LA SYNTAXE DU FRANçAIS PARLÉ
AU NORD CAMEROUN

Edmond Biloa
Université de Yaoundé I

Introduction
            Le français au Cameroun a été étudié sous plusieurs facettes et par plusieurs auteurs mais beaucoup, sinon la plupart de ces études portent sur la didactique du français, sa sociolinguistique, sa phonétique et sa morphologie. Ainsi, il n’y a, à notre connaissance, aucune étude qui ait été faite sur la morphosyntaxe du français parlé et écrit sur le territoire camerounais. Des mémoires et des thèses sont en cours de rédaction et ont été inspirés par nous. Ils portent essentiellement sur les particularités morphosyntaxiques du français parlé et écrit au Cameroun. C’est dire que les recherches sur la (morpho) syntaxe du français du Cameroun en sont à un stade embryonnaire et se limitent à quelques études sur les interférences morphosyntaxiques des langues camerounaises dans le français (cf. entre autres Biloa, 1999).
            La méthode d’analyse adoptée dans cet article est descriptive et constrastive. On s’attellera à décrire la syntaxe du français parlé au Nord du Cameroun, en comparant de manière implicite, ce français à la variété dite standard. Le corpus que nous dépouillons et analysons ici provient de nos notes de voyages dans la partie septentrionale du Cameroun, à l’occasion des allées et venues à l’Université de Ngaoundéré où nous dispensons des enseignements de linguistique française. Les données ont été recueillies aussi bien auprès des étudiants que des locuteurs du français issus de la classe sociale moyenne et de l’élite.
            En ce qui concerne l’usage de la langue française au Cameroun, nous pensons qu’on peut distinguer quatre groupes de locuteurs :
            - un groupe de locuteurs, constitué par l’élite, parle la variété supérieure ou acrolectale du français.
            - un groupe constitué de lettrés de l’enseignement secondaire, des agents de maîtrise utilise une variété moyenne ou mésolectale du français.
            - un groupe formé des gens peu lettrés, ayant peut-être appris le français de manière informelle, se sert d’une variété basilectale.
            - un groupe, enfin, majoritaire, est constitué des gens qui ne parlent pas du tout la langue française.
            - Ainsi peut-on dire grosso modo que coexistent au Cameroun, trois variétés de français : acrolectale, mésolectale et basilectale. En raison des avancées de l’éducation formelle, la ligne de démarcation les deux premières semble se rétrécir. Dans cette étude, nous étudierons quelques traits morphosyntaxiques de ces deux variétés en usage au Nord Cameroun (en excluant le français basilectal).
            Notre article est structuré comme suit : la première section rappelle l’environnement linguistique du français nord camerounais, la deuxième examine le fonctionnement du syntagme nominal, la troisième aborde le problème du comportement du syntagme verbal, tandis que le mélange codique et l’alternance codique sont tour à tour l’objet d’étude de la quatrième section.

1. L’environnement linguistique du français au Nord Cameroun
            Le Cameroun compte dix provinces dont trois (province de l’Adamaoua, province du Nord et province de l’Extrême Nord) composent ce qui est traditionnellement appelé le Nord Cameroun.
            Selon l’inventaire préliminaire de l’Atlas Linguistique du Cameroun de 1983, le pays possédait 237 unités—langues. En 1993, les dernières enquêtes effectuées dans certaines zones d’incertitude révèlent que le Cameroun comptait en fait 248 unités—langues. Des quatre phylums ou grandes familles linguistiques qui regroupent les langues originaires d’Afrique, trois (afro-asiatique, nilo-saharien, et niger-kordofan) sont représentés au Cameroun, mais seuls les phylums afro-asiatique et nilo-saharien sont attestés au Nord Cameroun.1

1.1. Les langues nationales et transnationales véhiculaires

            Les langues nationales et transnationales sont des langues qui se développent hors de leur aire linguistique propre et servent de langue de communication à des locuteurs dont elles ne sont pas les langues maternelles. Pour le Nord Cameroun, il existe deux types de langues véhiculaires :
            - les langues qui sont originaires du Cameroun et qui sont parlées sur le territoire camerounais comme langues maternelles par des populations Camerounaises.
            - les langues qui sont parlées comme langues maternelles dans un pays voisin et qui fonctionnent au Cameroun comme langues véhiculaires. On leur donne le nom de langues véhiculaires transnationales.

            1.1.1. Langue véhiculaire de grande diffusion au Nord Cameroun
            Au Nord Cameroun, c’est le fulfuldé qui fonctionne comme langue véhiculaire de grande diffusion.

           1.1.2. Langues véhiculaires de diffusion restreinte au Nord Cameroun
            Ce sont le wandala, le kanuri, l’arabe choa et le hausa. Le wandara rivalise avec le fulfuldé dans les Monts Mandara. Le kanuri, principalement parlé au Nigeria, compte des locuteurs dans la région de Mora, ville située dans la province de l’Extrême Nord. L’arabe Choa est véhiculaire dans les zones urbaines au nord du département du Logone et Chari dans la province de l’Extrême-Nord. Le hausa, langue véhiculaire au Nigeria, est aussi parlé au Cameroun dans quelques villages aux abords de la frontière.

