas de "petit wolof" difficile à interpréter (la forme correcte est Mayma…). Erreur de transcription de Loti ? parler spécifique à certains locuteurs, et renvoyant à un état ancien de la langue ? Le manuscrit d' Adanson (1749-1753 : 6) semble bien indiquer la possibilité d'utiliser tant man que ma pour équivalent de "moi", mais cette notation, eu égard à la nature même du document, doit être considérée avec circonspection.
Coper. Est désigné comme "sou". On trouve, dans le Dictionnaire des R.R.P.P. de la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Cœur de Marie (1855) : un sou : kopar bu tût, ou bu tût (littéralement : une petite pièce) ; deux sous : kopar bu réy ou bu réy (littéralement : une grosse pièce) ; trois sous : bu réy a[k] bu tût (une grosse et une petite pièce). À noter que bu tuut s'emploie actuellement en Gambie pour parler de l'argent.
Signarde.
On a vu des mulâtres et des mulâtresses en habits des grands jours ; les vieilles signardes du Sénégal (métis de distinction), raides et dignes avec leur haute coiffure de foulard madras et leurs deux papillotes en tire-bouchon à la mode de 1820 ; (p. 308
Du portugais senhora, signare (siñaara en wolof) désigne une métisse saint-louisienne (ou goréenne) de haut statut social et de religion chrétienne. Loti semble avoir été troublé par l'absence de genre masculin (au contraire de mulâtre) : il opère à la fois une neutralisation du sexe (avec l'apposition métis)et semble, avec la réfection (nulle part ailleurs attestée) signarde, sur un modèle de type mignarde,faire l'hypothèse d'un masculin signard.Par ailleurs, écrivant Cap verd, Loti semble tenté par un compromis orthographique entre portugais et français. Il est possible que ce d final ait été un phénomène de mode (cf. l'une des anciennes graphies Dacard).
Puisque nous en sommes venus aux noms propres, considérons à présent le cas des anthroponymes et des toponymes. On constate en effet un manque de cohérence dans le traitement orthographique des premiers. Si "Fatou-GAYE " respecte — mais pas partout — la répartition entre prénom (en minuscules) et nom (en majuscules), il n'en va pas de même avec Nyaor-fall, Coura-n'diaye et Samba-Hamet, qui sont traités comme des toponymes.
Ces derniers ne manifestent pas, de leur côté, une cohérence sans faille : à côté de Guet n'dar, on trouve Ndartoute, comme si Loti ne reconnaissait pas le même radical dans ces désignations de deux quartiers de Saint-Louis.
Un autre type de distorsion se manifeste : entre les anthroponymes et les ethnies auxquelles appartiennent les personnages. Ainsi, bien que de lignage khassonké (mandé), Fatou porte un nom wolof. Quant au spahi Nyaor-fall, "géant africain de la magnifique race Fouta-Diallonké" (p. 268), son nom wolof (ou maure) contredit son ascendance peule. Il est vrai que Loti, s'il les distingue parfois nettement, confond souvent les ethnies maure et peule, plus ou moins, d'ailleurs, créditées d'un identique cousinage arabe...
Dernière remarque pour les noms propres : Jean devient systématiquement Tjean.Il y a donc production de ce qu'on peut supposer être une affriquée. Une telle affriquée n'est cependant normale qu'avec la sonore [d] (transcription : [j] Apparaît donc un comportement hétérodoxe de la part d'une consonne sourde, dont on relèvera plus loin un autre exemple.
2. Termes non compris actuellement du wolofophone moyen
Kéou! pour "bonjour ! . Le mot est indiqué comme tout à fait attesté chez Faidherbe, Kobès et Guy-Grand. Selon ces derniers, la formule (indiquée comme "dérivée de F[rançais]" chez le premier, mais il s'agit probablement d'une coquille), désigne la formule du matin jusqu'à 10 heures, et doit être complétée ainsi : dara kéu, le préfixe dara (jërë en orthographe moderne) servant également à la salutation de l'après-midi (dara gonal) et du soir (dara kendu). À noter que jërë, "valoir", ne se retrouve plus guère que dans le synthème jërëjef ("merci"), où il n'est d'ailleurs plus perçu comme monème. De même Kéou! est souvent interprété, comme un usage antiphrastique de keww (écarquiller les yeux) invitant, à baisser le regard. Il n'est pas exclu que keww et yeewu (se réveiller) soient de même racine. L'expression entrait dans le cadre des salutations spécifiques ( tel moment de la journée, telles circonstances — voyage, malheur, perte, travail... —, tel interlocuteur...) restées vivaces, par exemple, en sérère. Comme on le voit, la formule passe-partout salâm alékum (salaamaalekum) (définie par Kobès comme le "salut des marabouts" et comme formule des "mahométans" par Guy-Grand) a prévalu, entraînant, avec sa généralisation, la disparition d'un rituel de politesse complexe, sans doute encore très vivant aux alentours de 1923 (date de la publication du Guy-Grand), et dont l'abbé Boilat, dans ses Esquisses sénégalaises, donne de nombreux exemples. Signalons enfin qu'une autre formule : Jàmm ngeen am, tend actuellement à disparaître.
