LITTÉRATURE FRANÇAISE
ET LANGUE AFRICAINE :
L'EXEMPLE DE PIERRE LOTI 1
:
Amadou Dialo et Francis Gandon
Université de Dakar et Université de Caen
Publié en 1881, troisième œuvre de Pierre Loti (après
Aziyadé
et Le Mariage de Loti), la première à être signée
de son nom, le Roman d'un spahi2 relève
d'un genre particulier : le roman colonial. À ce titre, il n'a pas
bonne presse : il ne serait bon qu'à satisfaire à peu de
frais la soif d'exotisme de l'époque, en la confortant dans ses
préjugés raciaux ; exotisme considéré d'ailleurs
aujourd'hui comme d'autant plus frelaté qu'il concerne essentiellement
chez Loti, de la Polynésienne Harahu à la mousmé Chrysanthème3, des
figures féminines.
Bien qu'ici notre intérêt soit strictement
linguistique, nous ne nous interdisons cependant pas quelques réflexions
à incidence littéraire. Disons que l'œuvre de Loti, le "roman
colonial" en général, ne méritent pas entièrement
le discrédit gaufré de condescendance dans lequel ils sont
tenus. Ne le méritent pas tous4. Dans
le Roman, par delà l'intérêt historique et un
exotisme parfois facile, la figure du spahi, cet hôte de la "partie
morte d'une ville morte" émeut par une sorte de malaise existentiel
à l'état sauvage. Mais l'histoire du couple qu'il compose
avec Fatou-Gaye touche très précisément au tragique
de par son impossibilité même - l'impossibilité, au
fond, de la greffe, du métissage5. Si
la mort du soldat relève d'un thème solaire, l'infanticide
et le suicide de Fatou-Gaye, conjuguant le sable et le ciel, haussent ce
thème à la dimension d'un mythe, qui n'est pas sans évoquer
les tragédies antiques. On peut d'ailleurs
remarquer, tout au long du texte, une discrète mais insistante métaphore
associant la jeune femme à une figure grecque.
Passons à présent à des considérations
linguistiques. L'étude proposée porte sur les termes de "yolof"6 dont
Loti parsème son roman.
Trois ensembles peuvent être déterminés
:
1) Termes actuellement attestés, même s'ils
présentent un écart d'avec l'usage standard ;
2) Termes vieillis, connus — quand ils le sont — des
seuls spécialistes, catégorie dans laquelle nous rangerons
certains mots dont l'origine et l'identité sont problématiques
;
3) Enfin une formule énigmatique de griot, énigmatique
dans la mesure où aucune traduction grammaticalement satisfaisante
n'en a pu être donnée. L'interprétation qui sera proposée
sera en quelque sorte la radiographie d'une certaine perplexité
collective (la patience et la science de plusieurs chercheurs ayant été
sollicitée), encore que le sens général ne fasse pas
de doute.
On verra, au terme de cette modeste analyse, que — quelque
lapidaires en soient les données — le texte de Loti n'est pas dépourvu
d'intérêt linguistique : il permet, en particulier, d'évaluer
certains traits de la langue wolofe du XIXe siècle et de caractériser
précisément celle-ci par une aptitude passablement rapide
au changement.
1. Permanences lexicales
Ram ("je ne sais pas")
- [...] Où l'as-tu mise [la montre] ?
- Ram !...(je ne sais pas!) répondit
Fatou avec indifférence (p.332).
Il s'agit ici d'un emploi bien connu en wolof contemporain
pour xamuma, avec apocope du suffixe de négation.
D'où le paradoxe d'une formule en apparence antiphrastique qui a
paru suffisamment intrigante à Mgr Kobès pour qu'il en propose
l'interprétation suivante : "Ham" (graphie d'époque) aurait
dans un premier temps pris valeur interrogative : "que sais-je ?" "que
pourrais-je bien savoir ?" (Lu ma ci xam ? Dama xam ?) pour
acquérir ensuite la valeur négative proprement dite. on pourrait
ajouter : valeur exclamative.
Cheikh Anta Diop, qui le rapproche de l'égyptien pharaonique h
m, "assurément, vraiment", donne l'analyse :
ham (sic) : savoir ;
employé comme une interjection, il exprime par antiphrase le refus
de renseigner un curieux, d'où ham ! je ne sais pas
(1977 : 267). [Pour dire les choses plus crûment, à la limite,
: m… !]. A. Fal et alii (mais non J. L Diouf) fournissent carrément,
dans leur Dictionnaire, deux entrées différentes pour
les valeurs assertive et négative-exclamative.
Ici Loti identifie [x] et [Â],
bien qu'il n'ignore pas la spécificité du premier phonème,
ailleurs transcrit par kh (khâliss, khassonke…), comme
chez Faidherbe7. Prononciation
propre au Saint-Louis de l'époque ? Il est à noter que certains
Saint-Louisiens et Goréens ont effectivement tendance à "pornoncer",
c'est-à-dire à grasseyer le [r] apico-alvéolaire,
d'où un [Â]
risquant,
dans certains contextes, de se confondre avec le [x].
On
aura noté que Cheikh Anta Diop transcrit
le phonème [x] par h, à
l'instar de Mgr Kobès.
Tara : "sorte de sofa en lattes
légères que fabriquent les nègres des bords de la
Gambie" (p. 319). Chez Kobès : "grosse nervure des feuilles du tambi,
dont on se sert pour les canapés du pays". À noter que le
tarafigure
en illustration du Lexique français du Sénégal
de J. Blondè, P. Dumont et D. Gontier, p. 120.
On trouve dans le Vocabulairede Faidherbe le mot takhadé
comme
traduction soninkée de "chaise".
Khâliss : "pièce de cinq francs en argent".
Il s'agit, pour Kobès d'une contraction de derem ou hâlis.
Cette valeur quinaire (unitaire, dans un système de comptabilité
lui-même quinaire), conservée dans dërëm,
semble
avoir déserté xaalis en wolof contemporain.
Elle est parfaitement claire chez Loti :
[...]
pourtant, deux khâliss, c'était beaucoup dans ce moment
pour sa pauvre bourse de spahi (p. 306)
L'accent circonflexe transcrit, chez Kobès, comme
ici, le a long (aa), ce qui est correct.
