LA SYNTAXE DU FRANçAIS
PARLÉ
AU NORD CAMEROUN
Edmond Biloa
Université de Yaoundé I
Introduction
Le français au Cameroun a été étudié
sous plusieurs facettes et par plusieurs auteurs mais beaucoup, sinon la
plupart de ces études portent sur la didactique du français,
sa sociolinguistique, sa phonétique et sa morphologie. Ainsi, il
n’y a, à notre connaissance, aucune étude qui ait été
faite sur la morphosyntaxe du français parlé et écrit
sur le territoire camerounais. Des mémoires et des thèses
sont en cours de rédaction et ont été inspirés
par nous. Ils portent essentiellement sur les particularités morphosyntaxiques
du français parlé et écrit au Cameroun. C’est dire
que les recherches sur la (morpho) syntaxe du français du Cameroun
en sont à un stade embryonnaire et se limitent à quelques
études sur les interférences morphosyntaxiques des langues
camerounaises dans le français (cf. entre autres Biloa, 1999).
La méthode d’analyse adoptée dans cet article est descriptive
et constrastive. On s’attellera à décrire la syntaxe du français
parlé au Nord du Cameroun, en comparant de manière implicite,
ce français à la variété dite standard. Le
corpus que nous dépouillons et analysons ici provient de nos notes
de voyages dans la partie septentrionale du Cameroun, à l’occasion
des allées et venues à l’Université de Ngaoundéré
où nous dispensons des enseignements de linguistique française.
Les données ont été recueillies aussi bien auprès
des étudiants que des locuteurs du français issus de la classe
sociale moyenne et de l’élite.
En ce qui concerne l’usage de la langue française au Cameroun, nous
pensons qu’on peut distinguer quatre groupes de locuteurs :
- un groupe de locuteurs, constitué par l’élite, parle la
variété supérieure ou acrolectale du français.
- un groupe constitué de lettrés de l’enseignement secondaire,
des agents de maîtrise utilise une variété moyenne
ou mésolectale du français.
- un groupe formé des gens peu lettrés, ayant peut-être
appris le français de manière informelle, se sert d’une variété
basilectale.
- un groupe, enfin, majoritaire, est constitué des gens qui ne parlent
pas du tout la langue française.
- Ainsi peut-on dire grosso modo que coexistent au Cameroun, trois
variétés de français : acrolectale, mésolectale
et basilectale. En raison des avancées de l’éducation formelle,
la ligne de démarcation les deux premières semble se rétrécir.
Dans cette étude, nous étudierons quelques traits morphosyntaxiques
de ces deux variétés en usage au Nord Cameroun (en excluant
le français basilectal).
Notre article est structuré comme suit : la première section
rappelle l’environnement linguistique du français nord camerounais,
la deuxième examine le fonctionnement du syntagme nominal, la troisième
aborde le problème du comportement du syntagme verbal, tandis que
le mélange codique et l’alternance codique sont tour à tour
l’objet d’étude de la quatrième section.
1. L’environnement linguistique du
français au Nord Cameroun
Le Cameroun compte dix provinces dont trois (province de l’Adamaoua, province
du Nord et province de l’Extrême Nord) composent ce qui est traditionnellement
appelé le Nord Cameroun.
Selon l’inventaire préliminaire de l’Atlas Linguistique du Cameroun
de 1983, le pays possédait 237 unités—langues. En 1993, les
dernières enquêtes effectuées dans certaines zones
d’incertitude révèlent que le Cameroun comptait en fait 248
unités—langues. Des quatre phylums ou grandes familles linguistiques
qui regroupent les langues originaires d’Afrique, trois (afro-asiatique,
nilo-saharien, et niger-kordofan) sont représentés au Cameroun,
mais seuls les phylums afro-asiatique et nilo-saharien sont attestés
au Nord Cameroun.1
1.1. Les langues nationales et transnationales
véhiculaires
Les
langues nationales et transnationales sont des langues qui se développent
hors de leur aire linguistique propre et servent de langue de communication
à des locuteurs dont elles ne sont pas les langues maternelles.
Pour le Nord Cameroun, il existe deux types de langues véhiculaires
:
- les langues qui sont originaires du Cameroun et qui sont parlées
sur le territoire camerounais comme langues maternelles par des populations
Camerounaises.
- les langues qui sont parlées comme langues maternelles dans un
pays voisin et qui fonctionnent au Cameroun comme langues véhiculaires.
On leur donne le nom de langues véhiculaires transnationales.
1.1.1.
Langue véhiculaire de grande diffusion au Nord Cameroun
Au Nord Cameroun, c’est le fulfuldé qui fonctionne comme langue
véhiculaire de grande diffusion.
1.1.2.
Langues véhiculaires de diffusion restreinte au Nord Cameroun
Ce sont le wandala, le kanuri, l’arabe choa et le hausa. Le wandara rivalise
avec le fulfuldé dans les Monts Mandara. Le kanuri, principalement
parlé au Nigeria, compte des locuteurs dans la région de
Mora, ville située dans la province de l’Extrême Nord. L’arabe
Choa est véhiculaire dans les zones urbaines au nord du département
du Logone et Chari dans la province de l’Extrême-Nord. Le hausa,
langue véhiculaire au Nigeria, est aussi parlé au Cameroun
dans quelques villages aux abords de la frontière.