Tata : mot actuellement peu ou mal connu (présent, cependant dans A. Fall et alii, 1990, et J.L. Diouf, 1994). A chez Loti, valeur de "palissade". Faidherbe en donne la traduction suivante : "mur d'enceinte (en terre glaise)", et Kobès glose ainsi le terme : "barricade en pierres, rempart, fort". Dans certains documents historiques, le terme a effectivement le sens de "fort indigène". Comme Loti semble le seul à l'associer au bois, il n'est pas exclu qu'il ait relevé un usage particulier à Saint-Louis, où tata indiquerait une marque d'extension des quartiers.
Laobé. Il est, enfin, souvent question du terme laobé utilisé de manière adjectivale ou nominale pour désigner une race de chiens. Si "laobé" (lawbe) désigne effectivement une caste de l'ethnie hal-poular spécialisée dans le travail du bois (pour Guy-Grand, la menuiserie locale est généralement le fait des Laobé et des Señ: entrée : Menuisier), il n'existe aucune attestation qu'il se soit agi d'une race de chiens (sur le modèle de berger allemand ou de setter irlandais). Deux hypothèses sont plausibles : soit l'emploi qu'en fait Loti a existé mais s'est perdu, soit il s'agissait d'un usage propre à un groupe particulier, vraisemblablement de militaires français, et étranger au parler autochtone. Il ne s'agit pas, en tout cas, d'une notation isolée, puisque Loti évoque à plusieurs reprises l'aspect physique et les qualités de l'animal. Toutefois, Mme le Professeur Ndiaye-Corréard me signale l'existence d'une annonce récente, où il est bien question de "chien laobé"...
Ngabou.
Fatou ne pouvait apercevoir un ngabou (un hippopotame) sans courir les risques de tomber raide morte ; - c'était un sort jeté jadis sur sa famille par un sorcier du pays de Galam (p. 311)
Le cas est ici particulier puisqu'il s'agit d'un terme de poular attesté dans le Vocabulaire de Faidherbe, qui donne aussi l'équivalent wolof : léber (léebéer). Ce terme a d'ailleurs largement essaimé puisqu’il semble se retrouver en gbaya (famille Niger-Congo, branche oubanguienne) sous la forme : *NGÙ'BÚ donnée par Y. Moñino (1981 : 75) comme exemple d'une formule avec tonème et schème montant.
Soumaré.
Les soumarés sont des tresses faites de plusieurs rangs enfilés de petites graines brunes ; ces graines qui mûrissent sur les bords de la Gambie ont une odeur pénétrante et poivrée, un parfum sui generis, une des odeurs les plus caractéristiques du Sénégal. (p. 297)
Ignoré de l'ensemble des dictionnaires, tant anciens que modernes, le terme ne se retrouve que dans le Lexique wolof-français (CLAD/IFAN, Tome 3, 1979), sous la forme sumaare : "plante à grains odorants dont on fait des colliers (hibiscus abelmoschus)". Il semble relever d'une langue du groupe mandé.
Enfin, une scène de marché à Guet-n'dar mérite d'être signalée en ce que d'une part elle donne lieu à une erreur d'interprétation de la part du narrateur, en ce que, de l'autre, elle présente un étonnant mélange de termes vieillis et actuels.
Marchands et marchandes accroupis dans le sable, riant ou se disputant ; bousculés, piétinés, eux et leurs produits, par les acheteurs.

-Hou ! dièndé m'pât!..(marchandes de lait aigre, contenu dans des peaux de bouc cousues, retournées le poil en dedans).
- Hou ! diènde nébam !... (marchandes de beurre, — de race peuhle, — avec de grands chignons tricornes plaqués de cuivre, — pêchant leur marchandise à pleines mains dans des outres poilues ; — la roulant dans leurs doigts en petites boulettes sales à un sou la pièce, — et s'essuyant les pattes après dans leurs cheveux).
- Hou ! dièndé kheul !...dièndé khorompolé!.. (marchandes de simples, de petits paquets d'herbes ensorcelées, de queues de lézards et de racines à propriétés magiques). 
- Hou ! dièndé tchiakhkha !...dièndé djiarab !... (marchandes accroupies, de grains d'or, de grains de jade, de perles d'ambre, de ferronnières d'argent ; — tout cela étalé par terre sur des linges sordides, — et piétiné par les clients).
- Hou ! dièndé guerté !.. dièndé khankhel !.. dièndé iap-nior !.. (marchandes de pistaches, — de canards en vie, de comestibles insensés, — de viandes séchées au soleil, de pâtes au sucre mangées par les mouches). (p. 334).
La transcription (et la traduction) de l'appel du marchand ( qui concernerait plus le marchand ambulant que le vendeur fixe) sont inexactes : ce que Loti a pris pour une interjection est en réalité une variante du pronom interrogatif ku, soit kuy (marque de l'inaccompli) ou koo (variante proprement saint-louisienne). Jënd, ici suivi de la voyelle de soutien e, signifie "acheter", d'où : "Koo jënde ?", "Qui achète ?" La confusion du h et du k pourrait d'ailleurs rendre compte d'une difficulté d'interprétation de Faramata hi ! que nous exposerons plus bas.

