© Denis Biette, Laboratoire de Zététique décembre 2005
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La chaussure botte en touche...
ou

Fortunes et infortunes d’un cas célèbre de NDE : la chaussure de Maria (2ème partie)


Denis BIETTE
Laboratoire de Zététique, Université de Nice-Sophia Antipolis

 

 

Note : Cet article, inédit, est la suite de celui paru initialement dans la revue "Enquêtes Z" n° 17 (automne 2003). 

 

Dans la première partie de cet article, je me suis longuement étendu sur ce célèbre cas de NDE et la contre-enquête réalisée par des sceptiques américains. Je précisais que j’avais pu établir le contact avec Kimberley Clark[1], à qui l’on doit la relation initiale de l’affaire. Elle m’avait dit alors ce qu’elle pensait de cette contre-enquête qu’elle assimilait à une publication de tabloïd (sic). Elle m’avait clairement affirmé dans la foulée qu’elle pouvait aisément en faire une critique point par point

 

 

Paroles, paroles

 

Je m’attendais donc à recevoir assez rapidement un article inédit qui aurait eu le mérite d’éclaircir enfin nombre de points du dossier. Kimberley Clark avait là l’occasion de faire entendre sa voix et ses récriminations. De plus, à la lire, cela s’annonçait être un exercice des plus aisés. N’allait-elle pas jusqu’à dire : « Il (nda : l’article du Skeptical Inquirer) contient tellement de mensonges et de déformations que, si ce n’étaient les photos, je douterais que les auteurs de l’article ne soient jamais allés sur les lieux » ? Une telle indignation ne pouvait manquer de se traduire par une réponse bien concrète. 

Autant l’annoncer tout de suite. La critique de la critique ne vint jamais. Le mail qui l’annonçait datait du 1er avril 2003. J’ai laissé passer un peu de temps et ne voyant rien venir, j’ai relancé plusieurs fois Kimberley Clark[2]. Certes, cette dernière avait eu des problèmes informatiques. Elle disait aussi avoir énormément de travail. Mais au fil des échanges, je sentais de plus en plus que tout prétexte serait bon pour remettre aux calendes grecques la critique de la critique.

Pourquoi laisser passer une telle occasion de débouter ses contradicteurs et de démontrer le peu de crédit à accorder au Skeptical Inquirer ? En fait, lorsqu’elle avait clamé vigoureusement ce qu’elle pensait de cette revue et la facilité qu’elle aurait à démonter la contre-enquête, Kimberley Clark n’avait peut-être pas réalisé qu’elle s’adressait à un sceptique français. Je m’étais pourtant clairement présenté en précisant que je travaillais au laboratoire de zététique de l’Université de Nice Sophia Antipolis, en fournissant même le lien du site Web du laboratoire qui fournit toutes informations utiles. Lorsqu’elle eut réalisé la chose peu après, elle manifesta alors des inquiétudes quant à la nature de mes intentions. Mon propos, comme je le lui avais déclaré dès mon premier courrier, était pourtant clair. Je lui demandais si elle avait lu l’article du Skeptical Inquirer[3] et je lui disais souhaiter connaître sa réaction de façon à avoir une vision la plus claire et la plus complète possible du dossier.

Alors, qu’en est-il en définitive ?

J’ai la sensation que la réponse de Kimberley Clark fut plus une réaction affective et précipitée qu’une promesse mûrement réfléchie. Je l’ai invitée à plusieurs reprises à produire ses critiques, en soulignant qu’il était important pour la connaissance du dossier qu’elle fasse valoir sa vision des choses. L’assurance de ses premiers propos n’a pas eu hélas la suite que l’on pouvait escompter et cela laisse pour le moins songeur.

 

 

Un livre étonnant

 

Kimberley Clark avait mis Ebbern et Mulligan, les étudiants qui étaient venus enquêter sur les lieux de l’affaire, au courant de la parution prochaine de son livre mais sans leur en livrer la teneur. Ces derniers n’en ont pas donc eu connaissance avant la publication de leur enquête.