1.2. Les Langues officielles
Au
Cameroun, l'anglais et le français, langues officielles, sont les
langues de l’État, c'est-à-dire celles du Journal officiel
et des formulaires administratifs, des affaires, de l'enseignement public
et privé, de la presse écrite, de la radio et la télévision
nationale.
En règle générale, l'anglais est surtout employé
dans les provinces anglophones du sud-ouest et du nord-ouest, alors que
le français est principalement en usage dans le reste du pays, en
majorité francophone. Par conséquent, au Nord-Cameroun, le
français est la langue officielle la plus utilisée. Dans
le reste du pays, malgré l'égalité officielle du français
et de l'anglais, l’espace public est davantage occupé par la langue
française que par la langue anglaise. Ainsi dans les médias
90 % de la presse écrite est francophone. Il faut noter l'absence
de presse officielle écrite en langue(s) camerounaise(s). Les programmes
de la Cameroon Radio and Télévision (CRTV) sont réalisés
à 65 % en français et 35 % en anglais.
Aujourd'hui, si les langues camerounaises ne sont pas utilisées
par l'administration, elles sont néanmoins utilisées par
la radio. Dix des treize stations de radio diffusent des programmes dans
59 langues camerounaises. Radio-Douala, par exemple, diffuse des programmes
en duala, en yabassi, en bakoko, en basaa, tandis que Radio-Centre, basée
à Yaoundé, diffuse des programmes en bafia, en basaa et en
ewondo. Les trois radios du Nord Cameroun diffusent des émissions
en fulfuldé et dans d'autres langues nilo-sahariennes et afro-asiatiques.
Pour le Nord Cameroun, qui nous intéresse ici, la cohabitationdu
français avec le fulfuldé et les langues afro-asiatiques
et nilo-sahariennes engendre des contacts et des influences réciproques
: il se produit inévitablement un transfert bidirectionnel d'adstrats
des langues dominées et vice versa.
1.2.1. Superstrats
En
substance, un superstrat sera défini comme une langue qui empiète
sur le domaine d'influence d'une autre langue, mais qui, sans se substituer
à celle-ci, peut disparaître en laissant des traces. Au vu
de cette définition, il apparaît que le français et
l'anglais sont des superstrats au Cameroun
1.2.2. Substrats
Si
l'anglais et le français sont les superstrats, les langues camerounaises
constituent les substrats. Leur influence sur le français au Cameroun
est telle qu'il existe plusieurs variétés de français
parlé et écrit au Cameroun (cf. Renaud, 1969, Biloa,
1998, 1999). Le lexique et la phonologie sont particulièrement affectés.
Le locuteur camerounais du français puise souvent dans sa langue
natale des mots inconnus du locuteur natif. Au niveau phonétique
et phonologique, on dénombre plusieurs accents régionaux
du français au Cameroun : français bamiléké,
français béti et français nordiste (cf. Mendo
Zé, 1990, Zang 1991, 1998).
Au niveau morphologique et syntaxique, un certain nombre d’études
ont examiné des cas d'interférences des langues camerounaises
dans le français (cf. Essono, 1979, Ngo Nognib, 1990, Noguem,
1993, Mairamou Bello, 1997, Biloa, 1998, 1999).
1.3. Les langues composites
La cohabitation d'une multitude de langues a donné naissance a ce
qu'on appelle des langues composites. Au Cameroun la plus représentative
est le pidgin-english qui est né au dix-huitième siècle
quand l'anglais britannique est entré en contact avec les langues
bantoues de la côte ouest africaine. Les Allemands et les Français
lui ont voué une haine sans merci et essayé de l’éradiquer,
sans y parvenir. Actuellement, le pidgin-english s'étend un peu
partout au Cameroun et devient une langue véhiculaire. Dans les
provinces anglophones du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, le pidgin-english
fonctionne non seulement comme véhiculaire mais il est parfois aussi
une langue maternelle (première) pour certains Camerounais.
Par ailleurs, de la cohabitation du français, de l'anglais et des
langues camerounaises est né le camfranglais, l’autre langue composite
du Cameroun, en usage surtout dans les milieux scolaires et universitaires.
(cf. Mendo Zé, 1990, Ntsobé et alii, en préparation).
Voilà brossé, en quelques lignes, l'environnement linguistique
du français du Nord Cameroun. Ce tableau laisse penser que le français
du Nord Cameroun ne peut être soustrait à l'influence des
langues du substrat, ce qui pourrait rendre compte du fonctionnement de
certaines de ses formes et structures.
2. Le syntagme nominal
2.1. La détermination nominale
Dans
un dictionnaire, le substantif est présenté seul, sans déterminant,
en règle générale. Selon Chevalier et alii (1967 :
209), le substantif s'applique alors à l'ensemble de la substance
qu'il évoque, sans limitation aucune.
Cependant, dans le discours, le substantif est rarement utilisé
sans détermination. Les mêmes grammairiens énumèrent
les cas où le substantif peut être dépourvu d'un déterminant
:
- substantif en apostrophe ;
- substantif en apposition, avec ou sans pause vocale ;
-substantif attribut ;
- substantif utilisé dans une proposition purement nominale : Victoire,Monseigneur.
Victoire totale et réglementaire !