M'pât désigne chez Faidherbe le "lait aigre", le "babeurre" chez Mgr Kobès, qui en donne la source : fât,"baratter". Il s'agit, au plan phonologique, d'une curieuse exception puisque le wolof actuel ne connaît de prénasales que sonores à l'initiale. Toutefois les sourdes existaient en ancien wolof (cf. la ville de M'pal) et semblent encore pratiquées par certains locuteurs du Waalo8Quoi qu'il en soit mp est un phonème inconnu des dictionnaires modernes à l'initiale. Faat est présent chez A. Fal et alii, aux sens de "baratter" et d’"ôter la vie" ; uniquement au sens de "tuer" chez J.L. Diouf. Le dérivé est partout absent, bien que paat soit connu comme terme technique.
Nebam est un terme poular, signalé par Faidherbe, et utilisé par les Wolofs, pour "beurre". Kobès donne nèbon,"graisse".
Kheul (xël) désigne la vitex doniana.
Khorompolé (horompolé g chez Kobès, xorompolle m chez A. Fal) désigne le giroflier.
Tchiakhkha, graphie actuelle caq, pour "collier" ou "collier de perles" (le même mot se retrouve en poular et en soninké). Le kh redoublé semble transcrire le phonème [q] ignoré des descriptions anciennes à l'exception du Vocabulairede Faidherbe, où il est transcrit par qh, (d'où tchiaqhqha). Kobès ne le distingue pas de [x] (d'où la graphie taha qui sanctionne, dans son système de notation, l'impossibilité de transcrire les géminées). En graphie actuelle, on admet xx pour [q], qui n'est plus qu'une consonne résiduelle.
Djiarab (jara) pour "bracelet de perles porté au poignet". On trouve darab chez Kobès ("perle") et darap chez Guy-Grand ("verroterie"). Témoignage intéressant : les occlusives finales étant prononcées implosées, la sonorité ne joue plus. La graphie actuelle sanctionne une évolution où la finale s'amuït totalement.
Le cas de khankhel (xànxel ou xànqel) est étonnant. Attesté dans tous les dictionnaires, son emploi semble se raréfier au profit de kanaara, d'origine française, au point de n'être plus compris des wolofophones non wolofs, même des Peuls, alors que le terme est donné également comme poular par Faidherbe, sous la forme voisine de khankaléoual. Mieux, Diouf et Yaguello (1991) proposent les composés kanaara-all (canard sauvage) et kanaara-kër (canard domestique). Cependant, A. Fall et alii ne mentionnent que le terme autochtone. Aucun de ces mots ne désigne la jade ou l'or évoqués par Loti.

Enfin guerté (gerte) est un terme actuel, utilisé tant en wolof qu'en soninké et en poular.
Inversement, certains lexèmes censés rendre compte des realiasénégalaises, sont sans répondant wolof. C'est le cas de bamboula, intégré au français central, et crédité d'une origine guinéenne (soso ?) par le Larousse (mais d'une origine bantoue par le Petit Robert), et qui désigne un tambour et, par métonymie, la cérémonie qu'il identifie (le même principe est utilisé en contexte wolof avec sabar9  - à la fois tambour et cérémonie - comme dans l'expression "grand sabar").
3. Un distique énigmatique
Il s'agit des deux premières formules d'un "chant endiablé" accompagnant les "bamboulas de printemps", qui apparaissent comme un distique. La traduction, précise Loti, en "brûlerait ces pages". C'est dire que le sens du distique — lascif, apparemment, au dernier degré — allait de soi au moment de la rédaction du Roman. Il n'en va plus de même aujourd'hui. Donnons-en les environnements principaux.
Anamalis fobil ! hurlaient les griots en frappant sur leur tam-tam, - l'œil enflammé, les muscles tendus, le torse ruisselant de sueur...
Et tout le monde répétait en frappant des mains avec frénésie : Anamalis fobil !Anamalis fobil !..  la traduction en brûlerait ces pages... Anamalis fobil ! les premiers mots, la dominante et le refrain d'un chant endiablé, ivre d'ardeur et de licence, - le chant des bamboulas de printemps !...
Aux bamboulas du printemps, les jeunes garçons se mêlaient aux jeunes filles qui venaient de prendre en grande pompe leur costume nubile, et, sur un rythme fou, sur des notes enragées, - ils chantaient tous, en dansant sur le sable : Anamalis fobil ! (p. 290)
On entendait déjà le tam-tam des griots et le chant des désirs effrénés qui commençait dans le lointain : Anamalis fobil ! Faramata h !... (p. 291)
[...] et, assourdi dans le lointain, le tambour, l'anamalis fobil du printemps, qu'il entendait dans ce même lieu pour la quatrième fois [..] (p. 315)
La dernière citation est particulièrement significative en ce que le premier vers désigne, par métonymie, la cérémonie elle-même ; apposition à tambour, la formule est devenue nom commun: c'est dire à quel point elle devait être familière à Loti et aux Français de Saint-Louis, pour avoir acquis ce statut.