Cet ouvrage, After the light : what I discovered on the other side of life that can change your world (William Morrow and Company, 1995, New York), est pourtant un complément indispensable à l’investigation. Bien entendu, son intérêt est qu’il présente le cas Maria d’une manière éminemment plus détaillée que le court passage que lui avait consacré son auteur dans son article initial[4]. Mais il permet aussi de mieux appréhender la personnalité et le vécu de Kimberley Clark et de les mettre en perspective avec son travail d’enquêtrice.

Le livre de Kimberly Clark Sharp

La NDE personnelle de Kimberley Clark[5] occupe une place de choix dans ce récit autobiographique. Elle avait alors 22 ans. C’était au printemps de l’année 1970. Elle était allée faire enregistrer son véhicule au bureau de Shawnee Mission, dans le Kansas, lorsqu’au sortir du bâtiment, elle s’effondra sous les yeux de son père qui l’accompagnait. Apparemment, elle n’avait plus de pouls et ne respirait plus. Bien qu’inconsciente, elle put percevoir néanmoins les efforts des personnes venues lui porter secours. Elle ne pouvait les voir mais elle entendait parfaitement leurs paroles. Elle eut ensuite la sensation d’un nouvel environnement, un brouillard épais et sombre, mais agréablement chaud, qui lui interdisait néanmoins toute vision précise. Ses repères sensoriels et temporels ne correspondaient plus à ceux qu’elle avait connus. Elle fit soudainement corps avec une lumière ineffable, à l’éclat extraordinaire mais non aveuglant, une lumière toute rayonnante d’amour[6]. Kimberley Clark eut alors la sensation d’une connaissance universelle. Elle sut bientôt qu’elle devait repartir malgré l’idyllique bien-être qu’elle ressentait. Avant de réintégrer son corps, elle eut la vision d’un au-delà sous la forme d’une magnifique scène pastorale où de blanches clôtures et une herbe couleur émeraude s’offraient à sa vue sous un ciel d’un bleu saturé. C’est à cette étape de la NDE qu’elle eut clairement la perception de la mission qui était la sienne sur terre, une mission qui justifiait son retour.

Une fois réanimée, elle demeura marquée par cette étrange expérience. Rappelons qu’à cette époque les NDE n’étaient pas encore du domaine public. Toujours est-il que sa vie s’en trouva complètement bouleversée puisqu’elle choisit soudainement de quitter son fiancé, sa famille et ses amis pour aller s’installer à Seattle, alors que rien ne laissait prévoir auparavant une telle décision. Elle entreprit des études à l’Université de Washington[7] pour devenir assistante sociale alors qu’elle s’était toujours destinée au métier d’institutrice de maternelle.

Aujourd’hui, Kimberley Clark interprète sa NDE comme un événement prédéterminé ayant eu pour but de lui confier la mission d’aider les autres. Son histoire personnelle prouve qu’elle se conforma dans la pratique à cette vision des choses et c’est tout à son honneur.

Il est impossible ici de détailler tous les événements qui suivirent sa NDE. Il suffit néanmoins de citer quelques exemples pour comprendre dans quel univers étrange et surnaturel Kimberley Clark se trouva plongée.

L’année même de sa NDE (1970), alors qu’elle est en route pour sa nouvelle vie à Seattle, Kimberley Clark a l’impression qu’une entité bienveillante assure le contrôle de la conduite de sa voiture alors qu’elle connaît un moment d’intense détresse. Peu après, c’est la rencontre, d’une nature toute spirituelle, avec une mini-tornade (a dust devil)[8].

En 1974, dans sa nouvelle maison à Seattle, des phénomènes étranges, dignes des meilleurs films du genre, vont créer un climat d’angoisse allant crescendo. C’est d’abord le face à face avec une tache qui lui inspire une peur irraisonnée et qui refuse de disparaître malgré les couches successives de peinture[9]. Quelques mois plus tard, ce sont les lumières qui semblent avoir une vie propre. Elles s’éteignent, s’allument seules, de plus en plus vite, jusqu’à atteindre un véritable effet stroboscopique[10] ! Ce ballet lumineux lui rappelle alors qu’elle a déjà connu un phénomène étrange lié à des lumières. En voiture, lorsqu’elle roulait sous les éclairages publics et qu’elle était dans un certain état émotionnel, ceux-ci s’éteignaient à son passage pour se rallumer ensuite.

