Laboratoire de Zététique, mai 2006

 


"Fausses vérités et argumentation sélective"

 

Comment "argumenter" sur les prétendus effets des champs électromagnétiques sur la santé, autour du projet de construction d’une ligne Très Haute Tension (THT). 

 

 

Denis CAROTI, Jérôme BELLAYER, Denis BIETTE, Henri BROCH

Laboratoire de Zététique

Université de Nice-Sophia Antipolis


Voir en ligne deux autres articles apparentés :
- "Lignes électriques à haute tension et cancer chez l'enfant" par H. BROCH, J. BELLAYER, D. BIETTE, D. CAROTI.
- "A propos des méta-analyses leucémies infantiles et champs magnétiques" (PDF) par J. BELLAYER, D. BIETTE, D. CAROTI, H. BROCH

 

 

Dans n’importe quel débat, l’argumentation appuyant les différents points de vue est indispensable. Cela implique de la part des participants une gymnastique intellectuelle souvent difficile et délicate. En effet, l’art de la rhétorique et l’éloquence de l’orateur sont deux ingrédients indispensables pour « mettre en valeur » les différents arguments. Ces critères prennent alors souvent plus d’importance que les idées développées.

Plus généralement, lorsqu’une thèse est avancée, on attend qu’elle soit étayée par des preuves. C’est dans ce cas que différents « stratagèmes » peuvent être utilisés pour affirmer la réalité et la « vérité » des propos tenus.

Dans les exemples que nous allons aborder, l’astuce utilisée est connue depuis longtemps, employée dans notre vie quotidienne, inconsciemment ou délibérément, par de nombreuses personnes devant argumenter ou justifier.

Comment ne pas mentir sans dire la vérité ? C’est très simple : il suffit de ne pas dire toute la vérité !

 

« Le droit de chercher la vérité implique aussi un devoir. On ne doit cacher aucune partie de ce qui a été reconnu comme étant vrai » disait Einstein.

Il semble pourtant que beaucoup aient oublié cette pensée.

 

L’art de dissimuler volontairement ou non une partie de la vérité peut prêter à sourire lorsqu’il s’agit de Monsieur ou Madame « Toutlemonde » cherchant à se faire valoir, mais une « fausse vérité » peut souvent servir à des fins peu scrupuleuses. Ainsi, dans le cadre du « Prix-Défi Broch-Majax-Theodor»[1], Monsieur X (candidat n°62 et professionnel de la scène) affirmait posséder des pouvoirs télépathiques (via des revendications de pouvoirs d'hypnose). Après avoir subi un échec total lors de tests réalisés sous le contrôle de plusieurs scientifiques, nous avons été plus que surpris d’apprendre que notre candidat, se produisant en spectacle, avait quelque peu complété sa présentation en se déclarant : « Testé par des scientifiques ». Nous devons admettre que cela est vrai, ou, plus exactement, que cela n’est pas faux. Mais, évidemment, il manque une précision de taille : « …Résultat : échec complet ».

Cette capacité à « mentir par omission » comme on la nomme dans notre langage courant peut également intervenir de façon sournoise et inconsciente lors d’expériences scientifiques. C’est pourquoi il est indispensable de travailler en aveugle (voire en double aveugle) afin de minimiser ce risque.

Notre intérêt a donc été attiré par l’utilisation d’une argumentation sélective dans le cadre du débat autour d’un thème sensible, générant régulièrement ce genre d’attitude : l’effet des champs électromagnétiques sur la santé. Nous nous sommes notamment penchés sur les champs à très basse fréquence, tels que ceux générés par les lignes électriques (lignes à très haute tension, THT).

 

 

« La Belgique s’oppose aux lignes THT »... ?

 

 

Dans le cadre du débat public autour du projet de construction d’une ligne THT reliant le Cotentin au Maine, nous pouvons lire en page 2 d'un cahier d’acteur[2], le paragraphe intitulé : 

« Aujourd’hui il est avéré [souligné des auteurs] qu’un projet aérien de ligne THT, tel que celui proposé ici par le maître d’ouvrage, n’est plus compatible avec la sécurité des personnes. »

 

Pour développer ce titre sans appel et sans nuance (il est « avéré » donc exact, incontestable), il est précisé :

« De nombreuses instances ont déjà pris position pour que la prudence guide les décisions en matière d’équipement en THT »

Un argument développé dans la suite du paragraphe. Ainsi, on apprend que :

« En 1999, le Conseil d’État de Belgique a pris la décision de suspendre les travaux d’implantation d’une ligne 220 kV en application du principe de précaution. »

 

Après vérification, on s’aperçoit effectivement que le Conseil d’État belge a bien rendu un tel arrêt en date du 20 août 1999 sous le nom d’arrêt Venter (du nom de la plaignante). Pour être tout à fait exact, cet arrêt se conclut ainsi :