Ouvrons une parenthèse sur le sens profond des "bamboulas", manifestement mal compris de Loti. Commençons par un paradoxe : la société décrite par Loti est une société puritaine, même si les voyageurs et les résidents européens pensent avoir sous les yeux l'image inverse. Les "bamboulas" constituent alors, comme dans toute société traditionnelle, une transgression périodique de l'ordre, qui, selon le principe classique de la fête (R. Caillois, G. Bataille...), a pour objectif de le revigorer.
Par ailleurs, le griot peut — et même doit (c'est le seul qui en a vraiment licence) — évoquer des sujets tabous, notamment sexuels. Il peut le faire selon un discours crypté, un "jargon" remodelant le code linguistique, lui-même objet, dès lors, de la transgression10On comprend alors que le distique en question ne puisse être "traduit" dans la mesure où il étage une pluralité de lectures dont chacune ne respecte que très approximativement le lexique et la syntaxe communs.
Le sens de la formule ne relèverait, en d'autres termes, d'aucune "évidence" - y compris et surtout pour l'auditeur étranger, à qui on aura dit ce qu'on aura bien voulu dire…
Au strict plan linguistique, aucune interprétation de ce distique ne peut être hasardée, qui ne viole en quelque façon la syntaxe, et n'identifie les éléments lexicaux que passablement déformés. En revanche une lecture anagrammatique est possible : anagramme étant pris au sens saussurien de "mot caché sous les mots" ou encore comme "seconde façon d'être, factice, ajoutée à l'original du mot" (cf. J. Starobinski, 1971). Dans ce cadre, la manipulation de la face signifiante du signe, comme la pluralité de lectures, sont la règle. De même l'ordre linéaire, sans verser forcément dans la parataxe, perd de sa pertinence : la "syntaxe" qui en résulte ne peut être que spéciale. La pratique du griot rejoindrait sur ce point la tradition de manipulation du signifiant11des écoles coraniques, notamment la lecture inversée des versets.
Anamalis fobil !
La recherche concernant anamalis est forcément restreinte, eu égard au caractère peu fréquent (sans être absolument rare) de la terminaison -is (arbis,"escargot" ; is ou yis,"panier conique à poissons", xaalis (origine arabe), "argent", gis, "voir"...). Par ailleurs, ana, selon M. Abdoul Aziz Diaw, désignerait une ceinture de fines perles portée autour de la taille. Ceci rappelle effectivement le costume de Fatou Gaye : "un chapelet de gris-gris au cou, et quelques grains de verroterie autour des reins" (p. 271). On utilise normalement, à la place de ce terme, strictement ignoré des documents tant anciens que modernes, les mots jal-jali (qui rentre dans la catégorie des "expressifs") et fer, ce dernier d'ailleurs attesté chez Adanson (comme "tour de ceinture", sous la rubrique "hardes et bijoux des femmes", p. 34).
L'interprétation proposée par M. Diaw est la suivante : lis serait une déformation de gis,"voir", d'où :
Ana ma gis : (pour) que je voie ta ceinture de reins
avec l'avantage d'une cohérence sémantique incontestable avec ce qui suit :
fobil ! : soulève (ss.e. ton pagne) 
Cette interprétation présente des difficultés aux plans phonologique et grammatical : comment expliquer le passage absolument singulier de la vélaire [g] à la liquide [|] ? D'autre part, si ma gis présente le cas normal de la conjugaison "neutre" à valeur finale (type : indil ma gis,"apporte pour que je voie", "fais-moi voir"), l'antéposition d'ana, par surcroît privé de déterminant, est agrammaticale. M. Daff (communication personnelle) suggère la lecture suivante :Ana (mu) ma gis?, Où est-il, que je le voie ?qui lève cette difficulté-ci sans résoudre celle-là. Une solution est fournie par le Professeur Bassirou Dieng (communication personnelle), qui signale l'existence d'un verbe lis, signifiant : "se laisser tomber à terre" (ba àgg suuf). D'où : "Où dois-je me laisser choir ? soulève !". Cette interprétation possède l'avantage énorme sur les interprétations différentes de lever la difficulté d'ordre phonétique. La grammaire n'y trouve cependant pas son compte : le tour correct serait : Ana fu ma(y) lis? D'autre part, le verbe ne figure dans aucun dictionnaire et n'est connu que de quelques érudits, dont notre savant collègue.
Fobil est un emploi correct de l'impératif, à partir d'un radical fobi d'accès difficile : il ne figure dans aucun dictionnaire ; bien qu'attesté, notamment à Saint-Louis, avec le sens de "relever", "soulever", par exemple un enfant porté dans le dos de sa mère (M. Cissé, communication personnelle). Il semble que fobi ait pâti de la proximité sémantique et phonétique de fab, ("prendre, emporter, enlever"), dont il est devenu variante, et ne se retrouve qu'à l'état d'élément du dérivé fobin, que Mgr Kobès rend par "danse indécente" sans que l'éminent prélat — ignorance ou pudeur ? — en donne la racine. Or il n'est pas difficile de retrouver dans ce terme l'impératif fobil substantivé : cette danse aurait pour nom quelque chose comme : "retrousse-toi !", sorte de French cancan tropicalisé. Le passage de il à in ne présente pas de difficulté, étant attesté ailleurs : ainsi "huile" est-elle traduite par diluil ("de l'huile") chez Faidherbe (1864), mais devient divlin chez Guy-Grand12 (1923) (graphie actuelle : dëwlin ou diwlin). Kobès signale l'existence du verbe homonyme fobin: "danser le fobin".