Pour se rassurer, Kimberley Clark prend une locataire. Quelques mois passent sans problème mais un soir, elle trouve un mot de celle-ci collé sur sa porte : « N’entre pas dans la maison. Je pense qu’il y a quelqu’un à l’intérieur. » Bravant l’avertissement, Kimberley Clark entre pour découvrir avec horreur qu’une sorte de brume tourbillonnante d’un rouge magenta incandescent se dirige vers elle[11].

Puisque les fuites répétées hors de la maison ne l’ont toujours pas décidée à déménager pour de bon, ce sont des manifestations sonores qui vont cette fois la mettre à l’épreuve, des bruits métalliques sourds se répercutant dans toute la maison. A la recherche de leur source, Kimberley Clark se voit repousser par une sorte de bras invisible et sombre dans une terreur panique[12].

Le médecin qu’elle ira consulter établira un diagnostic de narcolepsie, un désordre du système nerveux caractérisé par d’incontrôlables  et périodiques épisodes de sommeils profonds. Kimberley Clark tente donc de se convaincre qu’ele a eu en fait des hallucinations[13].

Mais le traitement prescrit ne met pas fin aux expériences surnaturelles. Bien au contraire ! Voilà qu’une nuit, une apparition démoniaque qui a pris l’apparence de sa soeur cadette[14] se manifeste à elle. Ce ne sera pas la seule fois où des forces malignes viendront la tourmenter. Elles prendront également l’apparence d’un ami de longue date et d’une connaissance plus récente. A la fin de 1976, peu de temps avant sa rencontre avec Maria, l’une de ces entités exprimera très clairement son objectif de possession[15]. C’est le recours affolé à la prière qui la fera disparaître. Kimberley Clark ressentira à ce moment-là pour la première fois la présence d’entités qu’elle reconnaîtra pour des anges venus à son secours. Ces anges, d’ailleurs, se manifesteront à nouveau à plusieurs reprises[16]. Un ami défunt dont elle avait visualisé la mort la protègera de sa présence fantômatique jusqu’à son au revoir et son départ pour d’autres cieux, l’occasion pour Kimberley Clark de communier une nouvelle fois avec la Lumière déjà ressentie lors de sa NDE.[17].

Les entités démoniaques lui créeront encore de belles frayeurs comme ce rituel d’envoûtement destiné à prendre possession d’elle et dirigé par une demi-douzaine de silhouettes vêtues de longues robes et encapuchonnées qu’elle découvrit en pleine nuit autour de son lit[18]. Au dernier moment, Kimberley Clark allume sa lampe de chevet pour s’apercevoir qu’il n’y a personne dans la chambre. Son soulagement en pensant à un mauvais cauchemar est brusquement annihilé lorsqu’elle distingue avec horreur, sur son corps, les traces des tentatives visant à l’immobiliser ! Un rebondissement digne d’un classique du film d’épouvante !

Kimberley Clark a réfléchi à ce qui lui arrivait[19]. En dernière analyse, elle a choisi de considérer que ses expériences étaient bien le fruit de la réalité et non de simples hallucinations. Chacun jugera. Son intime conviction est qu’il y a dans ce monde des forces occultes à l’œuvre, des forces bénéfiques mais aussi des forces maléfiques et qu’elle a peut-être un rôle à jouer dans la lutte qui les oppose.

 

 

Le cas Maria dans son contexte

 

Cette implication à ses dépens dans ce combat des forces du bien et du mal, Kimberley Clark la rapporte à sa NDE[20]. Si celle-ci a permis d’éveiller en elle une énergie positive qu’elle ne soupçonnait pas, elle l’a du même coup rendue sensible à des énergies négatives. Plus de possibilité de s’en tenir à une vision neutre de la réalité. Tout a un sens et rien n’arrive par hasard[21].