- substantif utilisé dans certaines locutions figées comme
avoir
peur, prendre forme, se mettre en mouvement, prendre fait et cause, perdre
patience, avoir faim, faire connaissance avec une personne, etc.
- substantif utilisé dans des maximes de portée générale
et dans certains titres d'ouvrages : Pauvreté n'est pas vice,
Grammaire française, servitude et grandeur militaires.
Dans le discours, la détermination sert à évoquer
une partie de la substance dont on parle : la défaite, une
défaite,
plusieurs défaites, la victoire, une victoire,
plusieurs victoires, etc. En quelque sorte, la détermination
sert à sectionner ou à définir ou à déterminer
ce dont on parle. il s'agit donc d'une "coupure" (expression de Gustave
Guillaume reprise par Chevalier et alii, 1964) dans la signification
totale du substantif. Cette coupure permet de donner provisoirement à
celui-ci une individualité propre : la détermination est
précisément une individualisation du substantif. En d'autres
termes, en langue française, un substantif est individualisé
(ou déterminé) quand il est précédé
par un déterminant (ou un déterminatif).
2.1.1. Détermination Zéro
La
détermination nominale en français du Nord Cameroun se caractérise
souvent par l'absence de déterminant :
(1)
Si tu veux aller en ville, tu peux prendre Ø moto-taxi.
(2) Le professeur veut voir Ø maison de Moussa Yaya.
(3) Mairamou prend Ø avion demain matin pour aller à Maroua.
(4) Depuis que mon frère est gendarme, il a pris Ø femme
chez lui.
On
remarquera qu'ici le déterminant n'est absent que lorsque le nom
qu'il détermine apparaît en position d'objet direct. Cet état
de chose est similaire à ce qui prévaut dans beaucoup de
langues camerounaises. En tuki, langue camerounaise décrite et analysée
par Biloa (1992,1995), les déterminants sont presque toujours absents
:
(5)
Viroo a - ma - nya cwi
Viroo Acc - passé2 manger poisson
Dans
la phrase (5), le syntagme nominal (SN) complément d'objet direct
cwi
"poisson" n'est pas déterminé. Cette phrase signifie potentiellement
:
(6a)
"Viroo a mangé un poisson"
(6b) "Viroo a mangé le poisson"
(6c) "Viroo a mangé des poissons"
(6d) "Viroo a mangé les poissons"
L'exemple
tuki montre que les déterminants peuvent être omis dans certains
énoncés. Au vu de cet exemple, on est en droit de se demander
si le français du Nord Cameroun subit l'influence des langues locales.
Etant donné que la phonologie et la morphologie du français
camerounais sont largement tributaires des langues camerounaises, il n'est
pas impossible de postuler que la syntaxe du français du Nord Cameroun
copie les traits syntaxiques des langues camerounaises.
En tuki, il arrive que les noms soient accompagnés d'un déterminant
(article, adjectif possessif ....etc.) :
(7)
Viroo a - ma - namba cwi mosi
Viroo Acc P2 cuit poisson un
"Viroo a cuit un poisson"
(8) Viroo a - ma namba Cwi rame
Viroo Acc - P2 cuit poisson mes
"Viroo a cuit mes poissons"
À
l'inverse du français, le tuki ne possède ni article défini
(le, la, les), ni article partitif (de, du, des). Pour exprimer
les valeurs et les emplois des articles définis et des articles
partitifs, le tuki a recours à la détermination zéro.
S'agissant précisément des emplois et des valeurs des déterminants,
on peut se poser la question de savoir quelles valeurs marquent en français
du Nord Cameroun les noms dépourvus de déterminants. selon
nous, il marquent les valeurs suivantes :
i. Le défini : la phrase (2) illustre la valeur définie
de la détermination zéro qui précède le syntagme
nominal maison de Moussa Yaya. Ainsi en français standard,
on aurait la maison de Moussa Yaya. Quoi qu'une maison
de Moussa Yaya soit possible, un tel usage est improbable dans la phrase
(2)
ii. L'indéfini ou le générique : dans
la phrase (1), le syntagme nominal moto-taxi a un référent
indéterminé. Si on restitue l'article indéfini un,
on obtient la phrase suivante :
(9)
Si tu veux aller en ville, tu dois prendre un moto-taxi.
Mais
dans la phrase (1), ce nom moto-taxi peut signifier
moto-taxi
en
général ; ainsi, il renvoie à tout moyen de locomotion
du même nom. En restituant le déterminant, on obtient la phrase
suivante :
(10)
Si tu veux aller en ville, tu dois prendre le moto-taxi.
Dans
la phrase (10), le confère au nom moto-taxi une valeur
de généralité. Dans les structures coordonnées,
en français du Nord Cameroun, le déterminant peut être
absent dans le deuxième Syntagme nominal conjoint :
(11)
Bello aime les peuls et Ø Hausa
(12) Le lamido a donné de l'argent à ses gardiens et Ø
ndoungourou
(13) Les Aladji n’aiment pas mélanger les vaches et Ø chèvres
Dans
ces phrases, le déterminant devrait précéder le deuxième
SN conjoint de la structure coordonnée. Ceci laisse supposer que
le déterminant du premier conjoint reste aussi valable pour le second
syntagme nominal conjoint. Apparemment, la présence de la conjonction
de coordination et favorise ce type de comportement de la part du
déterminant. Il faut cependant préciser que, pour que le
second déterminant soit omis, il doit être identique au premier.