Une hypothèse intéressante est de rapprocher ana, métonyme du sexe féminin, du prénom Aana,qui fonctionne précisément, en wolof contemporain, et concurremment avec Kumba, Kanam, Ndiaye13...comme désignation euphémisante de la nature féminine (en permettant d'éviter lëf, lui-même synecdoque), comme dans l'expression Ubal sa aana ou keppal sa aana). Or Ndiaye est également lié à la poésie des griots, dans un contexte, strictement analogue, comme le montre cette comptine (communiquée par A. A. Diaw) dans laquelle le tambourinaire s'adresse ainsi à sa partenaire14.

Ndiaye, fobil !  "Ndiaye, soulève !"
Gisuma dara   "Je ne vois rien"
Danga may nax.  "Tu me trompes (tu fais semblant)".
Par ailleurs, si l'on se hasarde sur un plan plus anagrammatique, le lexème malan,"pagne", apparaît au moins partiellement dans malis.
Faramata hi !
Le second vers du distique n'a, tel que transcrit, pas de sens. Il évoque :
a) Farimata hi ! (Oh, Farimata ! prénom féminin).
b) Faratama hi ! (Oh, tambourinaire !). Ici, le griot parlerait de lui-même en tant que joueur. Par ailleurs hi peut être interprété comme une variante de kii,15 démonstratif à base de classificateur k ; kii devient élément prédicatif en l'absence d'un verbe, pour signifier : "faire ceci ou cela", quand on ne veut pas préciser l'objet, notamment à l'impératif : kiial : "va le faire !". Le tiroir concerné serait ici le narratif. D'où la formule, restituée :
Faratama kii ! (que le joueur de tama fasse le truc, qu'il le fasse, qu'il y aille !)
Cette interprétation demanderait à ce qu'on rendre compte de la métathèse, ce qu'on ne peut faire qu'en invoquant une technique de griot jouant sur l'anagramme. Interprétation d'ailleurs renforcée par la présence, dans ce vers, de la racine far ("adolescent", "amant", actuellement : "petit ami", "fiancé"), dont le sens devait être plus explicite au temps de Loti, puisqu'on trouve chez Mgr Kobès les dérivés farân (faraan) : "courtiser une femme (T[erme] grossier)" et farantu : "s'amouracher mutuellement, se courtiser mutuellement d'une manière dissolue", ce qui, s'accorde, on l'avouera, au contexte, même si la grammaire n'y trouve pas son compte...
D'où le sens global :
Trousse-toi, que je voie ta ceinture de perles !
Le tambourinaire, qu'il y aille !
Ou encore, si l'on nous passe cet essai de transfert au français de la métathèse originale du second vers, dont le résultat, on en conviendra, n'est pas mal trouvé :
Vas-y, mate-tameur ! Vas-y tam-mateur!16 
Conclusion
La formule que nous venons de disséquer présente donc l'aspect d'un message cryptique, caractérisé par :
- une sorte de parataxe où le rythme remplacerait la règle ;
- la déformation des lexèmes ;
- une pluralité de lectures permise par le recours à l'anagramme.
Il est certain que le sens qu'on en a donné à Loti ne réalise qu'une partie des possibilités du texte.
Sur l'ensemble du texte, on conclura que l'auteur, pour étranger qu'il ait été à la linguistique17, a transcrit son "yolof" de façon, somme toute, scrupuleuse Cette On peut, de l'anagramme, passer à la "différentielle signifiante" chère à Julia Kristeva (1972). Unité minimale de "signifiance", cette différentielle, refonte du signifiant et du signifié, contient tous les homonymes, synonymes, acceptions logiques, relations sociales, possibilités de traduction, de translittération, de jeux de mots...propres à un terme. Dans cette optique, A. Dédet, professeur à l'Université de Nouakchott, nous signale que son ordinateur suggère, pour Anamalis fobil,"entamais fouille", ce qui, on en conviendra, n'est pas non plus mal trouvé ! Notre transcription reflète un état de langue en partie obsolète, d'où son intérêt ; elle invite aussi à une lecture anagrammatique de certaines formules (lecture dont on peut se demander si la tradition en a été conservée) et permet d'envisager un langage codé du griot et/ou du tambourinaire18Elle révèle enfin la façon dont le wolof était perçu au XIXe siècle (on comparera utilement avec Adanson pour le XVIIIe siècle19). Dans cette optique, des recherches portant sur d'autres "romans coloniaux", où les notations linguistiques n'ont apparemment pour but que d'entretenir l’"illusion référentielle", pourraient s'avérer étonnamment fructueuses. D'où, pour l'africaniste, l'intérêt — limité mais incontestable20— du Roman d'un spahi.

 

 
 




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Appendice
Particularités lexicales dans Tamango de Prosper Mérimée.