1.2. Les Langues officielles

            Au Cameroun, l'anglais et le français, langues officielles, sont les langues de l’État, c'est-à-dire celles du Journal officiel et des formulaires administratifs, des affaires, de l'enseignement public et privé, de la presse écrite, de la radio et la télévision nationale.
            En règle générale, l'anglais est surtout employé dans les provinces anglophones du sud-ouest et du nord-ouest, alors que le français est principalement en usage dans le reste du pays, en majorité francophone. Par conséquent, au Nord-Cameroun, le français est la langue officielle la plus utilisée. Dans le reste du pays, malgré l'égalité officielle du français et de l'anglais, l’espace public est davantage occupé par la langue française que par la langue anglaise. Ainsi dans les médias 90 % de la presse écrite est francophone. Il faut noter l'absence de presse officielle écrite en langue(s) camerounaise(s). Les programmes de la Cameroon Radio and Télévision (CRTV) sont réalisés à 65 % en français et 35 % en anglais.
            Aujourd'hui, si les langues camerounaises ne sont pas utilisées par l'administration, elles sont néanmoins utilisées par la radio. Dix des treize stations de radio diffusent des programmes dans 59 langues camerounaises. Radio-Douala, par exemple, diffuse des programmes en duala, en yabassi, en bakoko, en basaa, tandis que Radio-Centre, basée à Yaoundé, diffuse des programmes en bafia, en basaa et en ewondo. Les trois radios du Nord Cameroun diffusent des émissions en fulfuldé et dans d'autres langues nilo-sahariennes et afro-asiatiques.
            Pour le Nord Cameroun, qui nous intéresse ici, la cohabitationdu français avec le fulfuldé et les langues afro-asiatiques et nilo-sahariennes engendre des contacts et des influences réciproques : il se produit inévitablement un transfert bidirectionnel d'adstrats des langues dominées et vice versa.

            1.2.1. Superstrats

            En substance, un superstrat sera défini comme une langue qui empiète sur le domaine d'influence d'une autre langue, mais qui, sans se substituer à celle-ci, peut disparaître en laissant des traces. Au vu de cette définition, il apparaît que le français et l'anglais sont des superstrats au Cameroun

            1.2.2. Substrats

            Si l'anglais et le français sont les superstrats, les langues camerounaises constituent les substrats. Leur influence sur le français au Cameroun est telle qu'il existe plusieurs variétés de français parlé et écrit au Cameroun (cf. Renaud, 1969, Biloa, 1998, 1999). Le lexique et la phonologie sont particulièrement affectés. Le locuteur camerounais du français puise souvent dans sa langue natale des mots inconnus du locuteur natif. Au niveau phonétique et phonologique, on dénombre plusieurs accents régionaux du français au Cameroun : français bamiléké, français béti et français nordiste (cf. Mendo Zé, 1990, Zang 1991, 1998).
            Au niveau morphologique et syntaxique, un certain nombre d’études ont examiné des cas d'interférences des langues camerounaises dans le français (cf. Essono, 1979, Ngo Nognib, 1990, Noguem, 1993, Mairamou Bello, 1997, Biloa, 1998, 1999).

1.3. Les langues composites

            La cohabitation d'une multitude de langues a donné naissance a ce qu'on appelle des langues composites. Au Cameroun la plus représentative est le pidgin-english qui est né au dix-huitième siècle quand l'anglais britannique est entré en contact avec les langues bantoues de la côte ouest africaine. Les Allemands et les Français lui ont voué une haine sans merci et essayé de l’éradiquer, sans y parvenir. Actuellement, le pidgin-english s'étend un peu partout au Cameroun et devient une langue véhiculaire. Dans les provinces anglophones du Sud-Ouest et du Nord-Ouest, le pidgin-english fonctionne non seulement comme véhiculaire mais il est parfois aussi une langue maternelle (première) pour certains Camerounais.
            Par ailleurs, de la cohabitation du français, de l'anglais et des langues camerounaises est né le camfranglais, l’autre langue composite du Cameroun, en usage surtout dans les milieux scolaires et universitaires. (cf. Mendo Zé, 1990, Ntsobé et alii, en préparation).
            Voilà brossé, en quelques lignes, l'environnement linguistique du français du Nord Cameroun. Ce tableau laisse penser que le français du Nord Cameroun ne peut être soustrait à l'influence des langues du substrat, ce qui pourrait rendre compte du fonctionnement de certaines de ses formes et structures.

2. Le syntagme nominal

2.1. La détermination nominale

            Dans un dictionnaire, le substantif est présenté seul, sans déterminant, en règle générale. Selon Chevalier et alii (1967 : 209), le substantif s'applique alors à l'ensemble de la substance qu'il évoque, sans limitation aucune.
            Cependant, dans le discours, le substantif est rarement utilisé sans détermination. Les mêmes grammairiens énumèrent les cas où le substantif peut être dépourvu d'un déterminant :
            - substantif en apostrophe ;
            - substantif en apposition, avec ou sans pause vocale ;
            -substantif attribut ;
            - substantif utilisé dans une proposition purement nominale : Victoire,Monseigneur. Victoire totale et réglementaire !
            - substantif utilisé dans certaines locutions figées comme avoir peur, prendre forme, se mettre en mouvement, prendre fait et cause, perdre patience, avoir faim, faire connaissance avec une personne, etc.
            - substantif utilisé dans des maximes de portée générale et dans certains titres d'ouvrages : Pauvreté n'est pas vice, Grammaire française, servitude et grandeur militaires.
            Dans le discours, la détermination sert à évoquer une partie de la substance dont on parle : la défaite, une défaite, plusieurs défaites, la victoire, une victoire, plusieurs victoires, etc. En quelque sorte, la détermination sert à sectionner ou à définir ou à déterminer ce dont on parle. il s'agit donc d'une "coupure" (expression de Gustave Guillaume reprise par Chevalier et alii, 1964) dans la signification totale du substantif. Cette coupure permet de donner provisoirement à celui-ci une individualité propre : la détermination est précisément une individualisation du substantif. En d'autres termes, en langue française, un substantif est individualisé (ou déterminé) quand il est précédé par un déterminant (ou un déterminatif).