C’est la raison pour laquelle si on restitue les déterminants dans
les phrases (11-13) de la manière suivante, le sens des phrases
sera radicalement différent du sens originel :
(14)
? Bello aime les Peuls et tes Hausa
(15) ? Le lamido a donné de l'argent à ses gardiens et à
mes ndoungourou.
(16) ? Les Aladji n’aiment pas mélanger les vaches et leurs chèvres.
Les
points d’interrogation (?) indiquent que le sens des phrases (14-16) n’est
pas tout à fait le même que celui des phrases (11-13). Les
comportements des déterminants dans ces phrases s’expliquent par
ce qui est appelé en grammaire générative la condition
du recouvrement (Biloa, 1998) qui stipule qu’un élément ne
peut être omis que s’il est sémantiquement recouvrable, c’est-à-dire
si son sens peut être récupéré à partir
d’autres éléments présents dans la phrase. C’est ce
qui explique le statut de la phrase suivante :
(17)
Lucien se demande quelles femmes Eddie adore et Arsenio déteste,
les blondes ou les brunes.
En (17), il n’est point nécessaire de répéter le SN
(syntagme nominal) interrogatif quelles femmes dans le deuxième
conjoint de la structure coordonnée puisque chaque locuteur de la
langue française comprend que ce SN est aussi bien l’objet direct
du verbe adore que du verbe déteste.
On peut étendre ce raisonnement au fonctionnement de la détermination
zéro dans les énoncés (11—13). Dans chacun de ceux-ci,
le déterminant du premier conjoint de la structure coordonnée
est interprété comme étant également celui
du second conjoint. Ainsi, les énoncés (11-13) sont normalement
interprétés comme ceux dans lesquels les déterminants
ont été restitués :
(18)
Bello aime les Peuls et les Hausa
(19) Le lamido a donné de l’argent à ses gardiens et à
ses ndoungourou.
(20) Les Aladji n’aiment pas mélanger les vaches et les chèvres.
2.1.2. Substitution de l’article défini à l’adjectif possessif
Il
arrive qu’en français du Nord Cameroun, l’article défini
se substitue à l’adjectif possessif, ainsi que l’illustrent les
exemples suivants :
(21)
Moi, je ne paierai pas les frais de l’Association des parents d’Elèves
tant que le président ne donnera
pas l’aval.
(22) Le doyen a marqué l’accord pour que les cours continuent
jusqu’au 12 avril.
En
français standard, on dirait plutôt :
(23)
Moi, je ne paierai pas les frais de l’Association des parents d’Elèves
tant que le président ne donnera
pas
son aval.
(24) Le doyen a marqué son accord pour que les cours continuent
jusqu’au 12 avril.
2.1.3. Emploi de l’article défini au lieu du partitif
On
observe également qu’assez fréquemment l’article défini
se substitue au partitif dans les énoncés produits par les
locuteurs :
25)
Professeur, allons boire le jus de foléré
(26) Ma femme va te donner l’huile de karité pour madame
(27) Ici on vend pas la bière
(28) Est-ce que vous pouvez manger le soya avec le pain ?
À
la place de l’article défini, le français standard emploierait
le partitif ainsi qu’il suit :
(29)
Professeur, allons boire du jus de foléré.
(30) Ma femme va te donner de l’huile de karité pour madame.
(31) Ici on ne vend pas de bière.
(32) Est-ce que vous pouvez manger du soya avec du pain ?
2.1.4. Substitution de Llarticle défini à l’article indéfini
(33)
J’aimerais d’abord avant d’en venir aux causes du divorce parler un peu
du mariage, surtout
les fondements du mariage.
En français standard, on dirait plutôt qu’il y a des choses…
Et on parlerait des fondements du mariage.
2.1.5. Emploi de l’article indéfini au lieu de l’article défini
(35) Tu ne connais pas ton ami, il ne lèvera jamais un
petit doigt pour t’aider.
(36) Bello a parfois une dent très dure contre ses ennemis
du parti
(37) J’ai vu un car de l’Université de Ngaoundéré
qui transportait les étudiants ; il était trop plein.
Dans
ces exemples, les articles indéfinis sont substitués aux
articles définis. Ainsi au lieu d’avoir les expressions lepetit
doigt (35), la dent (36), le car (37),
on se retrouve plutôt avec les cas non standardisés : un
petit doigt, une dent, un car.
Nous avons également observé dans les suites syntagmatiques
du genre dét + (adj) nom que des est fréquemment utilisé
à la place de de :
(38)
Même dans les temps anciens, la religion fut fustigée par
des
grands théoriciens.
(39) Je n’ai pas des parents à Maroua
(40) Ma sœur ne m’a pas acheté des beaux vêtements
au Bénin.
En
(38) des aurait dû être remplacé par
de.
Il en est de même pour les phrases (39) et (40). Ces deux dernières
présentent une difficulté particulière, toutefois,
pour des locuteurs non-natifs de la langue française, car en français
standard l’article indéfini des ou le partitif du se
transforme en de lorsqu’il est précédé d’une
négation. En guise d’illustration, considérons les exemples
suivants :
(41)
Souaibou a des enfants intelligents
(42) Haoua aime manger du chocolat
Si ces énoncés qui apparaissent à la forme affirmative
subissent la transformation négative, les formes des et du
sont également altérées en de :
(43)
Souaibou n’a pas d’enfants intelligents.