La NDE de 1970 lui avait ouvert les portes d’un monde inconnu et l’avait lancée, certes un peu aveuglément, sur les voies de sa vocation, celle de 1977 lui révélerait enfin clairement sa mission, en lui permettant d’intégrer alors pleinement la dimension spirituelle de son expérience personnelle. En effet, Kimberley Clark avait conservé de celle-ci un ensemble de souvenirs flous et vagues dont elle ne parvenait pas à saisir véritablement la substance, le sens, comme si une volonté extérieure à la sienne l’empêchait d’en saisir l’ultime finalité et lui interdisait toute introspection plus poussée[22].

Indubitablement, le cas Maria fut le moment-clé, le point d’orgue de la destinée de Kimberley Clark. Cette nouvelle expérience ne pouvait qu’être prédéterminée elle aussi. Pour acquérir un statut particulier parmi tous les milliers de cas de NDE recensés, elle devait se caractériser par un élément unique : ce fut la chaussure sur la corniche.

Cette chaussure, si providentielle, relève-t-elle alors de la réalité ou d’une affabulation ? A chacun de juger. Il est difficile de faire la part des choses dans ce dossier.

Toutefois, la mise en perspective des différents éléments du dossier, la personnalité et le vécu de Kimberley Clark qui en font un rapporteur qu’on ne peut juger objectif tant son implication personnelle dans l’événement est grande, le fait d’autant plus gênant alors qu’elle soit la seule source à ce jour pour rendre compte du dossier, les contradictions flagrantes sur des points cruciaux de son compte rendu, tout incite à la plus grande circonspection face aux affirmations produites.

Certes la contre-enquête ne peut reconstituer avec certitude les véritables événements ou trancher entre plusieurs scénarios possibles, mais elle aura au moins permis d’établir un point qui sera difficilement discutable : le cas Maria, au vu des faiblesses du dossier, ne peut aucunement recevoir le label de preuve incontestable de l’existence d’une conscience en dehors du corps animé. 

 

 

Le cas Maria, toujours une référence

 

Malgré l’article du Skeptical Inquirer et ses dérivés médiatiques, le cas Maria demeure toujours une référence pour nombre de personnes s’intéressant aux NDE. 

Le docteur Beyerstein me confiait en 2002 que la « communauté NDE. »  n’avait pas commenté les nouvelles données produites et qu’elle continuait à citer ce dossier comme une référence sérieuse. Il a pourtant évoqué les découvertes de l’enquête sur plusieurs radios, souvent même alors qu’il avait en face de lui des porte-parole d’associations de recherche sur les NDE.

Sur Internet, les forums de discussion font toujours la part belle au cas Maria, et ce malgré la mise en ligne intégrale de l’article du Skeptical Inquirer sur alt.consciousness.near-death-exp le 2 septembre 1997. L’histoire est citée dans un forum finnois[23] en mai 1998, sur alt.paranormal en octobre 2000, sur sci.skeptic en mai 2000 où l’intervenant le cite comme un défi aux sceptiques (Skeptics, explain the shoe on the ledge !) pour y revenir encore en juillet 2000 en faisant remarquer que Susan Blackmore a négligé ce cas parce qu’elle n’a pu obtenir d’informations supplémentaires, ce qui le pousse au commentaire suivant : « Qu’a-t-elle besoin de savoir en plus ? Pense-t-elle que Kimberley et Maria sont des menteuses ? » C’est le genre d’argument culpabilisant qu’on retourne souvent aux sceptiques quand ils osent s’interroger sur un témoignage et qui entend couper court à la discussion. Nous noterons qu’ici, il est impossible de vérifier le témoignage initial lui-même puisqu’on ne connaît même pas l’identité réelle de Maria. C’est le compte rendu de Kimberley Clark qui a été l’objet de l’analyse.