Ce récit n'offre guère, à l'africaniste, qu'un intérêt anecdotique. Il s'agit, comme on le sait, d'un épisode de la toute dernière phase de la traite (1829)21.On en connaît l'histoire : le capitaine Ledoux vient prendre une livraison de "bois d'ébène" dans le sud du Sénégal. Son pourvoyeur, Tamango, lui cède, sous le coup de l'ivresse, l'une de ses femmes, Ayché, qui l'a empêché de tuer un captif, griot de son état. Le lendemain, ayant recouvré ses esprits, il rejoint le navire pour récupérer son dû. Ledoux refuse et clôt la discussion en capturant purement et simplement Tamango.
Mis en présence d'Ayché, Tamango menace cette dernière des foudres de "Mama-Jumbo" si elle ne lui obéit : la jeune femme obtempère et aide son mari à provoquer une mutinerie. Les Blancs tués, aucun des ex-captifs n'est capable de manœuvrer le bâtiment, qui intègre, peu à peu (au fur et à mesure des morts), la dimension d'un vaisseau fantôme. Seul survivant, Tamango est sauvé in extremis par une frégate anglaise.
Peu nombreuses, les particularités lexicales de la nouvelle se résument à :

- rivière de Joale (lieu où mouille le bateau négrier) (p. 55).
- langue yolofe,22p. 56.
- guiriot, qualifié de "magicien", pour "griot". Le mot viendrait du portugais criando.Cette graphie, datable de 1802, apparaît plus conforme aux langues africaines que la graphie standard. La Revue de Paris, qui a publié une première version du texte de Mérimée, donne guisiot, qui semble être une coquille.
- Ayché, pour Aïcha.Il semble que la toponymie et l'onomastique coloniales françaises aient été friandes de l'y graphique (Bargny, Émyrne- pour Imerina- à Madagascar...).
- Peules, pour désigner l'ethnie en général : "Dans ses harangues, [Tamango] ne se servait que du dialecte des Peules, qu'entendaient la plupart des esclaves, mais que l'interprète ne comprenait pas" (p. 297, Garnier. L'éditeur précise sobrement, en note, qu'il s'agit d'une "peuplade de la Sénégambie".
- Mama-Jumbo, figure décrite comme le "Croquemitaine des nègres" (p.62). Selon Alexander Haggerty Krape ( in Prosper Mérimée, Romans et nouvelles,éd. M. Parturier, Paris : Garnier, 1967) la source du passage est un épisode, daté de 1795, du Voyage dans l'intérieur de l'Afriquede Mungo Park (traduit par J. Castera, Paris, Dentu, an VIII, t. I, pp. 59-60). Le Mumbo Jumbo, sert, dans la société mandingue, à tenir les femmes dans la sujétion. Il s'agit d'une sorte d'épouvantail, à masque d'écorce qui confond, au cours de cérémonies, les épouses suspectées d'infidélité, et les châtie en public. M. Park soupçonne le mari lui-même, ou quelqu'un d'instruit par lui, de tenir le rôle de cet "étrange magistrat". Il est cependant probable que le personnage, dans cette acception juridique, n'est qu'une forme dégradée de l'Esprit ancestral (Fangool) analogue aux génies de type Maam Njare (cf. H. Gravrand, 1983 : 85), Mami Wata (Côte d'Ivoire...) ou Mamandelo (Guyane)23Jumbo est vraisemblablement un terme mandingue, crédité actuellement par les dictionnaires24d'une origine américaine (surnom de l'éléphant25et fonctionne à la fois comme lexème (chariot à portique) et morphème augmentatif (cf. le composé jumbo jet26).
Ce type de génie, familier à l'ensemble mandé-sérère-lébou, souvent lié à l'eau, prend différents aspects selon la lignée concernée. Ses appellations varient de même : Kumba Kastel à Dakar, Maamguej et Sangomar à Fadiouth, Maam Kumba Lambay à Rufisque, Maam Njare27à Yoff... À noter enfin l'existence d'un groupe musical, le Super Mama Jumbo, en Casamance.



1Les auteurs tiennent liminairement à remercier les informatrices et informateurs sans qui ce travail, largement collectif, n'aurait pas été possible, en particulier Khadidjatou Anne, Bassirou Dieng, Momar Cissé, Moussa Daff, André Dédet, Jean-Léopold Diouf, Marie-Hélène Diouf, Alioune Ngoné Seck et Fatou Sow.
Leur gratitude toute particulière va à M. Abdoul Aziz Diaw, chercheur au CLAD, actuellement en retraite, pour l'aide inestimable qu'il a bien voulu leur apporter.
2Nous utilisons l'édition des Presses de la Cité, collection Omnibus (1989).
3Dont on ignore trop souvent qu'elle constitue le prototype de la Madame Buterfly de Verdi.
4Nous proposerons en appendice l'analyse d'une nouvelle de Prosper Mérimée, Tamango, dont le cadre africain sert essentiellement à mettre en valeur un message de nature philosophique et allégorique.
5On sait que l'origine de la grave crise sentimentale qui le fera céder aux charmes de Fatou-Gaye, est la trahison d'une « mulâtresse de Bourbon » (La Réunion) particulièrement perverse. "C'était une mulâtresse, disait-on, mais si blanche, si blanche, qu'on eût dit une Parisienne [...] C'était la femme d'un riche traitant du fleuve. Mais, à Saint-Louis, on la désignait par son prénom, comme une fille de couleur, on l'appelait dédaigneusement Cora" (p. 268). 