(44) Haoua n’aime pas manger de chocolat.
Ces
dernières données du français standard montrent assez
clairement que le système des déterminatifs est complexe
et difficile à maîtriser. Cette complexité pourrait
expliquer que les locuteurs du français du Nord Cameroun éprouvent
beaucoup de mal à s’approcher de la norme dans leur usage des déterminants.
Ce point de vue semble corroboré par les propos de G. Prignitz (1994
: 71) : "les règles de distribution en noms comptables et non comptables
sont assez floues dans la langue normée pour permettre certaines
licences".
2.2. Le nombre
La
confusion observée dans l’usage des déterminants en français
du Nord Cameroun se retrouve dans l’emploi du nombre qui n’est pas un caractère
du nom considéré en soi, mais qui correspond aux besoins
de la communication. Il existe deux nombres en français : le singulier
et le pluriel. Le plus souvent, ces nombres s’emploient à propos
d’êtres ou de choses qui peuvent être comptés.
Le singulier est utilisé pour désigner un seul être
ou une seule chose, ou, pour les noms collectifs, un seul ensemble. Les
exemples (en français standard) qui suivent proviennent du Bon
Usage de Grévisse (1988, douzième édition, p.
819) : un soldat. un cheval, une pomme, un essaim. Ce régiment.
Le pluriel est utilisé pour désigner plus d’un être
ou plus d’une chose, ou pour les noms collectifs, plus d’un ensemble :
Dix
soldats. Trois chevaux. Toutes les pommes. Deux essaims. Ces régiments.
Il y a des noms sans singulier. Grévisse (1988 : 821-822) donne
la liste de certains noms qui ne s’emploient qu’au pluriel : "Les uns expriment
manifestement une pluralité d’êtres ou d’objets (taux,
pierreries, ….), tandis que d’autres concernent des ensembles vagues
dans lesquels on serait bien en peine d’identifier des unités (armoiries,
entrailles, environs, funérailles…..). Pour bien d’autres encore,
le pluriel n’a que des justifications historiques (aguets, fonds)….".
La liste de Grévisse, qui compte à peu près 80 items,
contient aussi des mots techniques ou vieillis, inusités aujourd’hui.
En français du Nord Cameroun, un mot comme funérailles,
qui est toujours au pluriel en français standard, est utilisé
comme une unité comptable :
(45)
Il y a eu trois funérailles cette semaine à Baladji
dans la communauté béti.
Le
mot assises s’emploie toujours au pluriel et désigne une
session de la juridiction appelée cour d’assises qui juge
les crimes et certains délits. Ce mot peut aussi désigner
la réunion d’un parti politique ou d’un syndicat. En français
du Nord Cameroun, ce mot est parfois employé au singulier :
(46)
Le chef de famille doit convoquer une assise pour cette affaire.
Funérailles et assises illustrent ce qui est communément
appelé le singulier sémantique qui désigne des mots,
employés au pluriel mais qui représentent, en réalité,
une entité.
Dans les lignes qui suivent, nous allons, en revanche, parler du pluriel
sémantique pour lequel un substantif représentant tout ensemble
est employé pour désigner une toute petite partie. Dans les
énoncés suivantes, les mots friperies
et
moustaches
sont au pluriel alors qu’ils auraient dû être au singulier
:
(47)
Mairama aime porter les friperies.
(48) Les Musulmans gardent toujours les moustaches très
longues.
2.3. Le genre
Grévisse
(1988 : 754) définit le genre comme étant une propriété
du nom, qui le communique par le phénomène de l’accord, au
déterminant, à l’épithète, à l’adjectif
attribut, ainsi qu’au pronom représentant le nom. On distingue deux
genres en français : le masculin, auquel appartiennent les noms
qui peuvent être précédés de le ou de
un, et le féminin, auquel appartiennent les noms qui peuvent
être précédés de la
ou de une
: la veste, la muraille, une femme.
Le genre pose d’énormes problèmes aux locuteurs du français
du Nord Cameroun. En effet, c’est une catégorie dont l’usage n’est
pas facile à maîtriser car, ne répondant pas toujours
à une "discrimination sexuisante", elle est plus ou moins conventionnelle
dans la langue française. Les locuteurs du français du Nord
Cameroun ont recours à des expédients pour déterminer
le genre des noms (cf. Nlend, 1988—1999 : 50).
L’analogie est l’un de ces expédients. Pour ces locuteurs, les sonorités
jouent rôle important dans le choix du genre grammatical. En français
du Nord Cameroun, le "e" muet en finale est considéré comme
une marque du féminin. Ainsi les mots dont la terminaison finale
est "e" sont assignés le genre féminin dans cette variété
du français camerounais :
(49)2 C’est
une grosse tubercule de manioc
De grosses termites ont apparu cette nuit.
Combien coûte une alvéole d’œuf ?
C’est comme ça que se déclenche une incendie.
Dans
ces exemples, à l’exception du mot alvéole qui est
soit masculin soit féminin, (c’est-à-dire qui a deux genres),
les autre mots (tubercule, termites et incendie) sont tous
masculins. Mais parce qu’ils se terminent par la voyelle "e" au singulier,
les locuteurs du français dit "nordiste" ont l’impression qu’ils
sont tous du genre féminin.