Toubab. Devient "toubah !" en tant
qu'interjection. L'interprétation de cette lénition apparaît
d'autant plus délicate qu'elle n'a lieu qu'en cas d'interpellation
isolée, puisque, — l'exemple suivant le montre — l'insertion du
mot dans un contexte phrastique ne la provoque pas. On ne peut exclure
l'hypothèse d'un amuïssement de b dans certains environnements.
À noter que l'origine même de toubabreste uneénigme
(une éventuelle origine arabe tubibétant sans pertinence).
Sont aussi attestées les variantes toab
et touab.
Man/Ma.Pronom personnel de la première
personne à double forme : tonique et atone. L'exemple suivant montre
une confusion entre les deux formes :
May man coper, souma toubab !
(donne-moi un sou, mon blanc !) (p. 271).
Ce qui présente un cas de "petit wolof" difficile
à interpréter (la forme correcte est Mayma…).
Erreur de transcription de Loti ? parler spécifique à certains
locuteurs, et renvoyant à un état ancien de la langue ? Le
manuscrit d' Adanson (1749-1753 : 6) semble bien indiquer la possibilité
d'utiliser tant man que ma pour équivalent
de "moi", mais cette notation, eu égard à la nature même
du document, doit être considérée avec circonspection.
Coper. Est désigné comme
"sou". On trouve, dans le Dictionnaire des R.R.P.P. de la Congrégation
du Saint-Esprit et du Saint-Cœur de Marie (1855) : un sou : kopar
bu tût, ou bu tût (littéralement
: une petite pièce) ; deux sous : kopar bu réy ou
bu
réy (littéralement : une grosse pièce) ; trois
sous : bu réy a[k] bu tût (une grosse et une
petite pièce). À noter que bu tuut s'emploie actuellement
en Gambie pour parler de l'argent.
Signarde.
-
On a vu des mulâtres et des mulâtresses en habits des grands
jours ; les vieilles signardes du Sénégal
(métis
de distinction), raides et dignes avec leur haute coiffure de foulard madras
et leurs deux papillotes en tire-bouchon à la mode de 1820 ; (p.
308
Du portugais senhora, signare (siñaara
en
wolof) désigne une métisse saint-louisienne (ou goréenne)
de haut statut social et de religion chrétienne. Loti semble avoir
été troublé par l'absence de genre masculin (au contraire
de mulâtre) : il opère à la fois une neutralisation
du sexe (avec l'apposition
métis)et semble, avec la réfection
(nulle part ailleurs attestée) signarde, sur
un modèle de type mignarde,faire l'hypothèse d'un
masculin signard.Par ailleurs, écrivant
Cap verd, Loti
semble tenté par un compromis orthographique entre portugais et
français. Il est possible que ce d final ait été
un phénomène de mode (cf. l'une des anciennes graphies
Dacard).
Puisque nous en sommes venus aux noms propres, considérons
à présent le cas des anthroponymes et des toponymes. On constate
en effet un manque de cohérence dans le traitement orthographique
des premiers. Si "Fatou-GAYE " respecte — mais pas partout — la
répartition entre prénom (en minuscules) et nom (en majuscules),
il n'en va pas de même avec Nyaor-fall,
Coura-n'diaye
et Samba-Hamet, qui sont traités comme des toponymes.
Ces derniers ne manifestent pas, de leur côté,
une cohérence sans faille : à côté de Guet
n'dar, on trouve Ndartoute, comme si Loti ne reconnaissait pas
le même radical dans ces désignations de deux quartiers de
Saint-Louis.
Un autre type de distorsion se manifeste : entre les
anthroponymes et les ethnies auxquelles appartiennent les personnages.
Ainsi, bien que de lignage khassonké (mandé), Fatou porte
un nom wolof. Quant au spahi Nyaor-fall, "géant africain de la magnifique
race Fouta-Diallonké" (p. 268), son nom wolof (ou maure) contredit
son ascendance peule. Il est vrai que Loti, s'il les distingue parfois
nettement, confond souvent les ethnies maure et peule, plus ou moins, d'ailleurs,
créditées d'un identique cousinage arabe...
Dernière remarque pour les noms propres : Jean
devient systématiquement Tjean.Il y a donc production de
ce qu'on peut supposer être une affriquée. Une telle affriquée
n'est cependant normale qu'avec la sonore [d] (transcription : [j] Apparaît
donc un comportement hétérodoxe de la part d'une consonne
sourde, dont on relèvera plus loin un autre exemple.
2. Termes non compris actuellement
du wolofophone moyen
Kéou! pour "bonjour ! .
Le mot est indiqué comme tout à fait attesté chez
Faidherbe, Kobès et Guy-Grand. Selon ces derniers, la formule (indiquée
comme "dérivée de F[rançais]" chez le premier, mais
il s'agit probablement d'une coquille), désigne la formule du matin
jusqu'à 10 heures, et doit être complétée ainsi
: dara kéu, le préfixe dara (jërë
en orthographe moderne) servant également à la salutation
de l'après-midi (dara gonal) et du soir (dara
kendu).
À noter que jërë, "valoir", ne se retrouve
plus guère que dans le synthème jërëjef
("merci"),
où il n'est d'ailleurs plus perçu comme monème. De
même Kéou! est souvent interprété,
comme un usage antiphrastique de keww (écarquiller
les yeux) invitant, à baisser le regard. Il n'est pas exclu que
keww
et
yeewu
(se
réveiller) soient de même racine. L'expression entrait dans
le cadre des salutations spécifiques ( tel moment de la journée,
telles circonstances — voyage, malheur, perte, travail... —, tel interlocuteur...)
restées vivaces, par exemple, en sérère. Comme on
le voit, la formule passe-partout
salâm alékum
(salaamaalekum)
(définie
par Kobès comme le "salut des marabouts" et comme formule des "mahométans"
par Guy-Grand) a prévalu, entraînant, avec sa généralisation,
la disparition d'un rituel de politesse complexe, sans doute encore très
vivant aux alentours de 1923 (date de la publication du Guy-Grand), et
dont l'abbé Boilat, dans ses
Esquisses sénégalaises,
donne de nombreux exemples. Signalons enfin qu'une autre formule : Jàmm
ngeen am, tend actuellement à disparaître.