La citation devient parfois cocasse comme dans ce forum allemand[24] en décembre 1997. En fait, après enquête, il apparaît que l’internaute reprend textuellement les propos de la traduction allemande du livre de Melvin Morse, Closer to the light (Villard Books, 1990)[25]. La légende dorée du cas Maria serait-elle en train de naître sous nos yeux ? Le récit vaut la peine d’être conté. Afin de la préparer à sa vie après la sortie de l'hôpital, nous dit-on, Kimberley explique à Maria les modifications psychologiques qui surviennent à beaucoup de malades cardiaques mais cette dernière ne s’intéresse pas le moins du monde à cet exposé. Elle veut relater son étrange aventure, comment elle s’est déplacée hors de son corps alors que les médecins luttaient pour sa survie. Pour preuve, elle ajoute qu’une chaussure se trouve sur le rebord de la fenêtre[26]. Kimberley ouvre la fenêtre mais n’aperçoit rien. « Elle est posée dehors. » insiste Maria. Kimberley se penche au dehors mais ne trouve toujours aucune chaussure. « Derrière le coin » explique Maria plus précisément. Courageusement, Kimberley grimpe sur le rebord de la fenêtre qui se trouve au cinquième étage[27] pour découvrir précisément la chaussure à l’endroit indiqué !

Que l’on se rassure, Kimberley Clark n’a pas eu à risquer sa vie pour récupérer cette chaussure. Elle n’était pas non plus venue expliquer à Maria les éventuels troubles psychologiques consécutifs à son état. Rappelons que c’est l’infirmière de garde qui avait appelé Kimberley Clark à la rescousse, au vu de l’état d’agitation de Maria. Quant au dialogue entre les deux protagonistes, il relève de la pure fiction. Kimberley Clark, après avoir entendu le récit de Maria, avait en réalité quitté la chambre de la patiente et était partie seule à la recherche de la chaussure.

Nombre d’internautes, au gré de leur exploration du Web, découvriront bien des sites présentant le cas Maria sans aucune réserve. Citons ces deux exemples éloquents :

- le site Near-Death Experiences and the Afterlife, avec ses pages intitulées « les preuves »[28]

- le site Survival Science.org (aujourd'hui disparu) où le cas était proposé avec d’autres pour « déboulonner » les sceptiques[29]. L’auteur de la page n’était autre que l’internaute qui avait posté son défi sur le forum sci.skeptic. Mis alors au courant de la contre-enquête, force est de constater qu’il n’en avait tenu aucunement compte puisqu’il n’y faisait pas allusion. On peut même se demander s’il avait seulement daigné en prendre connaissance.

Les autres médias ne sont pas en reste. Kimberley Clark a participé à des émissions de télévision, même après la publication de la contre-enquête.

Côté presse écrite, l’un des plus grands quotidiens de Seattle, le Seattle Times, lui a consacré un article entier dans son édition du 27 juillet 2001. Seattle accueillait en effet le congrès annuel nord-américain de l’association IANDS. L’article intitulé A glimpse of the 'other side' : Seattle conference unites near-death individuals[30] évoque bien sûr le cas Maria, là encore sans aucune réserve. Voulant en savoir un peu plus, je suis parvenu à contacter le journaliste auteur de l’article, Reid Forgrave. Un peu gêné semble-t-il[31], il a fini par me confier qu’il s’était uniquement servi des informations tirées de l’interview réalisée avec Kimberley Clark et de son livre. En fait, il n’a jamais cherché une seule minute à évaluer ces informations de façon critique. Le temps lui manquait sans doute pour ce travail et pour une recherche complémentaire. Pourtant, en parcourant le livre de Kimberley Clark, il aurait pu s’étonner d’un certain nombre de faits, certes non liés au cas Maria mais qui auraient dû l’inciter à plus de recul. Nous en reparlerons plus avant.

Le cas Maria, on l’a vu avec le forum finnois, a traversé avec brio l’Atlantique. Emmanuel Juste-Duits l’a mis en avant dans une version un peu personnelle puisqu’il évoquait Maria « en état critique, dans une salle d'opération » et « une chaussure qui se trouve 3 étages + haut, sur une corniche de l'hôpital ». Maria était en fait dans son lit d’hospitalisation et la chaussure se trouvait sur la corniche de la fenêtre d’une autre chambre du même étage.