Il
y a des substantifs en français standard dont la forme ne varie
pas selon que le genre est masculin ou féminin. Face à ceux-ci,
le français du Nord Cameroun emploie le genre masculin pour le sexe
masculin et le genre féminin pour le sexe féminin :
(50)3 Moussa est
un
bête
Habiba a la silhouette d’une mannequin
Le mot bête en français standard est toujours
au féminin. Ici, étant donné qu’il est attribut d’un
nom propre masculin, le locuteur lui attribue le genre masculin. Inversement
mannequin,
normalement masculin, est affectée du genre féminin en raison
du sexe de la personne qu’ils caractérisent.
2.4. Les pronoms
Nous examinons le comportement des pronoms dans cette section parce qu’ils
sont considérés comme des syntagmes nominaux. en ce qu’ils
peuvent remplacer un nom et fonctionnent du point de vue syntaxique comme
des syntagmes nominaux.
La discordance pronominale est très fréquente en français
du Nord Cameroun. Les pronoms le
ou la se substituent à
lui
:
(51) Je la dis de venir me voir ce soir
(52) Je l’ai donné mon argent et il refuse de me rembourser.
Les verbes dire et donner
sont transitifs indirects, mais
les locuteurs les analysent comme transitifs directs.
Il arrive aussi que des verbes transitifs directs soient considérés
comme des transitifs indirects :
(53) Je lui vois venir
(54) Les étudiants qui on dribblé les cours, le doyen leur
a interrogé aujourd’hui.
L’usage adéquat des pronoms personnels en français standard
est étroitement lié à la connaissance de la combinatoire
des verbes qui les sélectionnent. La multitude des verbes français
constituent autant d’obstacles à la parfaite maîtrise du système
pronominal par les locuteurs du Nord Cameroun.
3. Le syntagme verbal
La valence verbale varie constamment selon qu’on passe du français
standard au français du Nord Cameroun. Dans cette variété
du français camerounais, des verbes transitifs tels que manger,
préparer, fréquenter, construire sont fréquemment
détransitivés, c’est-à-dire qu’ils passent du statut
de transitif à celui d’intransitif.
3.1. Du transitif à l’intransitif
Les verbes précédemment cités sont dans la variété
de référence des verbes transitifs, c’est-à-dire qu’ils
sélectionnent un complément d’objet direct. En français
du Nord Cameroun, tel n’est pas le cas :
(55) Je suis parti de la maison avant de manger parce que ma femme n’a
pas encore préparé
(56) Quand j’aurai de l’argent, je vais me construire à Dang.
(57) Parce que mes enfants fréquentent à Ngaoundéré,
je suis obligé d’habiter en ville.
En français du Nord Cameroun,
préparer, (se) construire,
fréquenter signifient respectivement "cuire le repas", "bâtir
une maison" et "aller à l’école".
3.2. Du transitif indirect au transitif direct
(58) Il faut que je téléphone mon père à Maroua
(59) Donne-la son document.
(60) Le professeur a commandé toute la classe de remettre le devoir
lundi.
(61) Les étudiants racontent toujours le patron des histoires.
Dans ce corpus, des verbes intransitifs indirects sont devenus des verbes
transitifs directs à cause de l’omission des prépositions
appropriées. En (58), (60), (61), les verbes téléphoner,
commander et raconter devraient être suivis de la préposition
à..En
(59), le choix du pronom personnel indique que le locuteur semble ignorer
que le verbe donner sélectionne un syntagme prépositionnel
(SP) introduit par la préposition à.
3.3. Le choix des prépositions à
l’intérieur du syntagme verbal
(62) Le professeur a demandé à enlever des ordures dans
la
classe
(63) Après l’école, les enfants aident les travaux à
la case
(64) Le lamido est toujours marié de beaucoup de femmes
(65) La fumée sort dans l’usine de Maïscam
(66) Le matin, il faut enlever la viande
dans
le congélateur
Ces attestations montrent de manière assez nette que le choix des
prépositions par les locuteurs du français du Nord Cameroun
n’est pas toujours judicieux. Il faut observer que ce choix n’est pas facilité
par la multitude de prépositions qui existent en français
standard. Quand on sait que les langues natives des locuteurs du français
du Cameroun ne sont pas pourvues d’un aussi grand nombre de prépositions,
on peut immédiatement conclure que le substrat exerce une influence
néfaste sur l’usage du français au Cameroun. Biloa (1999
: 149—167) montre que le choix des prépositions cause les interférences
des langues camerounaises (ewondo, ghomala, basaa) dans le français
; ces interférences sont dues au fait que ces langues camerounaises
possèdent très peu de prépositions. De même,
le tuki, langue bantoue du Cameroun, décrite et analysée
par Biloa (1995, 1997), ne dispose que de deux prépositions [na]
correspondant à à, de, avec, chez et [Kaa] équivalant
de sans. Ainsi, une seule préposition tuki peut en traduire
plusieurs en français. Dès lors, il n’est pas étonnant
que les locuteurs du français camerounais emploient les prépositions
françaises au hasard et les omettent parfois.