Tata : mot actuellement peu ou
mal connu (présent, cependant dans A. Fall et alii, 1990,
et J.L. Diouf, 1994). A chez Loti, valeur de "palissade". Faidherbe en
donne la traduction suivante : "mur d'enceinte (en terre glaise)", et Kobès
glose ainsi le terme : "barricade en pierres, rempart, fort". Dans certains
documents historiques, le terme a effectivement le sens de "fort indigène".
Comme Loti semble le seul à l'associer au bois, il n'est pas exclu
qu'il ait relevé un usage particulier à Saint-Louis, où
tata
indiquerait
une marque d'extension des quartiers.
Laobé. Il est, enfin, souvent
question du terme laobé utilisé de manière
adjectivale ou nominale pour désigner une race de chiens. Si "laobé"
(lawbe)
désigne
effectivement une caste de l'ethnie hal-poular spécialisée
dans le travail du bois (pour Guy-Grand, la menuiserie locale est généralement
le fait des Laobé et des Señ:
entrée : Menuisier), il n'existe aucune attestation qu'il
se soit agi d'une race de chiens (sur le modèle de berger allemand
ou
de setter irlandais). Deux hypothèses sont plausibles : soit
l'emploi qu'en fait Loti a existé mais s'est perdu, soit il s'agissait
d'un usage propre à un groupe particulier, vraisemblablement de
militaires français, et étranger au parler autochtone. Il
ne s'agit pas, en tout cas, d'une notation isolée, puisque Loti
évoque à plusieurs reprises l'aspect physique et les qualités
de l'animal. Toutefois, Mme le Professeur Ndiaye-Corréard
me signale l'existence d'une annonce récente, où il est bien
question de "chien laobé"...
Ngabou.
Fatou ne pouvait apercevoir un ngabou (un
hippopotame) sans courir les risques de tomber raide morte ; - c'était
un sort jeté jadis sur sa famille par un sorcier du pays de Galam
(p. 311)
Le cas est ici particulier puisqu'il s'agit d'un terme
de poular attesté dans le Vocabulaire de Faidherbe, qui donne
aussi l'équivalent wolof : léber (léebéer).
Ce
terme a d'ailleurs largement essaimé puisqu’il semble se retrouver
en gbaya (famille Niger-Congo, branche oubanguienne) sous la forme
: *NGÙ'BÚ donnée par Y. Moñino
(1981 : 75) comme exemple d'une formule avec tonème et schème
montant.
Soumaré.
Les soumarés sont des tresses
faites de plusieurs rangs enfilés de petites graines brunes ; ces
graines qui mûrissent sur les bords de la Gambie ont une odeur pénétrante
et poivrée, un parfum sui generis, une des odeurs les plus
caractéristiques du Sénégal. (p. 297)
Ignoré de l'ensemble des dictionnaires, tant
anciens que modernes, le terme ne se retrouve que dans le Lexique wolof-français
(CLAD/IFAN, Tome 3, 1979), sous la forme sumaare : "plante
à grains odorants dont on fait des colliers (hibiscus abelmoschus)".
Il semble relever d'une langue du groupe mandé.
Enfin, une scène de marché à Guet-n'dar
mérite d'être signalée en ce que d'une part elle donne
lieu à une erreur d'interprétation de la part du narrateur,
en ce que, de l'autre, elle présente un étonnant mélange
de termes vieillis et actuels.
Marchands et marchandes accroupis dans le sable, riant
ou se disputant ; bousculés, piétinés, eux et leurs
produits, par les acheteurs.
-Hou ! dièndé m'pât!..(marchandes
de lait aigre, contenu dans des peaux de bouc cousues, retournées
le poil en dedans).
- Hou ! diènde nébam
!...
(marchandes
de beurre, — de race peuhle, — avec de grands chignons tricornes plaqués
de cuivre, — pêchant leur marchandise à pleines mains dans
des outres poilues ; — la roulant dans leurs doigts en petites boulettes
sales à un sou la pièce, — et s'essuyant les pattes après
dans leurs cheveux).
- Hou ! dièndé kheul !...dièndé
khorompolé!.. (marchandes de simples, de petits
paquets d'herbes ensorcelées, de queues de lézards et de
racines à propriétés magiques).
- Hou ! dièndé tchiakhkha !...dièndé
djiarab !... (marchandes accroupies, de grains d'or, de grains
de jade, de perles d'ambre, de ferronnières d'argent ; — tout cela
étalé par terre sur des linges sordides, — et piétiné
par les clients).
- Hou ! dièndé guerté !.. dièndé
khankhel !.. dièndé iap-nior !.. (marchandes
de pistaches, — de canards en vie, — de comestibles insensés,
— de viandes séchées au soleil, de pâtes au
sucre mangées par les mouches). (p. 334).
La transcription (et la traduction) de l'appel du marchand
( qui concernerait plus le marchand ambulant que le vendeur fixe) sont
inexactes : ce que Loti a pris pour une interjection est en réalité
une variante du pronom interrogatif ku, soit kuy
(marque de l'inaccompli) ou koo (variante proprement saint-louisienne).
Jënd,
ici
suivi de la voyelle de soutien e,
signifie "acheter", d'où
: "Koo jënde ?", "Qui achète ?" La confusion
du
h et du k pourrait d'ailleurs rendre compte d'une difficulté
d'interprétation de Faramata hi !
que nous exposerons
plus bas.
M'pât désigne chez Faidherbe
le "lait aigre", le "babeurre" chez Mgr Kobès, qui en donne la source
: fât,"baratter". Il s'agit, au plan phonologique,
d'une curieuse exception puisque le wolof actuel ne connaît de prénasales
que sonores à l'initiale. Toutefois les sourdes existaient en ancien
wolof (cf. la ville de M'pal) et semblent encore pratiquées
par certains locuteurs du Waalo8. Quoi
qu'il en soit mp est un phonème inconnu des dictionnaires
modernes à l'initiale. Faat est présent chez
A. Fal et alii, aux sens de "baratter" et d’"ôter la vie"
; uniquement au sens de "tuer" chez J.L. Diouf. Le dérivé
est partout absent, bien que paat soit connu comme terme technique.
Nebam est un terme poular, signalé
par Faidherbe, et utilisé par les Wolofs, pour "beurre". Kobès
donne nèbon,"graisse".