            2.1.1. Détermination Zéro

            La détermination nominale en français du Nord Cameroun se caractérise souvent par l'absence de déterminant :

            (1) Si tu veux aller en ville, tu peux prendre Ø moto-taxi.
            (2) Le professeur veut voir Ø maison de Moussa Yaya.
            (3) Mairamou prend Ø avion demain matin pour aller à Maroua.
            (4) Depuis que mon frère est gendarme, il a pris Ø femme chez lui.

           On remarquera qu'ici le déterminant n'est absent que lorsque le nom qu'il détermine apparaît en position d'objet direct. Cet état de chose est similaire à ce qui prévaut dans beaucoup de langues camerounaises. En tuki, langue camerounaise décrite et analysée par Biloa (1992,1995), les déterminants sont presque toujours absents :

            (5) Viroo a - ma - nya cwi
                  Viroo Acc - passé2 manger poisson

            Dans la phrase (5), le syntagme nominal (SN) complément d'objet direct cwi "poisson" n'est pas déterminé. Cette phrase signifie potentiellement :

            (6a) "Viroo a mangé un poisson"
            (6b) "Viroo a mangé le poisson"
            (6c) "Viroo a mangé des poissons"
            (6d) "Viroo a mangé les poissons"

            L'exemple tuki montre que les déterminants peuvent être omis dans certains énoncés. Au vu de cet exemple, on est en droit de se demander si le français du Nord Cameroun subit l'influence des langues locales. Etant donné que la phonologie et la morphologie du français camerounais sont largement tributaires des langues camerounaises, il n'est pas impossible de postuler que la syntaxe du français du Nord Cameroun copie les traits syntaxiques des langues camerounaises.
            En tuki, il arrive que les noms soient accompagnés d'un déterminant (article, adjectif possessif ....etc.) :

            (7) Viroo a - ma - namba cwi mosi
                  Viroo Acc P2 cuit poisson un
                  "Viroo a cuit un poisson"
            (8) Viroo a - ma namba Cwi rame
                  Viroo Acc - P2 cuit poisson mes
                  "Viroo a cuit mes poissons"

            À l'inverse du français, le tuki ne possède ni article défini (le, la, les), ni article partitif (de, du, des). Pour exprimer les valeurs et les emplois des articles définis et des articles partitifs, le tuki a recours à la détermination zéro.
            S'agissant précisément des emplois et des valeurs des déterminants, on peut se poser la question de savoir quelles valeurs marquent en français du Nord Cameroun les noms dépourvus de déterminants. selon nous, il marquent les valeurs suivantes :

            i. Le défini : la phrase (2) illustre la valeur définie de la détermination zéro qui précède le syntagme nominal maison de Moussa Yaya. Ainsi en français standard, on aurait la maison de Moussa Yaya. Quoi qu'une maison de Moussa Yaya soit possible, un tel usage est improbable dans la phrase (2)
            ii. L'indéfini ou le générique : dans la phrase (1), le syntagme nominal moto-taxi a un référent indéterminé. Si on restitue l'article indéfini un, on obtient la phrase suivante :

            (9) Si tu veux aller en ville, tu dois prendre un moto-taxi.

            Mais dans la phrase (1), ce nom moto-taxi peut signifier moto-taxi en général ; ainsi, il renvoie à tout moyen de locomotion du même nom. En restituant le déterminant, on obtient la phrase suivante :

            (10) Si tu veux aller en ville, tu dois prendre le moto-taxi.

            Dans la phrase (10), le confère au nom moto-taxi une valeur de généralité. Dans les structures coordonnées, en français du Nord Cameroun, le déterminant peut être absent dans le deuxième Syntagme nominal conjoint :

            (11) Bello aime les peuls et Ø Hausa
            (12) Le lamido a donné de l'argent à ses gardiens et Ø ndoungourou
            (13) Les Aladji n’aiment pas mélanger les vaches et Ø chèvres

            Dans ces phrases, le déterminant devrait précéder le deuxième SN conjoint de la structure coordonnée. Ceci laisse supposer que le déterminant du premier conjoint reste aussi valable pour le second syntagme nominal conjoint. Apparemment, la présence de la conjonction de coordination et favorise ce type de comportement de la part du déterminant. Il faut cependant préciser que, pour que le second déterminant soit omis, il doit être identique au premier. C’est la raison pour laquelle si on restitue les déterminants dans les phrases (11-13) de la manière suivante, le sens des phrases sera radicalement différent du sens originel :

            (14) ? Bello aime les Peuls et tes Hausa
            (15) ? Le lamido a donné de l'argent à ses gardiens et à mes ndoungourou.
            (16) ? Les Aladji n’aiment pas mélanger les vaches et leurs chèvres.

            Les points d’interrogation (?) indiquent que le sens des phrases (14-16) n’est pas tout à fait le même que celui des phrases (11-13). Les comportements des déterminants dans ces phrases s’expliquent par ce qui est appelé en grammaire générative la condition du recouvrement (Biloa, 1998) qui stipule qu’un élément ne peut être omis que s’il est sémantiquement recouvrable, c’est-à-dire si son sens peut être récupéré à partir d’autres éléments présents dans la phrase. C’est ce qui explique le statut de la phrase suivante :

           (17) Lucien se demande quelles femmes Eddie adore et Arsenio déteste, les blondes ou les brunes.
            En (17), il n’est point nécessaire de répéter le SN (syntagme nominal) interrogatif quelles femmes dans le deuxième conjoint de la structure coordonnée puisque chaque locuteur de la langue française comprend que ce SN est aussi bien l’objet direct du verbe adore que du verbe déteste.
            On peut étendre ce raisonnement au fonctionnement de la détermination zéro dans les énoncés (11—13). Dans chacun de ceux-ci, le déterminant du premier conjoint de la structure coordonnée est interprété comme étant également celui du second conjoint. Ainsi, les énoncés (11-13) sont normalement interprétés comme ceux dans lesquels les déterminants ont été restitués :

            (18) Bello aime les Peuls et les Hausa
            (19) Le lamido a donné de l’argent à ses gardiens et à ses ndoungourou.
            (20) Les Aladji n’aiment pas mélanger les vaches et les chèvres.