3.4. La proposition relative
3.4.1. L’emploi des relatifs
En français du Nord Cameroun, on observe des modifications afférentes
au comportement des pronoms relatifs que, dont, et où.
et on observe des constructions comme :
(67) Voici le moto-taxi que je t’ai parlé ce matin
En (67), à la place de que, on devrait plutôt avoir
dont.
Cette construction suggère que les locuteurs du français
du Nord Cameroun confondent les usages de que et dont. Pour
maîtriser l’emploi de ces deux pronoms relatifs, il est crucial de
connaître la combinatoire du verbe parler, ce qui n’est pas
évident chez les francophones nord camerounais.
D’autre part, il ne serait pas superflu d’avoir recours ici à l’hypothèse
de l’influence des langues du substrat pour expliquer le fonctionnement
des constructions telles que (67). Ces constructions cessent de surprendre
quand on sait que les relatifs
dont et où sont traduits
par beaucoup de langues camerounaises par l’équivalent littéral
de que. Ainsi, les locuteurs francophones du Nord Cameroun transposeraient
les structures de leurs langues natives sur leur variété
de français. Au vu de cet argument, les phrases suivantes du français
du Nord Cameroun s’expliquent aisément :
(68) La femme Moundang que tu as violé la fille s’est pendue
(69) Le livre dont tu m’as prêté est perdu
(70) La minicité que tu es resté là-bas a brûlé
pendant les vacances.
En remplaçant les pronoms relatifs inappropriés par les pronoms
relatifs adéquats dans ces constructions (68—70), on obtient :
(71) La femme Moundang dont tu a violé la fille s’est pendue
(72) Le livre que tu m’as prêté est perdu
(73) La minicité où
tu es resté là-bas
a brûlé pendant les vacances.
L’emploi de dont en (71) est surprenant et ne peut s’expliquer par
un souci d’hypercorrection qui résulte, finalement, en agrammaticalité.
3.5. La concordance des temps verbaux
Le français du Nord Cameroun semble ignorer les règles de
concordance des temps verbaux qui prévalent en français standard.
- Usage du présent au lieu de l’imparfait de l’indicatif
(74) Nous sommes allés à l’excursion la semaine passée,
c’est merveilleux
(75) Certains étudiants bavardaient pendant que d’autres rédigeaient
leurs devoirs alors que le professeur
attend leurs copies au seuil
de la porte
(76) Le chauffeur de l’autobus ne savait plus où est la route.
- Usage du passé composé au lieu du
plus-que-parfait
(77) les Camerounais jubilaient à la fin de la partie alors que
les Nigérians qui ont fait des déclarations tapageuses
avant le match pleuraient à chaudes larmes
(78) on coupait le foin qu’on a rapporté des fermes avoisinantes.
-Usage de l’imparfait au lieu du plus-que-parfait
(79) Si j’étais riche, j’aurais acheté cette gandoura
(80) Quand mes enfants sont arrivés, je mangeais le plat
que leur mère préparait.
3.6. La concordance des modes
Une analyse du français du Nord Cameroun révèle des
discordances modales du genre :
(81) Essaie de manger quelque chose quoique tu es malade
(82) Il faut voir le professeur avant qu’il part à
Yaoundé
(83) Attendons que le professeur finit son cours avant d’aller au
Rectorat.
(84) Bouba est le seul ami qui peut t’aider maintenant.
On remarque que le mode indicatif est toujours préféré
au mode subjonctif.
Biloa (1999 : 158-159), considère que les écarts de concordance
de temps et de mode observés chez les français francophones
camerounais sont dus au fait que les systèmes temporels et modaux
sont transposés à ceux du français. Les conceptions
du temps et des modes ne sont pas les mêmes dans les langues africaines
et en français. Les discordances temporelles et modales observées
dans le français des locuteurs africains s’expliquent, probablement,
par ces différences entre les systèmes de ces familles linguistiques.
4. Alternance et mélanges codiques
Dans les communautés bilingues, les locuteurs ont tendance à
mélanger ou à alterner les items lexicaux, les expressions,
les phrases et les propositions pendant l’interaction verbale. C’est une
part essentielle de leur compétence communicative, ce que Verma
(1975 :3 5) appelle l’" habileté à alterner linguistiquement
et de manière appropriée selon les changements situationnels
". Mélange codique, alternance codique et emprunt
constituent quelques-uns des labels employés pour désigner
ces réalités.
Des auteurs comme Ashok Kumar (1986 : 195 — 205) ont noté qu’il
n’y avait aucune raison de distinguer le mélange codique de l’alternance
codique. Selon lui, les deux processus sont tellement interconnectés
et les différences entre les deux sont tellement subtiles qu’il
est tout à fait problématique pour le linguiste de proposer
des définitions explicites pour ces termes. Pour les besoins de
l’analyse linguistique, certains chercheurs établissent toutefois
une distinction entre mélange codique4 et
alternance codique qui sont sont différemment définis.
Le fait que les utilisateurs de l’alternance codique puissent communiquer
effectivement les uns avec les autres est une raison suffisante pour maintenir
que l’alternance codique n’est pas le fait d’un choix arbitraire ou d’un
choix au hasard d’éléments linguistiques. C’est plutôt
un phénomène systématique dont le fonctionnement interne
est régulé par des règles sous-jacentes. Plusieurs
études (Timm,1975, Kachru, 1978, Pfaff,1979, Woolford,1983, et Joshi,
1984) ont relevé les caractéristiques syntaxiques de l’alternance
codique. Ces études montrent que l’alternance linguistique est régulée
par des contraintes syntaxiques et qu’un ensemble de règles ou de
contraintes s’applique à tout discours bilingue. Et pour que l’alternance
codique fonctionne dans un discours, le respect de ces contraintes est
obligatoire.