Récemment, en janvier 2002, l’histoire fut citée sur la chaîne de TV, M6. Dans un reportage diffusé par l’émission E=M6, le docteur Jean-Pierre Jourdan, qui s’intéresse de près au phénomène des NDE[32], y a fait allusion. Il évoquait à propos de la fameuse chaussure « une perception objective et vérifiée ». Le propos prête un peu à sourire lorsqu’on considère le dossier d’une part, les informations que le docteur Jourdan en livre d’autre part. Outre l’hésitation sur la couleur[33], son résumé ne correspond pas aux données objectives, enfin tout au moins conformes au compte rendu de Kimberley Clark. Il situe lui aussi Maria sur une table d’opération et ajoute que la chaussure a été aperçue « tout en haut », ce qui ne correspond pas à la véritable topographie des lieux, le deuxième étage étant loin d’être situé au sommet du bâtiment si l’on en juge par les photographies disponibles.

J’avais été contacté pour le même reportage de M6 par Franck Mazoyer, le journaliste qui avait interviewé le docteur Jourdan. Comme j’étais censé commenter ses propos, je pus visualiser son interview complète dont M6 n’a diffusé qu’un très court extrait[34]. Il est dommage que le docteur Jourdan ait été coupé car j’avais noté des erreurs encore plus flagrantes dans la suite de son évocation du cas, notamment en ce qui concernait les conditions de découverte de la chaussure. Mon commentaire diffusé[35] s’est trouvé lui aussi particulièrement réduit puisqu’il n’en demeurait plus qu’une simple allusion à la couleur de la chaussure[36], ce qui pouvait sembler quelque peu mesquin il faut l’avouer.

 

 

Pour conclure

 

Les réactions à cet article seront sans doute fort diverses. Certaines personnes personnellement très impliquées dans le domaine des NDE resteront convaincues que le dossier Maria est toujours un de ces rares cas tenant lieu de preuve de l’existence d’une conscience en dehors du corps animé. Cette position, compte tenu des éléments aujourd’hui disponibles, relève plus de la foi que d’une appréciation objective de l’ensemble des données de l’affaire.

D’autres lecteurs se lanceront dans une critique plus fouillée en discutant tel ou tel point du dossier. Ils feront peut-être valoir qu’une explication plausible rationnelle ne demeure somme toute qu’une hypothèse ayant la même validité que l’explication surnaturelle. Il restera à en faire la preuve.

L’essentiel pour moi était que chacun puisse disposer de l’ensemble des informations disponibles pour se faire sa propre opinion. J’espère y avoir un peu contribué. Peut-être verrons-nous encore d’autres éléments venir compléter le dossier. L’enquête continue…

 

Je tenais à remercier M. Reid Forgrave qui a bien voulu répondre à mes sollicitations et à nouveau Mrs Kimberley Sharp bien que je déplore qu'elle n'ait pas fourni la critique tant attendue de l'article du Skeptical Inquirer.



[1] Mon premier e-mail lui fut adressé le 29 janvier 2003. Sans réponse, j’ai renvoyé 4 fois ce même courrier. J’ai obtenu enfin une réponse le 1er avril 2003 (authentique !).

[2] Ma dernière relance datait du 15 décembre 2004. En relisant encore une fois cet article tout récemment, j'ai envoyé de nouveau un e-mail le 15 juin 2005. Aucune réponse.

[3] C’était le cas justement.

[4] Le cas Maria était relaté sur à peine 2 pages dans l’article original alors qu’il bénéficie d’environ 9 pages dans le livre !

[5] Cet épisode était ignoré des enquêteurs de l’article du Skeptical Inquirer.

[6] A défaut d’un terme adéquat, Kimberley Clark l’évoque comme la Lumière de Dieu. Elle se décrit à cette époque comme une luthérienne paresseuse en matière de religion, bien que croyant avec conviction en une force divine, en Jésus et au pouvoir de la prière, ainsi qu’aux anges (After the light, p. VII de la préface).

[7] Il s’agit bien entendu de l’Etat et non de la ville.

[8] After the light, pp. 33 et 34.

[9] After the light, pp.45-47.

[10] After the light, pp. 47-49.

[11] After the light, pp. 49-50.

[12] After the light, pp. 50-53.