            2.1.2. Substitution de l’article défini à l’adjectif possessif

            Il arrive qu’en français du Nord Cameroun, l’article défini se substitue à l’adjectif possessif, ainsi que l’illustrent les exemples suivants :

            (21) Moi, je ne paierai pas les frais de l’Association des parents d’Elèves tant que le président ne donnera 
            pas l’aval.
            (22) Le doyen a marqué l’accord pour que les cours continuent jusqu’au 12 avril.

            En français standard, on dirait plutôt :

            (23) Moi, je ne paierai pas les frais de l’Association des parents d’Elèves tant que le président ne donnera
            pas son aval.
            (24) Le doyen a marqué son accord pour que les cours continuent jusqu’au 12 avril.

            2.1.3. Emploi de l’article défini au lieu du partitif

            On observe également qu’assez fréquemment l’article défini se substitue au partitif dans les énoncés produits par les locuteurs :

            25) Professeur, allons boire le jus de foléré
            (26) Ma femme va te donner l’huile de karité pour madame
            (27) Ici on vend pas la bière
            (28) Est-ce que vous pouvez manger le soya avec le pain ?

            À la place de l’article défini, le français standard emploierait le partitif ainsi qu’il suit :

            (29) Professeur, allons boire du jus de foléré.
            (30) Ma femme va te donner de l’huile de karité pour madame.
            (31) Ici on ne vend pas de bière.
            (32) Est-ce que vous pouvez manger du soya avec du pain ?

            2.1.4. Substitution de Llarticle défini à l’article indéfini

           (33) J’aimerais d’abord avant d’en venir aux causes du divorce parler un peu du mariage, surtout 
            les fondements du mariage.
            En français standard, on dirait plutôt qu’il y a des choses… Et on parlerait des fondements du mariage.

            2.1.5. Emploi de l’article indéfini au lieu de l’article défini

            (35) Tu ne connais pas ton ami, il ne lèvera jamais un petit doigt pour t’aider.
            (36) Bello a parfois une dent très dure contre ses ennemis du parti
            (37) J’ai vu un car de l’Université de Ngaoundéré qui transportait les étudiants ; il était trop plein.

            Dans ces exemples, les articles indéfinis sont substitués aux articles définis. Ainsi au lieu d’avoir les expressions lepetit doigt (35), la dent (36), le car (37), on se retrouve plutôt avec les cas non standardisés : un petit doigt, une dent, un car.
            Nous avons également observé dans les suites syntagmatiques du genre dét + (adj) nom que des est fréquemment utilisé à la place de de :

            (38) Même dans les temps anciens, la religion fut fustigée par des grands théoriciens.
            (39) Je n’ai pas des parents à Maroua
            (40) Ma sœur ne m’a pas acheté des beaux vêtements au Bénin.

           En (38) des aurait dû être remplacé par de. Il en est de même pour les phrases (39) et (40). Ces deux dernières présentent une difficulté particulière, toutefois, pour des locuteurs non-natifs de la langue française, car en français standard l’article indéfini des ou le partitif du se transforme en de lorsqu’il est précédé d’une négation. En guise d’illustration, considérons les exemples suivants :

            (41) Souaibou a des enfants intelligents
            (42) Haoua aime manger du chocolat
            Si ces énoncés qui apparaissent à la forme affirmative subissent la transformation négative, les formes des et du sont également altérées en de :

            (43) Souaibou n’a pas d’enfants intelligents.
            (44) Haoua n’aime pas manger de chocolat.

            Ces dernières données du français standard montrent assez clairement que le système des déterminatifs est complexe et difficile à maîtriser. Cette complexité pourrait expliquer que les locuteurs du français du Nord Cameroun éprouvent beaucoup de mal à s’approcher de la norme dans leur usage des déterminants. Ce point de vue semble corroboré par les propos de G. Prignitz (1994 : 71) : "les règles de distribution en noms comptables et non comptables sont assez floues dans la langue normée pour permettre certaines licences".

2.2. Le nombre

            La confusion observée dans l’usage des déterminants en français du Nord Cameroun se retrouve dans l’emploi du nombre qui n’est pas un caractère du nom considéré en soi, mais qui correspond aux besoins de la communication. Il existe deux nombres en français : le singulier et le pluriel. Le plus souvent, ces nombres s’emploient à propos d’êtres ou de choses qui peuvent être comptés.
            Le singulier est utilisé pour désigner un seul être ou une seule chose, ou, pour les noms collectifs, un seul ensemble. Les exemples (en français standard) qui suivent proviennent du Bon Usage de Grévisse (1988, douzième édition, p. 819) : un soldat. un cheval, une pomme, un essaim. Ce régiment.
            Le pluriel est utilisé pour désigner plus d’un être ou plus d’une chose, ou pour les noms collectifs, plus d’un ensemble : Dix soldats. Trois chevaux. Toutes les pommes. Deux essaims. Ces régiments.
            Il y a des noms sans singulier. Grévisse (1988 : 821-822) donne la liste de certains noms qui ne s’emploient qu’au pluriel : "Les uns expriment manifestement une pluralité d’êtres ou d’objets (taux, pierreries, ….), tandis que d’autres concernent des ensembles vagues dans lesquels on serait bien en peine d’identifier des unités (armoiries, entrailles, environs, funérailles…..). Pour bien d’autres encore, le pluriel n’a que des justifications historiques (aguets, fonds)….". La liste de Grévisse, qui compte à peu près 80 items, contient aussi des mots techniques ou vieillis, inusités aujourd’hui.
            En français du Nord Cameroun, un mot comme funérailles, qui est toujours au pluriel en français standard, est utilisé comme une unité comptable :

           (45) Il y a eu trois funérailles cette semaine à Baladji dans la communauté béti.