Kheul (xël) désigne
la vitex doniana.
Khorompolé (horompolé
g
chez
Kobès, xorompolle m chez A. Fal) désigne le giroflier.
Tchiakhkha, graphie actuelle caq,
pour
"collier" ou "collier de perles" (le même mot se retrouve en poular
et en soninké). Le kh redoublé semble transcrire le
phonème [q] ignoré des descriptions anciennes à l'exception
du Vocabulairede Faidherbe, où il est transcrit par qh,
(d'où tchiaqhqha). Kobès ne le distingue pas
de [x] (d'où la graphie taha qui sanctionne, dans
son système de notation, l'impossibilité de transcrire
les géminées). En graphie actuelle, on admet
xx pour
[q], qui n'est plus qu'une consonne résiduelle.
Djiarab (jara) pour
"bracelet de perles porté au poignet". On trouve darab chez
Kobès ("perle") et darap chez Guy-Grand ("verroterie").
Témoignage intéressant : les occlusives finales étant
prononcées implosées, la sonorité ne joue plus. La
graphie actuelle sanctionne une évolution où la finale s'amuït
totalement.
Le cas de khankhel (xànxel
ou
xànqel)
est
étonnant. Attesté dans tous les dictionnaires, son emploi
semble se raréfier au profit de kanaara, d'origine
française, au point de n'être plus compris des wolofophones
non wolofs, même des Peuls, alors que le terme est donné également
comme poular par Faidherbe, sous la forme voisine de khankaléoual.
Mieux, Diouf et Yaguello (1991) proposent les composés kanaara-all
(canard
sauvage) et kanaara-kër (canard domestique). Cependant,
A. Fall et alii ne mentionnent que le terme autochtone. Aucun de
ces mots ne désigne la jade ou l'or évoqués par Loti.
Enfin guerté (gerte) est un terme
actuel, utilisé tant en wolof qu'en soninké et en poular.
Inversement, certains lexèmes censés rendre
compte des realiasénégalaises, sont sans répondant
wolof. C'est le cas de bamboula, intégré au
français central, et crédité d'une origine guinéenne
(soso ?) par le Larousse (mais d'une origine bantoue par le Petit
Robert), et qui désigne un tambour et, par métonymie,
la cérémonie qu'il identifie (le même principe est
utilisé en contexte wolof avec sabar9 -
à la fois tambour et cérémonie - comme dans l'expression
"grand sabar").
3. Un distique énigmatique
Il s'agit des deux premières formules d'un "chant endiablé"
accompagnant les "bamboulas de printemps", qui apparaissent comme un distique.
La traduction, précise Loti, en "brûlerait ces pages". C'est
dire que le sens du distique — lascif, apparemment, au dernier degré
— allait de soi au moment de la rédaction du Roman. Il n'en
va plus de même aujourd'hui. Donnons-en les environnements principaux.
Anamalis fobil ! hurlaient les griots en frappant
sur leur tam-tam, - l'œil enflammé, les muscles tendus, le torse
ruisselant de sueur...
Et tout le monde répétait en frappant des mains avec frénésie
: Anamalis fobil !Anamalis fobil !.. la traduction
en brûlerait ces pages... Anamalis fobil ! les premiers mots,
la dominante et le refrain d'un chant endiablé, ivre d'ardeur et
de licence, - le chant des bamboulas de printemps !...
Aux bamboulas du printemps, les jeunes garçons
se mêlaient aux jeunes filles qui venaient de prendre en grande pompe
leur costume nubile, et, sur un rythme fou, sur des notes enragées,
- ils chantaient tous, en dansant sur le sable : Anamalis fobil !
(p.
290)
On entendait déjà le tam-tam des griots
et le chant des désirs effrénés qui commençait
dans le lointain : Anamalis fobil ! Faramata h !... (p. 291)
[...] et, assourdi dans le lointain,
le tambour, l'anamalis fobil du printemps, qu'il entendait
dans ce même lieu pour la quatrième fois [..] (p. 315)
La dernière citation est particulièrement
significative en ce que le premier vers désigne, par métonymie,
la cérémonie elle-même ; apposition à tambour,
la formule est devenue nom commun: c'est dire à quel point
elle devait être familière à Loti et aux Français
de Saint-Louis, pour avoir acquis ce statut.
Ouvrons une parenthèse sur le sens profond des
"bamboulas", manifestement mal compris de Loti. Commençons par un
paradoxe : la société décrite par Loti est une société
puritaine, même si les voyageurs et les résidents européens
pensent avoir sous les yeux l'image inverse. Les "bamboulas" constituent
alors, comme dans toute société traditionnelle, une transgression
périodique de l'ordre, qui, selon le principe classique de la fête
(R. Caillois, G. Bataille...), a pour objectif de le revigorer.
Par ailleurs, le griot peut — et même doit (c'est
le seul qui en a vraiment licence) — évoquer des sujets tabous,
notamment sexuels. Il peut le faire selon un discours crypté, un
"jargon" remodelant le code linguistique, lui-même objet, dès
lors, de la transgression10. On
comprend alors que le distique en question ne puisse être "traduit"
dans la mesure où il étage une pluralité de lectures
dont chacune ne respecte que très approximativement le lexique et
la syntaxe communs.
Le sens de la formule ne relèverait, en d'autres
termes, d'aucune "évidence" - y compris et surtout pour l'auditeur
étranger, à qui on aura dit ce qu'on aura bien voulu dire…
Au strict plan linguistique, aucune interprétation
de ce distique ne peut être hasardée, qui ne viole en quelque
façon la syntaxe, et n'identifie les éléments lexicaux
que passablement déformés. En revanche une lecture anagrammatique
est possible : anagramme étant pris au sens saussurien de
"mot caché sous les mots" ou encore comme "seconde façon
d'être, factice, ajoutée à l'original du mot" (cf.
J. Starobinski, 1971). Dans ce cadre, la manipulation de la face signifiante
du signe, comme la pluralité de lectures, sont la règle.
De même l'ordre linéaire, sans verser forcément dans
la parataxe, perd de sa pertinence : la "syntaxe" qui en résulte
ne peut être que spéciale. La pratique du griot rejoindrait
sur ce point la tradition de manipulation du signifiant11des
écoles coraniques, notamment la lecture inversée des
versets.