6On trouve guiolof, dans un manuscrit du XVIIIe siècle (C. Becker, V. Martin, C. Mbodj, 1979 : VII), jolof chez Pruneau de Pommegorge (id.), iolof chez Golberry (id.), oualofe chez Adanson, ouolof chez le Baron Roger (1829) et Faidherbe (1864) ; volof et olof chez Mgr Kobès (1855-1923) et Guy-Grand (1923), qui précisent que le v graphique correspond à la prononciation du [v] français ; le w n'a d'ailleurs aucune existence, chez l'un et l'autre auteurs; yolof chez Loti et Mérimée ; walaf chez Cheikh Anta Diop (1977) - mais non chez son disciple, Théophile Obenga (par exemple 1993), qui écrit wolof. Les auteurs du XIXe siècle accordent en général l'adjectif ou le nominal en genre et en nombre ; l'accord en genre se traduit même par une gémination (purement graphique, faut-il le préciser ?) chez l'Abbé Boilat (1858) : langue woloffe. L'accord en nombre est parfois omis. Voir infra, note 21. En dépit du consensus actuel en faveur de l'invariabilité, nous maintenons l'accord pour des raisons de logique propre au texte français.
Mgr Kobès indique que : "Les étrangers ont adopté le mot yolof pour désigner ce peuple et le langage, et ces mots ont passé en usage, mais il est étymologiquement incorrect" (entrée : Olof).
Voir sur ces points le travail d'A. Dialo (1981).
7On sait que la non-commutativité du [x] et du [Â] en français sert, chez Saussure, à illustrer la valeur purement différentielle des phonèmes : "Je puis même prononcer l'r français comme ch allemand dans Bach, doch, etc., tandis qu'en allemand je ne pourrais pas employer r comme ch, puisque cette langue reconnaît les deux éléments et doit les distinguer" (F. De Saussure, Cours de linguistique générale, éd. T. De Mauro, 1976, p. 165). Ce qui est dit de l'allemand est, comme on le sait, valable pour le wolof. 
8Bien plus, l'alphabet wolof d'Adanson ne connaît que trois prénasales : mp, ng, nk, avec, comme on le voit, une seule sonore (p. 1). Chez Kobès et Guy-Grand, on trouve par exemple l'alternance fôt/mpôt, aujourd'hui obsolète. D'où l'inconséquence à relever dans le Dictionnaire d'A. FAL et alii,qui écrivent : « Les sons mp- mb- nt- nc- nj- nk- ng- nq doivent être réalisés sans "é" d'appui en début de mot » (p. 14), tout en fournissant des exemples ne comportant, et pour cause, que des sonores à l'initiale.
La même évolution a eu lieu en sérère, où la prénasale sourde résiduelle nq n'est plus, semble-t-il, prononcée que [ng  ]. De plus, dans cette langue, l'alternance entre implosive sonore et sourde, dans l'expression notamment du pluriel verbal, est, semble-t-il, en voie de disparition.
Le poular, de même, ne connaît que des prénésales sonores.
9Qui a paru suffisamment représentatif pour que les auteurs du Lexique français du Sénégal en donnent une illustration. Bamboula est absent du Dictionnaire universel (Vanves : Hachette-EDICEF, 1995).
10Loti semble avoir été fasciné par cette "caste d'hommes spéciaux, appelés griots" (p. 301), puisqu'il réserve un chapitre spécial à une "Digression pédantesque sur la musique et une catégorie de gens appelés griots" (pp. 301-302).
11Il existe, précisément, une analyse d'une « langue spéciale » propre aux griots-guitaristes peuls (Gaden, "Le poular", in H. Labouret, "La langue des Peuls ou Foulbé", Bulletin de l'IFAN n° 16, Dakar, 1952.
12C'est aussi la graphie de Kobès (1855), ce qui pourrait signifier que [[ ] et [n ] peuvent synchroniquement  fonctionner comme variantes dans les contextes tels que celui étudié.
13Le pendant masculin de Ndiaye semble bien être Mbaye, comme dans certaine formule, des « apprentis » de car-rapide, destinée à inciter les passagers à monter... .
14Un fait étonnant est que la plupart des informateurs (trices), sans identifier les termes, considèrent intuitivement qu'il s'agit de l' invite adressée à une danseuse à exposer ses appas. L'image conductrice est certes celle du couple formée par le joueur de tama et telle partenaire occasionnelle au cours d'un duo spontané au symbolisme évident, où le tama, porté verticalement, ne joue pas le rôle le plus négligeable, et où il n'est pas rare, dit-on, que la danseuse exhibe précisément ses charmes. Voir par exemple un dessin de Samba Fall (dessinateur au Soleil) intitulé de manière éloquente « Exhibitionnisme ». L'instrument est représenté (en compagnie du sabar) dans J. Blondé et alii, p. 122). À signaler également l'existence d'une autre danse, le ñapâtu, considérée comme « indécente » par Guy-grand, mais non par Kobès. M. Daff (communication personnelle) rapproche la danse en question du ndawràbbin, « danse traditionnelle des femmes lébou » pour A. Fall et alii (1990), « danse lébou » pour J.L. Diouf (1994). On notera la présence, dans ce terme, de la racine polysémique  ndaw, signifiant, entre autres, « jeunesse, virginité, nubilité » (en revanche le verbe ràbb est d'une interprétation autrement délicate). Ces rites, à la fois de passage et de fécondité semblent s'être éteints, au moins dans le nord du Sénégal, dans le courant des années soixante, sans doute sous la pression d'un islam de plus en plus hégémonique. Une forme dégradée et persistante en est le tànn-beér (« sabar de nuit »), ou des phénomènes de mode, tel le feccu-xaj (« danse du chien »), dont d'ailleurs s'émeuvent certains organes et intellectuels...