            Le mot assises s’emploie toujours au pluriel et désigne une session de la juridiction appelée cour d’assises qui juge les crimes et certains délits. Ce mot peut aussi désigner la réunion d’un parti politique ou d’un syndicat. En français du Nord Cameroun, ce mot est parfois employé au singulier :

            (46) Le chef de famille doit convoquer une assise pour cette affaire.

            Funérailles et assises illustrent ce qui est communément appelé le singulier sémantique qui désigne des mots, employés au pluriel mais qui représentent, en réalité, une entité.
            Dans les lignes qui suivent, nous allons, en revanche, parler du pluriel sémantique pour lequel un substantif représentant tout ensemble est employé pour désigner une toute petite partie. Dans les énoncés suivantes, les mots friperies et moustaches sont au pluriel alors qu’ils auraient dû être au singulier :

            (47) Mairama aime porter les friperies.
            (48) Les Musulmans gardent toujours les moustaches très longues.

2.3. Le genre

           Grévisse (1988 : 754) définit le genre comme étant une propriété du nom, qui le communique par le phénomène de l’accord, au déterminant, à l’épithète, à l’adjectif attribut, ainsi qu’au pronom représentant le nom. On distingue deux genres en français : le masculin, auquel appartiennent les noms qui peuvent être précédés de le ou de un, et le féminin, auquel appartiennent les noms qui peuvent être précédés de la ou de une : la veste, la muraille, une femme.
            Le genre pose d’énormes problèmes aux locuteurs du français du Nord Cameroun. En effet, c’est une catégorie dont l’usage n’est pas facile à maîtriser car, ne répondant pas toujours à une "discrimination sexuisante", elle est plus ou moins conventionnelle dans la langue française. Les locuteurs du français du Nord Cameroun ont recours à des expédients pour déterminer le genre des noms (cf. Nlend, 1988—1999 : 50).
            L’analogie est l’un de ces expédients. Pour ces locuteurs, les sonorités jouent rôle important dans le choix du genre grammatical. En français du Nord Cameroun, le "e" muet en finale est considéré comme une marque du féminin. Ainsi les mots dont la terminaison finale est "e" sont assignés le genre féminin dans cette variété du français camerounais :

            (49)2 C’est une grosse tubercule de manioc
            De grosses termites ont apparu cette nuit.
            Combien coûte une alvéole d’œuf ?
            C’est comme ça que se déclenche une incendie.

            Dans ces exemples, à l’exception du mot alvéole qui est soit masculin soit féminin, (c’est-à-dire qui a deux genres), les autre mots (tubercule, termites et incendie) sont tous masculins. Mais parce qu’ils se terminent par la voyelle "e" au singulier, les locuteurs du français dit "nordiste" ont l’impression qu’ils sont tous du genre féminin.

            Il y a des substantifs en français standard dont la forme ne varie pas selon que le genre est masculin ou féminin. Face à ceux-ci, le français du Nord Cameroun emploie le genre masculin pour le sexe masculin et le genre féminin pour le sexe féminin :
            (50)3 Moussa est un bête
                Habiba a la silhouette d’une mannequin

               Le mot bête en français standard est toujours au féminin. Ici, étant donné qu’il est attribut d’un nom propre masculin, le locuteur lui attribue le genre masculin. Inversement mannequin, normalement masculin, est affectée du genre féminin en raison du sexe de la personne qu’ils caractérisent.

2.4. Les pronoms

            Nous examinons le comportement des pronoms dans cette section parce qu’ils sont considérés comme des syntagmes nominaux. en ce qu’ils peuvent remplacer un nom et fonctionnent du point de vue syntaxique comme des syntagmes nominaux.
            La discordance pronominale est très fréquente en français du Nord Cameroun. Les pronoms le ou la se substituent à lui :

            (51) Je la dis de venir me voir ce soir
            (52) Je l’ai donné mon argent et il refuse de me rembourser.

            Les verbes dire et donner sont transitifs indirects, mais les locuteurs les analysent comme transitifs directs.
            Il arrive aussi que des verbes transitifs directs soient considérés comme des transitifs indirects :

            (53) Je lui vois venir
            (54) Les étudiants qui on dribblé les cours, le doyen leur a interrogé aujourd’hui.

            L’usage adéquat des pronoms personnels en français standard est étroitement lié à la connaissance de la combinatoire des verbes qui les sélectionnent. La multitude des verbes français constituent autant d’obstacles à la parfaite maîtrise du système pronominal par les locuteurs du Nord Cameroun.

3. Le syntagme verbal

            La valence verbale varie constamment selon qu’on passe du français standard au français du Nord Cameroun. Dans cette variété du français camerounais, des verbes transitifs tels que manger, préparer, fréquenter, construire sont fréquemment détransitivés, c’est-à-dire qu’ils passent du statut de transitif à celui d’intransitif.

3.1. Du transitif à l’intransitif

            Les verbes précédemment cités sont dans la variété de référence des verbes transitifs, c’est-à-dire qu’ils sélectionnent un complément d’objet direct. En français du Nord Cameroun, tel n’est pas le cas :

            (55) Je suis parti de la maison avant de manger parce que ma femme n’a pas encore préparé
            (56) Quand j’aurai de l’argent, je vais me construire à Dang.
            (57) Parce que mes enfants fréquentent à Ngaoundéré, je suis obligé d’habiter en ville.