Anamalis fobil !
La recherche concernant anamalis est forcément restreinte,
eu égard au caractère peu fréquent (sans être
absolument rare) de la terminaison -is (arbis,"escargot"
; is ou yis,"panier conique à poissons",
xaalis
(origine
arabe), "argent", gis, "voir"...). Par ailleurs,
ana,
selon
M. Abdoul Aziz Diaw, désignerait une ceinture de fines perles portée
autour de la taille. Ceci rappelle effectivement le costume de Fatou Gaye
: "un chapelet de gris-gris au cou, et quelques grains de verroterie autour
des reins" (p. 271). On utilise normalement, à la place de ce terme,
strictement ignoré des documents tant anciens que modernes, les
mots jal-jali (qui rentre dans la catégorie des "expressifs")
et fer, ce dernier d'ailleurs attesté chez Adanson
(comme "tour de ceinture", sous la rubrique "hardes et bijoux des femmes",
p. 34).
L'interprétation proposée par M. Diaw est la suivante : lis
serait une déformation de gis,"voir", d'où
:
Ana ma gis : (pour) que
je voie ta ceinture de reins
avec l'avantage d'une cohérence sémantique
incontestable avec ce qui suit :
fobil ! : soulève
(ss.e. ton pagne)
Cette interprétation présente des difficultés
aux plans phonologique et grammatical : comment expliquer le passage absolument
singulier de la vélaire [g] à la liquide [|] ? D'autre part,
si ma gis présente le cas normal de la conjugaison
"neutre" à valeur finale (type : indil ma gis,"apporte
pour que je voie", "fais-moi voir"), l'antéposition d'ana,
par
surcroît privé de déterminant, est agrammaticale. M.
Daff (communication personnelle) suggère la lecture suivante :Ana
(mu) ma gis?, Où est-il, que je le voie ?qui lève
cette difficulté-ci sans résoudre celle-là. Une solution
est fournie par le Professeur Bassirou Dieng (communication personnelle),
qui signale l'existence d'un verbe lis, signifiant : "se
laisser tomber à terre" (ba àgg suuf). D'où
: "Où dois-je me laisser choir ? soulève !". Cette interprétation
possède l'avantage énorme sur les interprétations
différentes de lever la difficulté d'ordre phonétique.
La grammaire n'y trouve cependant pas son compte : le tour correct serait
: Ana fu ma(y) lis? D'autre part, le verbe ne figure dans
aucun dictionnaire et n'est connu que de quelques érudits, dont
notre savant collègue.
Fobil est un
emploi correct de l'impératif, à partir d'un radical fobi
d'accès
difficile : il ne figure dans aucun dictionnaire ; bien qu'attesté,
notamment à Saint-Louis, avec le sens de "relever", "soulever",
par exemple un enfant porté dans le dos de sa mère (M. Cissé,
communication personnelle). Il semble que fobi ait pâti
de la proximité sémantique et phonétique de fab,
("prendre,
emporter, enlever"), dont il est devenu variante, et ne se retrouve qu'à
l'état d'élément du dérivé
fobin,
que
Mgr Kobès rend par "danse indécente" sans que l'éminent
prélat — ignorance ou pudeur ? — en donne la racine. Or il n'est
pas difficile de retrouver dans ce terme l'impératif
fobil
substantivé
: cette danse aurait pour nom quelque chose comme : "retrousse-toi !",
sorte de French cancan tropicalisé. Le passage de il à
in
ne
présente pas de difficulté, étant attesté ailleurs
: ainsi "huile" est-elle traduite par diluil ("de l'huile") chez
Faidherbe (1864), mais devient divlin chez Guy-Grand12
(1923) (graphie actuelle : dëwlin ou diwlin). Kobès
signale l'existence du verbe homonyme fobin: "danser le fobin".
Une hypothèse intéressante est de rapprocher
ana,
métonyme
du sexe féminin, du prénom
Aana,qui fonctionne
précisément, en wolof contemporain, et concurremment avec
Kumba,
Kanam, Ndiaye13...comme
désignation euphémisante de la nature féminine (en
permettant d'éviter lëf,
lui-même synecdoque),
comme
dans l'expression Ubal sa aana ou
keppal sa aana).
Or Ndiaye est également lié à la poésie
des griots, dans un contexte, strictement analogue, comme le montre cette
comptine (communiquée par A. A. Diaw) dans laquelle le tambourinaire
s'adresse ainsi à sa partenaire14.
Ndiaye, fobil ! "Ndiaye,
soulève !"
Gisuma dara "Je ne vois rien"
Danga may nax. "Tu me trompes (tu fais semblant)".
Par ailleurs, si l'on se hasarde sur un plan plus anagrammatique,
le lexème malan,"pagne", apparaît au moins partiellement
dans malis.
Faramata hi !
Le second vers du distique n'a, tel que transcrit, pas de sens. Il évoque
:
a) Farimata hi ! (Oh, Farimata
! prénom féminin).
b) Faratama hi ! (Oh, tambourinaire
!). Ici, le griot parlerait de lui-même en tant que joueur. Par ailleurs
hi
peut
être interprété comme une variante de
kii,15 démonstratif
à base de classificateur k ; kii
devient élément
prédicatif en l'absence d'un verbe, pour signifier : "faire ceci
ou cela", quand on ne veut pas préciser l'objet, notamment à
l'impératif : kiial : "va le faire !". Le tiroir concerné
serait ici le narratif. D'où la formule, restituée :
Faratama kii ! (que le joueur de
tama fasse le truc, qu'il le fasse, qu'il y aille !)
Cette interprétation demanderait à ce
qu'on rendre compte de la métathèse, ce qu'on ne peut faire
qu'en invoquant une technique de griot jouant sur l'anagramme. Interprétation
d'ailleurs renforcée par la présence, dans ce vers, de la
racine far ("adolescent", "amant", actuellement : "petit
ami", "fiancé"), dont le sens devait être plus explicite au
temps de Loti, puisqu'on trouve chez Mgr Kobès les dérivés
farân
(faraan)
:
"courtiser une femme (T[erme] grossier)" et farantu : "s'amouracher
mutuellement, se courtiser mutuellement d'une manière dissolue",
ce qui, s'accorde, on l'avouera, au contexte, même si la grammaire
n'y trouve pas son compte...