Gibbons (1979) parle d’un phénomène de mélange linguistique
attesté à Hong Kong qu’il appelle u-gay-wa et qui présente
les traits suivants :
a) Il contient un élément cantonnais important, un élément
anglais mineur et un petit élément autonome
b) Les phénomènes d’u-gay-wa sont différents de l’alternance
codique et de l’emprunt.
c) u-gay-wa est né de contacts à l’intérieur d’un
groupe confronté à deux cultures
d) C’est une langue ethnique influencée par une langue superstrat.
La situation linguistique du Nord Cameroun présente des ressemblances
avec celle de Hong Kong. La plupart des locuteurs natifs du Nord Cameroun
parlent le fulfuldé, langue véhiculaire et première
langue d’une partie de la population. Ceux dont le fulfuldé n’est
pas la langue native parlent, bien sûr, en plus du fulfuldé
une autre langue camerounaise (afro-asiatique ou nilo-saharienne). Il n’est
pas exagéré de dire que le fulfuldé est parlé
par tout le monde au Nord Cameroun et est utilisé dans la plupart
des situations informelles et sociales. Mais le français est la
langue de l’éducation, de l’emploi administratif et du commerce.
Dans une certaine mesure, le français est la langue du pouvoir étatique
et est source de prestige dans nombre de cas.
En français du Nord Cameroun sont attestées des énoncés
qui mélangent le fulfuldé et le français :
(85) mi mange — ata
je manger négation
"je ne mange pas"
(86) mi cour - ata
je courir négation
"je ne cours pas"
(87) mi marqu - ata
je marquer négation
"je ne marque pas"
Dans ce mélange de fulfuldé et de français, si le
pronom personnel et le marqueur de la négation sont fulfuldé,
le verbe, lui, est français. Ces constructions hybrides se substituent
souvent aux structures fulfuldé pures telles que :
(88) mi gram - ata
je manger - négation
"je ne mange pas"
(89) mi dõg - ata
je courir - négation
"je ne cours pas"
Beaucoup de conversations sont parsemés de mots issus du
fulfuldé5
(90) On m’a dit qu’il n’était pas là alhadi et pourtant il
y était bien
(91) Kay, je ne peux accepter une chose pareille
"Non, je ne peux accepter une chose pareille "
(92) Ce n’est pas le prix de cette viande, albarka
(93) Hââ, s’il savait
"Oh , s’il savait"
(94) Asalam alaïkoum ! Comment allez-vous ?
"Que la paix soit avec vous ! Comment allez-vous ? "
5. Conclusion
Dans cet article, le français parlé au Nord Cameroun a été
décrit, analysé et comparé au français dit
standard/ Il comporte des variantes afférentes à la détermination
nominale au genre, au nombre, au(x) pronom(s) personnel(s), à la
valence verbale, au choix des prépositions à l’intérieur
du syntagme verbal, à la proposition relative, à la concordance
des temps verbaux et des modes, à l’alternance et au mélange
codiques. Ainsi, s’il existe des différences systématiques
entre le français standard et le français parlé au
Nord Cameroun du point de vue morphosyntaxique, peut on dire pour autant
que le français nord camerounais s’écarte progressivement
de la norme au point d’amorcer une dérive irréversible vers
un pidgin ou un créole ? Dans l’état actuel de nos investigations,
on ne peut l’affirmer avec certitude. Dans un contexte plurilingue comme
celui du Nord Cameroun, il est normal que le français qui y est
parlé prenne plus ou moins la couleur du paysage linguistique qui
l’entoure. Cette coloration, dans un contexte de contact de langues, n’est
d’ailleurs pas unidirectionnelle ; elle est plutôt multidirectionnelle.
Car autant les (autres) langues locales influencent le français,
autant celui-ci les influence aussi bien du point de vue lexical que morphosyntaxique.
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ZANG ZANG, P. (1998). Le français en Afrique.
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1Le pidgin-English
d’origine indo-européenne n’appartient à aucun des
phylums attestés au Cameroun et n’est apparenté à
aucune langue camerounaise. Né des contacts entre l’anglais standard
et les langues camerounaises, il est prioritairement parlé dans
les provinces dites anglophones du Cameroun, le Sud-Ouest et le Nord-Ouest,
ainsi que dans l’Ouest et le Littoral du Cameroun. Il n’est pratiquement
pas parlé dans la partie septentrionale du Cameroun qui nous intéresse
ici.
2Exemples tirés
de Nlend, 1998–1999 : 50.
3Exemples tirés
de Nlend, 1998-1999 : 51.
4Pour Ashok
Kumar (1986 : 195–196), "l’alternance codique qui est influencée
par des facteurs extralinguistiques tels que le thème, les interlocuteurs,
la situation, etc., est l’usage alterné des items lexicaux,
des expressions, des propositions, et des phrases (à partir) de
la langue non-native à la langue native"
5Exemples
tirés de Nlend, 1998–1999 : 57.
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