            En français du Nord Cameroun, préparer, (se) construire, fréquenter signifient respectivement "cuire le repas", "bâtir une maison" et  "aller à l’école".

3.2. Du transitif indirect au transitif direct

            (58) Il faut que je téléphone mon père à Maroua
            (59) Donne-la son document.
            (60) Le professeur a commandé toute la classe de remettre le devoir lundi.
            (61) Les étudiants racontent toujours le patron des histoires.

            Dans ce corpus, des verbes intransitifs indirects sont devenus des verbes transitifs directs à cause de l’omission des prépositions appropriées. En (58), (60), (61), les verbes téléphoner, commander et raconter devraient être suivis de la préposition à..En (59), le choix du pronom personnel indique que le locuteur semble ignorer que le verbe donner sélectionne un syntagme prépositionnel (SP) introduit par la préposition à.

3.3. Le choix des prépositions à l’intérieur du syntagme verbal

            (62) Le professeur a demandé à enlever des ordures dans la classe
            (63) Après l’école, les enfants aident les travaux à la case
            (64) Le lamido est toujours marié de beaucoup de femmes
            (65) La fumée sort dans l’usine de Maïscam
            (66) Le matin, il faut enlever la viande dans le congélateur

            Ces attestations montrent de manière assez nette que le choix des prépositions par les locuteurs du français du Nord Cameroun n’est pas toujours judicieux. Il faut observer que ce choix n’est pas facilité par la multitude de prépositions qui existent en français standard. Quand on sait que les langues natives des locuteurs du français du Cameroun ne sont pas pourvues d’un aussi grand nombre de prépositions, on peut immédiatement conclure que le substrat exerce une influence néfaste sur l’usage du français au Cameroun. Biloa (1999 : 149—167) montre que le choix des prépositions cause les interférences des langues camerounaises (ewondo, ghomala, basaa) dans le français ; ces interférences sont dues au fait que ces langues camerounaises possèdent très peu de prépositions. De même, le tuki, langue bantoue du Cameroun, décrite et analysée par Biloa (1995, 1997), ne dispose que de deux prépositions [na] correspondant à à, de, avec, chez et [Kaa] équivalant de sans. Ainsi, une seule préposition tuki peut en traduire plusieurs en français. Dès lors, il n’est pas étonnant que les locuteurs du français camerounais emploient les prépositions françaises au hasard et les omettent parfois.

3.4. La proposition relative

                   3.4.1. L’emploi des relatifs
                En français du Nord Cameroun, on observe des modifications afférentes au comportement des pronoms relatifs que, dont, et . et on observe des constructions comme :

                (67) Voici le moto-taxi que je t’ai parlé ce matin

                En (67), à la place de que, on devrait plutôt avoir dont. Cette construction suggère que les locuteurs du français du Nord Cameroun confondent les usages de que et dont. Pour maîtriser l’emploi de ces deux pronoms relatifs, il est crucial de connaître la combinatoire du verbe parler, ce qui n’est pas évident chez les francophones nord camerounais.
                D’autre part, il ne serait pas superflu d’avoir recours ici à l’hypothèse de l’influence des langues du substrat pour expliquer le fonctionnement des constructions telles que (67). Ces constructions cessent de surprendre quand on sait que les relatifs dont et sont traduits par beaucoup de langues camerounaises par l’équivalent littéral de que. Ainsi, les locuteurs francophones du Nord Cameroun transposeraient les structures de leurs langues natives sur leur variété de français. Au vu de cet argument, les phrases suivantes du français du Nord Cameroun s’expliquent aisément :

                (68) La femme Moundang que tu as violé la fille s’est pendue
                (69) Le livre dont tu m’as prêté est perdu
                (70) La minicité que tu es resté là-bas a brûlé pendant les vacances.

                En remplaçant les pronoms relatifs inappropriés par les pronoms relatifs adéquats dans ces constructions (68—70), on obtient :

                (71) La femme Moundang dont tu a violé la fille s’est pendue
                (72) Le livre que tu m’as prêté est perdu
                (73) La minicité tu es resté là-bas a brûlé pendant les vacances.

                L’emploi de dont en (71) est surprenant et ne peut s’expliquer par un souci d’hypercorrection qui résulte, finalement, en agrammaticalité.

3.5. La concordance des temps verbaux

                Le français du Nord Cameroun semble ignorer les règles de concordance des temps verbaux qui prévalent en français standard.
                - Usage du présent au lieu de l’imparfait de l’indicatif
                (74) Nous sommes allés à l’excursion la semaine passée, c’est merveilleux
                (75) Certains étudiants bavardaient pendant que d’autres rédigeaient leurs devoirs alors que le professeur attend leurs copies au seuil de la porte
                (76) Le chauffeur de l’autobus ne savait plus où est la route.
- Usage du passé composé au lieu du plus-que-parfait
                (77) les Camerounais jubilaient à la fin de la partie alors que les Nigérians qui ont fait des déclarations tapageuses avant le match pleuraient à chaudes larmes
                (78) on coupait le foin qu’on a rapporté des fermes avoisinantes.
-Usage de l’imparfait au lieu du plus-que-parfait
                (79) Si j’étais riche, j’aurais acheté cette gandoura
                (80) Quand mes enfants sont arrivés, je mangeais le plat que leur mère préparait.