D'où le sens global :
Trousse-toi, que je voie ta ceinture
de perles !
Le tambourinaire, qu'il y aille !
Ou encore, si l'on nous passe cet essai de transfert
au français de la métathèse originale du second vers,
dont le résultat, on en conviendra, n'est pas mal trouvé
:
Vas-y, mate-tameur ! Vas-y tam-mateur!16
Conclusion
La formule que nous venons de disséquer présente
donc l'aspect d'un message cryptique, caractérisé par :
- une sorte de parataxe où le rythme remplacerait
la règle ;
- la déformation des lexèmes ;
- une pluralité de lectures permise par le recours
à l'anagramme.
Il est certain que le sens qu'on en a donné à
Loti ne réalise qu'une partie des possibilités du texte.
Sur l'ensemble du texte, on conclura que l'auteur, pour
étranger qu'il ait été à la linguistique17, a
transcrit son "yolof" de façon, somme toute, scrupuleuse Cette On
peut, de l'anagramme, passer à la "différentielle signifiante"
chère à Julia Kristeva (1972). Unité minimale de "signifiance",
cette différentielle, refonte du signifiant et du signifié,
contient tous les homonymes, synonymes, acceptions logiques, relations
sociales, possibilités de traduction, de translittération,
de jeux de mots...propres à un terme. Dans cette optique, A. Dédet,
professeur à l'Université de Nouakchott, nous signale que
son ordinateur suggère, pour Anamalis fobil,"entamais fouille",
ce qui, on en conviendra, n'est pas non plus mal trouvé ! Notre
transcription reflète un état de langue en partie obsolète,
d'où son intérêt ; elle invite aussi à une lecture
anagrammatique de certaines formules (lecture dont on peut se demander
si la tradition en a été conservée) et permet d'envisager
un langage codé du griot et/ou du tambourinaire18. Elle
révèle enfin la façon dont le wolof était perçu
au XIXe siècle (on comparera utilement avec Adanson pour
le XVIIIe siècle19). Dans
cette optique, des recherches portant sur d'autres "romans coloniaux",
où les notations linguistiques n'ont apparemment pour but que d'entretenir
l’"illusion référentielle", pourraient s'avérer étonnamment
fructueuses. D'où, pour l'africaniste, l'intérêt —
limité mais incontestable20—
du Roman d'un spahi.
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Appendice
Particularités lexicales
dans Tamango de Prosper Mérimée.
Ce récit n'offre guère, à l'africaniste,
qu'un intérêt anecdotique. Il s'agit, comme on le sait, d'un
épisode de la toute dernière phase de la traite (1829)21.On
en connaît l'histoire : le capitaine Ledoux
vient prendre une livraison de "bois d'ébène" dans le sud
du Sénégal. Son pourvoyeur, Tamango, lui cède, sous
le coup de l'ivresse, l'une de ses femmes, Ayché, qui l'a empêché
de tuer un captif, griot de son état. Le lendemain, ayant recouvré
ses esprits, il rejoint le navire pour récupérer son dû.
Ledoux refuse et clôt la discussion en capturant purement et simplement
Tamango.
Mis en présence d'Ayché, Tamango menace
cette dernière des foudres de "Mama-Jumbo" si elle ne lui obéit
: la jeune femme obtempère et aide son mari à provoquer une
mutinerie. Les Blancs tués, aucun des ex-captifs n'est capable de
manœuvrer le bâtiment, qui intègre, peu à peu (au fur
et à mesure des morts), la dimension d'un vaisseau fantôme.
Seul survivant, Tamango est sauvé in extremis par une frégate
anglaise.
Peu nombreuses, les particularités lexicales
de la nouvelle se résument à :
- rivière de Joale (lieu où
mouille le bateau négrier) (p. 55).
- langue yolofe,22p.
56.
- guiriot, qualifié
de "magicien", pour "griot". Le mot viendrait du portugais
criando.Cette
graphie, datable de 1802, apparaît plus conforme aux langues africaines
que la graphie standard. La Revue de Paris, qui a publié
une première version du texte de Mérimée, donne guisiot,
qui
semble être une coquille.
- Ayché, pour Aïcha.Il semble que la toponymie
et l'onomastique coloniales françaises aient été friandes
de l'y graphique (Bargny, Émyrne- pour
Imerina- à Madagascar...).
- Peules, pour désigner l'ethnie
en général : "Dans ses harangues, [Tamango] ne se servait
que du dialecte des Peules, qu'entendaient la plupart des esclaves, mais
que l'interprète ne comprenait pas" (p. 297, Garnier. L'éditeur
précise sobrement, en note, qu'il s'agit d'une "peuplade de la Sénégambie".
- Mama-Jumbo, figure décrite
comme le "Croquemitaine des nègres" (p.62). Selon Alexander Haggerty
Krape ( in Prosper Mérimée, Romans et nouvelles,éd.
M. Parturier, Paris : Garnier, 1967) la source du passage est un épisode,
daté de 1795, du Voyage dans l'intérieur de l'Afriquede
Mungo Park (traduit par J. Castera, Paris, Dentu, an VIII, t. I, pp. 59-60).
Le Mumbo Jumbo, sert, dans la société mandingue,
à tenir les femmes dans la sujétion. Il s'agit d'une sorte
d'épouvantail, à masque d'écorce qui confond, au cours
de cérémonies, les épouses suspectées d'infidélité,
et les châtie en public. M. Park soupçonne le mari lui-même,
ou quelqu'un d'instruit par lui, de tenir le rôle de cet "étrange
magistrat". Il est cependant probable que le personnage, dans cette acception
juridique, n'est qu'une forme dégradée de l'Esprit ancestral
(Fangool) analogue aux génies de type Maam Njare
(cf.
H. Gravrand, 1983 : 85), Mami Wata (Côte d'Ivoire...)
ou Mamandelo (Guyane)23. Jumbo
est
vraisemblablement un terme mandingue, crédité actuellement
par les dictionnaires24d'une
origine américaine (surnom de l'éléphant25) et
fonctionne à la fois comme lexème (chariot à portique)
et morphème augmentatif (cf. le composé jumbo jet26).