« Considérant qu’il ressort des documents versés aux débats que l’influence des champs magnétiques induits par une ligne à haute tension fait l’objet de controverses dans les milieux médicaux ; qu’il n’appartient pas au Conseil d’Etat de trancher une telle controverse ; qu’il peut seulement constater qu’il existe des éléments permettant raisonnablement de suspecter un risque pour la santé, quand bien même les normes existant en cette matière seraient largement respectées, comme l’indique l’intervenante ; que si ce risque ne peut être affirmé avec certitude comme l’indique la partie adverse, il ne peut non plus être exclu ; que pour que le Conseil d’Etat puisse suspendre un acte attaqué, le préjudice ne doit pas être certain [gras des auteurs] ; qu’il suffit que le risque de préjudice soit plausible ; qu’il en va ainsi en l’espèce ; que le risque en cause menace à la fois le droit à la protection de la santé protégé par l’article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution et le droit à la protection d’un environnement sain protégé par le 3° du même alinéa ; qu’ayant trait à des droits fondamentaux, le préjudice dont le risque doit être considéré comme établi est grave ; qu’il est, par nature difficilement réparable. »

 

Le Conseil d’Etat de Belgique s’oppose donc à la construction de cette ligne. Mais on est en droit de se demander si cet arrêt est le seul, s’il a fait jurisprudence pour d’autres cas similaires ou, tout simplement, si d’autres arrêts traitent du même sujet.

En cherchant donc un peu (très peu), on découvre un arrêt daté du 25 avril 2002 (n° 106.094), soit 3 ans plus tard, portant également sur la construction d’une ligne THT mais qui se conclut ainsi :

 

« Considérant que l'exposé du risque de préjudice grave difficilement réparable doit reposer sur des éléments concrets et précis [gras des auteurs] propres au cas d'espèce et énoncés dans la demande de suspension elle-même ; qu'à cet égard, il ne suffit pas d'établir un catalogue d'arrêt [le conseil fait référence ici à l’arrêt Venter cité par la partie plaignante] et de citations puisées dans des ouvrages divers, qui ne sont d'ailleurs pas joints à la demande ; que la condition tenant à l'existence d'un risque de préjudice grave difficilement réparable est en règle distincte de la condition relative à l'invocation de moyens sérieux pouvant justifier l'annulation de l'acte ; qu'en l'occurrence, l'exposé du risque de préjudice grave difficilement réparable ne satisfait pas aux exigences de l'article 17 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat et de l'article 8, alinéa 2, 5o, de l'arrêté royal précité du 5 décembre 1991. »

 

Pour résumer, le Conseil d’Etat rend donc un arrêt rejetant la demande de suspension d’une ligne THT ! Mieux, il indique que le risque de préjudice grave (i.e influence sur la santé) « …doit reposer sur des éléments concrets et précis… » alors que l’arrêt Venter précisait le contraire en ce sens que le simple doute suffisait à appliquer le principe de précaution (« … pour que le Conseil d’Etat puisse suspendre un acte attaqué, le préjudice ne doit pas être certain ; qu’il suffit que le risque de préjudice soit plausible. »).

 

Sans entrer dans les détails de la justice belge, on est en droit de se demander pourquoi l’arrêt d’avril 2002, plus récent que l’arrêt Venter, prenant donc en compte un plus grand nombre d’études, effectuées avec un meilleur recul sur leur validité, est passé aux oubliettes des sources citées par le cahier d'acteur dont il est question ici.

Qu’elle soit délibérée ou involontaire, la sélection de l’information est ici flagrante. La méfiance vis-à-vis des propos tenus est donc de mise. Qu’en est-il de la suite ?

 

 

 

 

« Les champs électromagnétiques extrêmement basse fréquence peut-être cancérogènes pour l'homme »... ?

 

 

Dans le même document on peut lire :

« En 2001, le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer), sur la base de différentes études européennes, classait les extrêmement basses fréquences en catégorie 2b c'est-à-dire « peut-être cancérigènes chez l'Homme ».

 

On pouvait également lire dans un paragraphe précédent :

« En 1998 aux Etats-Unis, les experts du NIEHS (National Institute of Environnemental Health Sciences) statuaient : “ les champs électromagnétiques tels que ceux générés par les lignes électriques doivent être considérés [souligné des auteurs] comme un possible agent cancérogène[3] chez l’Homme. ” »

 

Revenons tout d’abord sur la première déclaration. Qu'est-ce que le CIRC ? Il s'agit d'une agence de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) spécialisée dans la recherche sur le cancer.

Dans son aide-mémoire n° 263 d’octobre 2001[4], on peut vérifier les affirmations ci-dessus et y lire :

« En juin 2001, un groupe de travail du CIRC [...] a classé les champs magnétiques ELF (Extrêmement Basse Fréquence) comme peut-être cancérogènes pour l'homme d'après les études épidémiologiques portant sur la leucémie chez l'enfant. »

 

Jusqu'ici donc, les propos cités sont exacts. Plus exactement, ils ne sont pas faux. En effet, toujours sur le site de l'OMS, on apprend, quelques lignes après, que :

« “Peut-être cancérogène pour l'homme” est une catégorie appliquée à un agent pour lequel il existe des indices limités de cancérogénéité chez l'homme [souligné des auteurs] et des indices insuffisants chez l'animal d'expérience. »

 

Mais le plus intéressant est écrit ensuite :

« Cette catégorie est la plus basse des trois utilisées par le CIRC [gras des auteurs] (« cancérogène pour l'homme », « probablement cancérogène pour l'homme » et « peut-être cancérogène pour l'homme »).