3.6. La concordance des modes

                Une analyse du français du Nord Cameroun révèle des discordances modales du genre :

                (81) Essaie de manger quelque chose quoique tu es malade
                (82) Il faut voir le professeur avant qu’il part à Yaoundé
                (83) Attendons que le professeur finit son cours avant d’aller au Rectorat.
                (84) Bouba est le seul ami qui peut t’aider maintenant.

                On remarque que le mode indicatif est toujours préféré au mode subjonctif.
                Biloa (1999 : 158-159), considère que les écarts de concordance de temps et de mode observés chez les français francophones camerounais sont dus au fait que les systèmes temporels et modaux sont transposés à ceux du français. Les conceptions du temps et des modes ne sont pas les mêmes dans les langues africaines et en français. Les discordances temporelles et modales observées dans le français des locuteurs africains s’expliquent, probablement, par ces différences entre les systèmes de ces familles linguistiques.

4. Alternance et mélanges codiques

                Dans les communautés bilingues, les locuteurs ont tendance à mélanger ou à alterner les items lexicaux, les expressions, les phrases et les propositions pendant l’interaction verbale. C’est une part essentielle de leur compétence communicative, ce que Verma (1975 :3 5) appelle l’" habileté à alterner linguistiquement et de manière appropriée selon les changements situationnels ". Mélange codique, alternance codique et emprunt constituent quelques-uns des labels employés pour désigner ces réalités.
                Des auteurs comme Ashok Kumar (1986 : 195 — 205) ont noté qu’il n’y avait aucune raison de distinguer le mélange codique de l’alternance codique. Selon lui, les deux processus sont tellement interconnectés et les différences entre les deux sont tellement subtiles qu’il est tout à fait problématique pour le linguiste de proposer des définitions explicites pour ces termes. Pour les besoins de l’analyse linguistique, certains chercheurs établissent toutefois une distinction entre mélange codique4 et alternance codique qui sont sont différemment définis.
                Le fait que les utilisateurs de l’alternance codique puissent communiquer effectivement les uns avec les autres est une raison suffisante pour maintenir que l’alternance codique n’est pas le fait d’un choix arbitraire ou d’un choix au hasard d’éléments linguistiques. C’est plutôt un phénomène systématique dont le fonctionnement interne est régulé par des règles sous-jacentes. Plusieurs études (Timm,1975, Kachru, 1978, Pfaff,1979, Woolford,1983, et Joshi, 1984) ont relevé les caractéristiques syntaxiques de l’alternance codique. Ces études montrent que l’alternance linguistique est régulée par des contraintes syntaxiques et qu’un ensemble de règles ou de contraintes s’applique à tout discours bilingue. Et pour que l’alternance codique fonctionne dans un discours, le respect de ces contraintes est obligatoire.
                Gibbons (1979) parle d’un phénomène de mélange linguistique attesté à Hong Kong qu’il appelle u-gay-wa et qui présente les traits suivants :

                a) Il contient un élément cantonnais important, un élément anglais mineur et un petit élément autonome
                b) Les phénomènes d’u-gay-wa sont différents de l’alternance codique et de l’emprunt.
                c) u-gay-wa est né de contacts à l’intérieur d’un groupe confronté à deux cultures
                d) C’est une langue ethnique influencée par une langue superstrat.

                La situation linguistique du Nord Cameroun présente des ressemblances avec celle de Hong Kong. La plupart des locuteurs natifs du Nord Cameroun parlent le fulfuldé, langue véhiculaire et première langue d’une partie de la population. Ceux dont le fulfuldé n’est pas la langue native parlent, bien sûr, en plus du fulfuldé une autre langue camerounaise (afro-asiatique ou nilo-saharienne). Il n’est pas exagéré de dire que le fulfuldé est parlé par tout le monde au Nord Cameroun et est utilisé dans la plupart des situations informelles et sociales. Mais le français est la langue de l’éducation, de l’emploi administratif et du commerce. Dans une certaine mesure, le français est la langue du pouvoir étatique et est source de prestige dans nombre de cas.
                En français du Nord Cameroun sont attestées des énoncés qui mélangent le fulfuldé et le français :

                (85) mi mange — ata
                       je manger négation
                       "je ne mange pas"
                (86) mi cour - ata
                       je courir négation
                       "je ne cours pas"
                (87) mi marqu - ata
                       je marquer négation
                       "je ne marque pas"

                Dans ce mélange de fulfuldé et de français, si le pronom personnel et le marqueur de la négation sont fulfuldé, le verbe, lui, est français. Ces constructions hybrides se substituent souvent aux structures fulfuldé pures telles que :

                (88) mi gram - ata
                       je manger - négation
                       "je ne mange pas"
                (89) mi dõg - ata
                       je courir - négation
                       "je ne cours pas"

                Beaucoup de conversations sont parsemés de mots issus du fulfuldé5

                (90) On m’a dit qu’il n’était pas là alhadi et pourtant il y était bien
                (91) Kay, je ne peux accepter une chose pareille
                       "Non, je ne peux accepter une chose pareille "
                (92) Ce n’est pas le prix de cette viande, albarka
                (93) Hââ, s’il savait
                       "Oh , s’il savait"
                (94) Asalam alaïkoum ! Comment allez-vous ?
                       "Que la paix soit avec vous ! Comment allez-vous ? "

5. Conclusion

                Dans cet article, le français parlé au Nord Cameroun a été décrit, analysé et comparé au français dit standard/ Il comporte des variantes afférentes à la détermination nominale au genre, au nombre, au(x) pronom(s) personnel(s), à la valence verbale, au choix des prépositions à l’intérieur du syntagme verbal, à la proposition relative, à la concordance des temps verbaux et des modes, à l’alternance et au mélange codiques. Ainsi, s’il existe des différences systématiques entre le français standard et le français parlé au Nord Cameroun du point de vue morphosyntaxique, peut on dire pour autant que le français nord camerounais s’écarte progressivement de la norme au point d’amorcer une dérive irréversible vers un pidgin ou un créole ? Dans l’état actuel de nos investigations, on ne peut l’affirmer avec certitude. Dans un contexte plurilingue comme celui du Nord Cameroun, il est normal que le français qui y est parlé prenne plus ou moins la couleur du paysage linguistique qui l’entoure. Cette coloration, dans un contexte de contact de langues, n’est d’ailleurs pas unidirectionnelle ; elle est plutôt multidirectionnelle. Car autant les (autres) langues locales influencent le français, autant celui-ci les influence aussi bien du point de vue lexical que morphosyntaxique.