Ce type de génie, familier à l'ensemble
mandé-sérère-lébou, souvent lié à
l'eau, prend différents aspects selon la lignée concernée.
Ses appellations varient de même : Kumba Kastel à
Dakar, Maamguej et Sangomar à Fadiouth,
Maam
Kumba Lambay à Rufisque,
Maam Njare27à
Yoff... À noter enfin l'existence d'un groupe musical, le Super
Mama Jumbo, en Casamance.
1Les auteurs tiennent
liminairement à remercier les informatrices et informateurs sans
qui ce travail, largement collectif, n'aurait pas été possible,
en particulier Khadidjatou Anne, Bassirou Dieng, Momar Cissé, Moussa
Daff, André Dédet, Jean-Léopold Diouf, Marie-Hélène
Diouf, Alioune Ngoné Seck et Fatou Sow.
Leur gratitude toute particulière va à M. Abdoul Aziz
Diaw, chercheur au CLAD, actuellement en retraite, pour l'aide inestimable
qu'il a bien voulu leur apporter.
2Nous utilisons l'édition
des Presses de la Cité, collection Omnibus (1989).
3Dont on ignore trop
souvent qu'elle constitue le prototype de la Madame Buterfly de Verdi.
4Nous proposerons en
appendice l'analyse d'une nouvelle de Prosper Mérimée, Tamango,
dont le cadre africain sert essentiellement à mettre en valeur un
message de nature philosophique et allégorique.
5On sait que l'origine
de la grave crise sentimentale qui le fera céder aux charmes de
Fatou-Gaye, est la trahison d'une « mulâtresse de Bourbon »
(La Réunion) particulièrement perverse. "C'était une
mulâtresse, disait-on, mais si blanche, si blanche, qu'on eût
dit une Parisienne [...] C'était la femme d'un riche traitant du
fleuve. Mais, à Saint-Louis, on la désignait par son prénom,
comme une fille de couleur, on l'appelait dédaigneusement Cora"
(p. 268).
6On trouve guiolof,
dans un manuscrit du XVIIIe siècle (C. Becker, V. Martin, C. Mbodj,
1979 : VII), jolof chez Pruneau de Pommegorge (id.), iolof chez Golberry
(id.), oualofe chez Adanson, ouolof chez le Baron Roger (1829) et Faidherbe
(1864) ; volof et olof chez Mgr Kobès (1855-1923) et Guy-Grand (1923),
qui précisent que le v graphique correspond à la prononciation
du [v] français ; le w n'a d'ailleurs aucune existence, chez l'un
et l'autre auteurs; yolof chez Loti et Mérimée ; walaf chez
Cheikh Anta Diop (1977) - mais non chez son disciple, Théophile
Obenga (par exemple 1993), qui écrit wolof. Les auteurs du XIXe
siècle accordent en général l'adjectif ou le nominal
en genre et en nombre ; l'accord en genre se traduit même par une
gémination (purement graphique, faut-il le préciser ?) chez
l'Abbé Boilat (1858) : langue woloffe. L'accord en nombre est parfois
omis. Voir infra, note 21. En dépit du consensus actuel en faveur
de l'invariabilité, nous maintenons l'accord pour des raisons de
logique propre au texte français.
Mgr Kobès indique que : "Les étrangers ont adopté
le mot yolof pour désigner ce peuple et le langage, et ces mots
ont passé en usage, mais il est étymologiquement incorrect"
(entrée : Olof).
Voir sur ces points le travail d'A. Dialo (1981).
7On sait que la
non-commutativité du [x] et du [Â] en français sert,
chez Saussure, à illustrer la valeur purement différentielle
des phonèmes : "Je puis même prononcer l'r français
comme ch allemand dans Bach, doch, etc., tandis qu'en allemand je ne pourrais
pas employer r comme ch, puisque cette langue reconnaît les deux
éléments et doit les distinguer" (F. De Saussure, Cours de
linguistique générale, éd. T. De Mauro, 1976, p. 165).
Ce qui est dit de l'allemand est, comme on le sait, valable pour le wolof.
8Bien plus, l'alphabet
wolof d'Adanson ne connaît que trois prénasales : mp, ng,
nk, avec, comme on le voit, une seule sonore (p. 1). Chez Kobès
et Guy-Grand, on trouve par exemple l'alternance fôt/mpôt,
aujourd'hui obsolète. D'où l'inconséquence à
relever dans le Dictionnaire d'A. FAL et alii,qui écrivent : «
Les sons mp- mb- nt- nc- nj- nk- ng- nq doivent être réalisés
sans "é" d'appui en début de mot » (p. 14), tout en
fournissant des exemples ne comportant, et pour cause, que des sonores
à l'initiale.
La même évolution a eu lieu en sérère, où
la prénasale sourde résiduelle nq n'est plus, semble-t-il,
prononcée que [ng ]. De plus, dans cette langue, l'alternance
entre implosive sonore et sourde, dans l'expression notamment du pluriel
verbal, est, semble-t-il, en voie de disparition.
Le poular, de même, ne connaît que des prénésales
sonores.
9Qui a paru suffisamment
représentatif pour que les auteurs du Lexique français du
Sénégal en donnent une illustration. Bamboula est absent
du Dictionnaire universel (Vanves : Hachette-EDICEF, 1995).
10Loti semble
avoir été fasciné par cette "caste d'hommes spéciaux,
appelés griots" (p. 301), puisqu'il réserve un chapitre spécial
à une "Digression pédantesque sur la musique et une catégorie
de gens appelés griots" (pp. 301-302).
11Il existe,
précisément, une analyse d'une « langue spéciale
» propre aux griots-guitaristes peuls (Gaden, "Le poular", in H.
Labouret, "La langue des Peuls ou Foulbé", Bulletin de l'IFAN n°
16, Dakar, 1952.
12C'est aussi la graphie
de Kobès (1855), ce qui pourrait signifier que [[ ] et [n ] peuvent
synchroniquement fonctionner comme variantes dans les contextes tels
que celui étudié.
13Le pendant masculin
de Ndiaye semble bien être Mbaye, comme dans certaine formule, des
« apprentis » de car-rapide, destinée à inciter
les passagers à monter... .