15Cf. l'alternance [? /h ]/ [k], par exemple añaan/kañaan signalée par A. Dialo, 1984 : 92.
16On peut, de l'anagramme, passer à la "différentielle signifiante" chère à Julia Kristeva (1972). Unité minimale de "signifiance", cette différentielle, refonte du signifiant et du signifié, contient tous les homonymes, synonymes, acceptions logiques, relations sociales, possibilités de traduction, de translittération, de jeux de mots...propres à un terme. Dans cette optique, A. Dédet, professeur à l'Université de Nouakchott, nous signale que son ordinateur suggère, pour Anamalis fobil, "entamais fouille", ce qui, on en conviendra, n'est pas non plus mal trouvé ! Notre traitement de texte fait état d'une inspiration analogue, tout en ajoutant "phobie".
17Mais c'est le cas de la plupart des wolofistes du XIXe siècle, essentiellement manieurs de sabre et de goupillon tant qu'on voudra, mais descripteurs consciencieux (le même intérêt ne fut pas, semble-t-il, partagé par leurs homologues musulmans, enclins à perpétuer une tradition graphique arabe élidant inévitablement non seulement la notation de la quantité, mais celle des voyelles mêmes).
Une exception : Jean Dard, instituteur à Saint-Louis de 1815 à 1820, l'un des seuls à pouvoir exciper d'un titre académique laïque.
18On sait que, sous le terme de bendrologie (de bendre, équivalent mooré du sabar), certains chercheurs du Burkina Faso proposent une description autonome du « langage » du tam-tam. Voir, par exemple,
A. Ouedraogo, 1988. Le terme existe concurremment avec drummologie (angl. drumms). De l'avis de nombreux musiciens, tel Doudou Ndiaye Rose, le langage des tam-tams est un langage à part entière.
19Le pessimisme, somme toute romantique, de Loti contraste avec le rousseauisme d'Adanson, qui l'amène à considérer la langue wolofe comme « [égalant] à peu de choses près la perfection [du langage] des peuples les plus policés et les plus savans de l'Europe » (1749-1753 : III).
20Ainsi le passage de prénasales essentiellement sourdes au XVIIIe siècle, aux prénasales exclusivement sonores d'aujourd'hui. Au plan sociolinguistique, la précision de Mérimée quant à la langue utilisée par Tamango pourrait suggérer, à la condition d'autres indices convergents, que le poular jouait, dans le Sénégal du premier tiers du XIXe siècle, un rôle véhiculaire perdu depuis.
21Interdite en principe par le Congrès de Vienne (1815), la traite fut à nouveau condamnée par les ordonnances  royales d'août 1823 et de décembre 1826, et cessa définitivement en 1830. Pour l'esclavage proprement dit, il prit fin, dans les possession françaises, avec le décret préparé par V. Schœlcher (1848). Supprimé par la Révolution, Bonaparte, l'avait rétabli, sans doute sous l'influence de sa très créole épouse, pour l'abolir à nouveau en 1815, dans un Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire qui devait demeurer – au moins sur ce point – lettre morte.
22Définie sobrement comme la « langue parlée par les Yolof [sic ] qui habitent la Sénégambie » (p. 56). Détail orthographique amusant : L. Vincent, l'éditeur de Mérimée (Classiques Hatier), accorde yolof en genre, mais non en nombre... La même attitude se trouve chez le Père De Foucauld accordant touareg en genre (touarègue) mais non en nombre. Il est vrai qu'il s'agit déjà d'un pluriel, ce que n'ignore pas le religieux, même s'il traite le mot comme un singulier.
23Voir l'Inventaire des particularités du français en Afrique noire, entrée : MAMI WATA.
24Ainsi le Petit Larousse. Le terme ne figure pas dans le Dictionnaire universel, AUPELF-EDICEF-Hachette, 1995.
25Pour le Dictionnaire Bordas-Focus (Paris : Bordas, 1963), à partir du nom donné par Walt Disney à l'éléphant; pour le Robert (Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française de Paul Robert, Paris : Le Robert, 1989), à partir du nom de l'éléphant du zoo de Londres acheté par Barnum en 1882. Comme on le voit, les deux explications se complètent.
26Pour être exhaustif, il faut mentionner 'une marque de bouillon de ce nom, particulièrement appréciée ...en Afrique de l'Ouest.
27Cf. Mâm (Maam) : "ancêtres de temps immémorial" pour Mgr Kobès.