Bibliographie

BELLO, M. (1997). Les interférences morphosyntaxiques du fulfuldé dans le français, Mémoire de maîtrise,  
              Université de Ngaoundéré.
BILOA, E. (1992). The syntax of operator constructions in Tuki, PH. D. dissertation, University of Southern 
                California, Los Angeles.

BILOA, E. (1995). Functional Categories and the syntax of focus in Tuki. München / New York, Lincom 
                Europa (deuxième édition, 1997)

BILOA, E. (1998). Syntaxe générative. La théorie des principes et des paramètres. München / New York, 
                Lincom Europa.

BILOA, E. (1999). "Les interférences morphosyntaxiques des langues camerounaises dans le français", in Gervais 
                Mendo Zé (éd.), Le français, langue africaine. Enjeux et atouts pour la francophonie, Paris, Publisud,
                pp. 149—167.

CHEVALIER, J.C. et alii (1964). Grammaire du français contemporain, Paris, Larousse.
ESSONO, J. J. M. (1979). Interférences phonologiques et morphologiques de l’ewondo dans le français parlé,
                Thèse de Master’s Degree en linguistique, Université de Yaoundé.

GIBBONS, J. (1979). "Code-mixing and Koineising in the speech of students at the University of Hong Kong", 
                Anthropological Linguistics, 21, pp. 113-123.

GREVISSE, M. (1988). Le bon usage, Paris-Gembloux, Duculot. (12e édition refondue par André Goose)
JOSHI, A. K. (1984). eProcessing sentences with intra-sentential code- switchinge, in D. Dawty et alii (éds),
                Natural Language Processing : Psycholinguistic, Computational and Theoretical Perspectives, 
                Cambridge, Cambridge University Press.

KACHRU, B. (1978). "Towards structuring code—mixing : An Indian perspective", International Journal of the
                Sociology of Language
,16, pp. 27-46.

KUMAR, A. (1986). "Certain aspects of the form and functions of Hindi—English code—switching", 
                Anthropological Linguistics, 28,2, pp. 195-205.

NGO NOGNIBO, M. P. (1990). Interférences morphosyntaxiques du bàsàa dans le français, Mémoire de 
                DIPES II, Université de Yaoundé, E. N. S.

NLEND, J. (1998—1999). Les particularités morpho—syntaxiques du français du Nord—Cameroun, Projet de
                thèse de doctorat, Université de Ngaoundéré.

NOGUEM, J. (1993). Les interférences phonologiques du ghomalà dans le français, Mémoire de DIPES II, 
                Université de Yaoundé, E.N.S.

NTSOBE, A. M. et alii (en préparation). Le camfranglais : quelle parlure ? Etude linguistique et 
                sociolinguistique.

PFAFF, C. (1979). "Constraints on language mixing : Intra-sentential code-switching and borrowing in Spanish and 
                English", Language, 55, pp. 291-317.

PRIGNITZ, G. (1994). "Le normal et le normatif ", in A propos du français en Afrique. Questions de normes
                Université Nice—Sophia Antipolis, pp. 59-87

RENAUD, P. (1969). "Le français au Cameroun", in Annales de la Faculté des Lettres, Université de Yaoundé, 
                série Lettres, vol. 4, 7, pp. 17—41.

TIMM, L. (1975). "Spanish-English code-switching L el porque y how — not — toss", Romance Philology, 28, pp.
                473—482.

VERMA, S. K. (1975). "Hindi —English code—switching", Institute Voor Toegepaste Linguistick 28, pp. 35-48.
WOOLFORD, E. (1983). "Bilingual code—switching and syntactic theory", Linguistic Inquiry, 14, pp. 520-536.
ZANG ZANG, P. (1991). Le processus de dialectisation du français en Afrique : le cas du Cameroun. Etudes 
                fonctionnelles des tendances évolutives du français
— Thèse de Doctorat de 3e cycle, Université de 
                Yaoundé.

ZANG ZANG, P. (1998). Le français en Afrique. München / New York, Lincom Europa.



  1Le pidgin-English d’origine  indo-européenne n’appartient à aucun des phylums attestés au Cameroun et n’est apparenté à aucune langue camerounaise. Né des contacts entre l’anglais standard et les langues camerounaises, il est prioritairement parlé dans les provinces dites anglophones du Cameroun, le Sud-Ouest et le Nord-Ouest, ainsi que dans l’Ouest et le Littoral du Cameroun. Il n’est pratiquement pas parlé dans la partie septentrionale du Cameroun qui nous intéresse ici.
  2Exemples tirés de Nlend, 1998–1999 : 50.
  3Exemples tirés de Nlend, 1998-1999 : 51.
  4Pour Ashok Kumar (1986 : 195–196), "l’alternance codique qui est influencée par des facteurs extralinguistiques tels que le thème, les interlocuteurs, la situation, etc.,  est l’usage alterné des items lexicaux, des expressions, des propositions, et des phrases (à partir) de la langue non-native à la langue native"
  5Exemples tirés de Nlend, 1998–1999 : 57.

.