[13] Cette explication ne pouvait pas convenir pour expliquer les étranges dysfonctionnements des lumières de la maison puisqu’ils avaient eu des invités de Kimberley Clark pour témoins.

[14] Cette dernière vivait à l’époque au Kansas. D’autre part, Kimberley Clark ajoute qu’il ne pouvait y avoir confusion car l’horrible double avait des yeux noirs dans lesquels on ne distinguait ni pupille, ni cornée, ni iris, ni blanc ! (After the light, pp.55-56).

[15] After the light, pp. 56-59.

[16] Voir par exemple After the light, pp.100-101 et surtout pp. 129-133

[17] After the light, pp. 94-119.

[18] After the light, pp. 82-84.

[19] After the light, p. 59.

[20] After the light, p. 60.

[21] After the light, p. 35.

[22] After the light, pp. 7, 13 et 43.

[23] sfnet.keskustelu.psykologia

[24] de.sci.philosophie

[25] L’extrait est mis en ligne sur un site suisse : 

http://www.bhakti-yoga.ch/FAQ/NDE/NDE1.html

[26] Le texte parle de la fenêtre de Clark, ce qui est pour le moins confus.

[27] Il semble qu’il s’agisse là d’une erreur figurant dans la version allemande du livre de Melvin Morse, la version originale (que je n’ai pas pu consulter personnellement) semblant conforme au récit de Kimberley Clark au sujet de la précision de l’étage, si l’on en croit le résumé qu’en faisait un internaute sur alt.dreams en mai 1997.

[28] http://www.near-death.com/evidence.html

ou http://www.near-death.com/experiences/evidence02.html

[29] http://www.survivalscience.org/debunk/ww/arg23.shtml (cette adresse n'est plus valide aujourd'hui). La page s’inscrivait dans la rubrique Debunking the debunkers. Le verbe to debunk a pour sens démystifier. Les debunkers auxquels le site fait allusion sont bien entendu les sceptiques.

[30] L’article est disponible sur le site Web du journal, dans la section archives (inscription préalable gratuite) :

http://seattletimes.nwsource.com/

[31] Je lui ai simplement demandé s’il connaissait la publication du Skeptical Inquirer au moment où il avait rédigé son article. Il m’a d’abord répondu qu’il ne connaissait pas le cas Maria. Il était bien question du cas, pas de l’article (« Don't know about the Maria NDE »). Il a sans doute réalisé ce que la formule pouvait avoir de maladroit si l’on considérait sa méthodologie de travail, car il a fallu ensuite plusieurs relances pour qu’il donne suite à ma réponse quelque peu étonnée.

[32] Il en propose d’ailleurs une explication tout à la fois séduisante et spéculative, faisant appel à une cinquième dimension.

[33] Il évoquait une possible couleur jaune alors que la chaussure serait bleue (After the light, p. 12). On ne lui jettera pas la pierre quand on voit qu’une conférence donnée en février 1995 par les trois auteurs de l’article du Skeptical Inquirer l’annonçait rouge (http://seercom.com/bcs/calendar/1995.02.03.html). Ils n’avaient d’ailleurs pas signalé le détail relatif à la couleur dans leur article et le titre n’est peut-être pas de leur fait.

[34] Le sujet central du reportage devait d’ailleurs initialement être la théorie explicative des NDE du docteur Jourdan.

[35] Outre que mon intervention n’avait plus grand intérêt avec cette version ultra-réduite, ma déception fut doublée de la surprise de me voir baptisé chercheur à l’Université de Nice Sophia Antipolis, alors même que le journaliste disposait des éléments corrects quant à mon identité. J’ai eu depuis l’occasion de découvrir le même genre de distorsions dans un autre reportage de M6 auquel j’ai collaboré, mais cette fois dans le domaine de l’archéologie.

[36] N’ayant point encore le livre de Kimberley Clark entre les mains au moment du reportage, j’avais signalé que l’on ignorait la couleur de la chaussure, ce qui semblait être le cas à la lecture de toutes les autres publications qui traitaient du sujet.


© Denis Biette, Laboratoire de Zététique décembre 2005
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