14Un fait étonnant
est que la plupart des informateurs (trices), sans identifier les termes,
considèrent intuitivement qu'il s'agit de l' invite adressée
à une danseuse à exposer ses appas. L'image conductrice est
certes celle du couple formée par le joueur de tama et telle partenaire
occasionnelle au cours d'un duo spontané au symbolisme évident,
où le tama, porté verticalement, ne joue pas le rôle
le plus négligeable, et où il n'est pas rare, dit-on, que
la danseuse exhibe précisément ses charmes. Voir par exemple
un dessin de Samba Fall (dessinateur au Soleil) intitulé de manière
éloquente « Exhibitionnisme ». L'instrument est représenté
(en compagnie du sabar) dans J. Blondé et alii, p. 122). À
signaler également l'existence d'une autre danse, le ñapâtu,
considérée comme « indécente » par Guy-grand,
mais non par Kobès. M. Daff (communication personnelle) rapproche
la danse en question du ndawràbbin, « danse traditionnelle
des femmes lébou » pour A. Fall et alii (1990), « danse
lébou » pour J.L. Diouf (1994). On notera la présence,
dans ce terme, de la racine polysémique ndaw, signifiant,
entre autres, « jeunesse, virginité, nubilité »
(en revanche le verbe ràbb est d'une interprétation autrement
délicate). Ces rites, à la fois de passage et de fécondité
semblent s'être éteints, au moins dans le nord du Sénégal,
dans le courant des années soixante, sans doute sous la pression
d'un islam de plus en plus hégémonique. Une forme dégradée
et persistante en est le tànn-beér (« sabar de nuit
»), ou des phénomènes de mode, tel le feccu-xaj («
danse du chien »), dont d'ailleurs s'émeuvent certains organes
et intellectuels...
15Cf. l'alternance [?
/h ]/ [k], par exemple añaan/kañaan signalée par A.
Dialo, 1984 : 92.
16On peut, de l'anagramme,
passer à la "différentielle signifiante" chère à
Julia Kristeva (1972). Unité minimale de "signifiance", cette différentielle,
refonte du signifiant et du signifié, contient tous les homonymes,
synonymes, acceptions logiques, relations sociales, possibilités
de traduction, de translittération, de jeux de mots...propres à
un terme. Dans cette optique, A. Dédet, professeur à l'Université
de Nouakchott, nous signale que son ordinateur suggère, pour Anamalis
fobil, "entamais fouille", ce qui, on en conviendra, n'est pas non plus
mal trouvé ! Notre traitement de texte fait état d'une inspiration
analogue, tout en ajoutant "phobie".
17Mais c'est
le cas de la plupart des wolofistes du XIXe siècle, essentiellement
manieurs de sabre et de goupillon tant qu'on voudra, mais descripteurs
consciencieux (le même intérêt ne fut pas, semble-t-il,
partagé par leurs homologues musulmans, enclins à perpétuer
une tradition graphique arabe élidant inévitablement non
seulement la notation de la quantité, mais celle des voyelles mêmes).
Une exception : Jean Dard, instituteur à Saint-Louis de 1815
à 1820, l'un des seuls à pouvoir exciper d'un titre académique
laïque.
18On sait
que, sous le terme de bendrologie (de bendre, équivalent mooré
du sabar), certains chercheurs du Burkina Faso proposent une description
autonome du « langage » du tam-tam. Voir, par exemple,
A. Ouedraogo, 1988. Le terme existe concurremment avec drummologie
(angl. drumms). De l'avis de nombreux musiciens, tel Doudou Ndiaye Rose,
le langage des tam-tams est un langage à part entière.
19Le pessimisme,
somme toute romantique, de Loti contraste avec le rousseauisme d'Adanson,
qui l'amène à considérer la langue wolofe comme «
[égalant] à peu de choses près la perfection [du langage]
des peuples les plus policés et les plus savans de l'Europe »
(1749-1753 : III).
20Ainsi le
passage de prénasales essentiellement sourdes au XVIIIe siècle,
aux prénasales exclusivement sonores d'aujourd'hui. Au plan sociolinguistique,
la précision de Mérimée quant à la langue utilisée
par Tamango pourrait suggérer, à la condition d'autres indices
convergents, que le poular jouait, dans le Sénégal du premier
tiers du XIXe siècle, un rôle véhiculaire perdu depuis.
21Interdite en principe
par le Congrès de Vienne (1815), la traite fut à nouveau
condamnée par les ordonnances royales d'août 1823 et
de décembre 1826, et cessa définitivement en 1830. Pour l'esclavage
proprement dit, il prit fin, dans les possession françaises, avec
le décret préparé par V. Schœlcher (1848). Supprimé
par la Révolution, Bonaparte, l'avait rétabli, sans doute
sous l'influence de sa très créole épouse, pour l'abolir
à nouveau en 1815, dans un Acte additionnel aux Constitutions de
l'Empire qui devait demeurer – au moins sur ce point – lettre morte.
22Définie
sobrement comme la « langue parlée par les Yolof [sic ] qui
habitent la Sénégambie » (p. 56). Détail orthographique
amusant : L. Vincent, l'éditeur de Mérimée (Classiques
Hatier), accorde yolof en genre, mais non en nombre... La même attitude
se trouve chez le Père De Foucauld accordant touareg en genre (touarègue)
mais non en nombre. Il est vrai qu'il s'agit déjà d'un pluriel,
ce que n'ignore pas le religieux, même s'il traite le mot comme un
singulier.
23Voir l'Inventaire
des particularités du français en Afrique noire, entrée
: MAMI WATA.
24Ainsi le
Petit Larousse. Le terme ne figure pas dans le Dictionnaire universel,
AUPELF-EDICEF-Hachette, 1995.
25Pour le Dictionnaire
Bordas-Focus (Paris : Bordas, 1963), à partir du nom donné
par Walt Disney à l'éléphant; pour le Robert (Dictionnaire
alphabétique et analogique de la langue française de Paul
Robert, Paris : Le Robert, 1989), à partir du nom de l'éléphant
du zoo de Londres acheté par Barnum en 1882. Comme on le voit, les
deux explications se complètent.
26Pour être
exhaustif, il faut mentionner 'une marque de bouillon de ce nom, particulièrement
appréciée ...en Afrique de l'Ouest.
27Cf. Mâm (Maam)
: "ancêtres de temps immémorial" pour Mgr Kobès.
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