 

Donc, les champs ELF sont rangés dans la catégorie la plus basse de celles établies par l’OMS[5]. N’aurait-il pas été judicieux voire honnête de signaler cette précision ? Premier oubli.

De plus, on lit que le CIRC a classé plusieurs « agents » dans cette même catégorie dont un bien connu : le…café ! Deuxième oubli.

Une nouvelle fois, il aurait été utile (indispensable) de préciser toutes ces informations qui permettent d'avoir une approche globale de la position du CIRC. En effet, se contenter d’affirmer que les champs ELF ont été classés « peut-être cancérogènes pour l'homme » n'est qu'une partie de la vérité.

 

Revenons à présent sur le paragraphe précédent où il est dit que :

« …les experts du NIEHS statuaient “les champs électromagnétiques tels que ceux générés par les lignes électriques doivent être considérés comme un possible agent cancérogène chez l’Homme.” »

 

Tout d’abord, nous avons vérifié la source de cette citation[6] car, d’après ce qui est écrit, il semble que celle-ci provienne directement du NIEHS. En réalité, l’article dont elle est tirée (publié dans le British Medical Journal) a été écrit par un certain Terri Rutter, lui-même rapportant les propos du NIEHS. Ce détail a son importance. En effet, reprendre les propos d’un tiers implique le risque d’une déformation ou d’un tri de l’information d’origine. Ce qui est le cas ici. En effet, dans son article, Terri Rutter développe davantage les résultats du groupe de travail du NIEHS mais pas dans le sens que laisse supposer la seule phrase citée par le cahier d'acteur. C’est ainsi qu’il précise :

« Ce rapport ne suggère pas que le risque est élevé, […] il est probablement très petit comparé à d’autres risques de santé publique. […] Le groupe de travail n’a trouvé aucun lien entre champs électromagnétiques et maladie d’Alzheimer, dépression ou défauts de naissance et aucune augmentation du risque pour les avortements provoqués par les écrans d’ordinateurs. […] Tout risque de cancer provenant des lignes électriques est probablement faible. »

 

Nous avons ensuite vérifié si la phrase citée par Terri Rutter (et reprise par les auteurs du document) provenait bien du NIEHS. Après recherche, sur le site de cet institut américain[7], nous pouvons lire :

« Le groupe de travail a conclu que les champs ELF-EMF [Extremely Low Frequency Electric and Magnetic Fields] sont peut-être cancérogènes pour l’homme (Groupe 2B, appendice B) ».

 

En d’autres termes, le groupe de travail du NIEHS a tout simplement rangé les champs électriques et magnétiques (d’extrêmement basse fréquence) dans une catégorie préalablement établie par le CIRC (catégorie 2B), la plus basse de toutes.

L’argumentation ainsi affichée par le document se base donc en fait sur un tri des informations dans un domaine aussi sensible que celui de la santé publique où il est indispensable d’être le plus transparent et honnête possible.

 

 

 

« Leucémie chez l’enfant : un lien avec les champs électromagnétiques »... ?

 

 

Une question délicate (la leucémie est une maladie qui concerne beaucoup - trop - d’enfants chaque année), mais une question qui ne doit en aucun cas basculer dans la désinformation.

 

Toujours dans le même document (p. 2), plusieurs études sont citées pour évoquer le lien entre les champs électromagnétiques et la leucémie de l’enfant :

« Rappelons que si le rôle de ces champs n’a pas été démontré dans la récente étude THT/Leucémie de l’enfant (1), il était souligné par les études antérieures (2,3,4) et que rien ne peut exclure sa participation dans la genèse des pathologies. Ne faut-il pas ici faire preuve de bon sens ? »[8]

 

Le bon sens. C’est en effet une valeur bien rare et fort utile. Le bon sens nous permet à tous d’agir, de raisonner, de juger. C’est le bon sens donc qui doit nous faire également réagir face au rôle des champs électromagnétiques « souligné par les études antérieures ».

 

En ce qui nous concerne, notre bon sens nous a d’abord amenés à vérifier l’étude de Martha S. Linet et al., la plus récente : « Residential exposure to magnetic fields and acute lymphoblastic leukemia in children »

Dès le résumé de l’article, on apprend que cette étude a pour but d’examiner comment la vie dans des habitations caractérisées par des valeurs moyennes élevées (pondérées dans le temps) de champs magnétiques ou par des valeurs élevées de « wire-code[9] » pouvait affecter le risque de leucémie chez l’enfant. Pour être exact, il est signalé toujours dans le résumé que : « Les études précédentes avaient trouvé un lien entre la leucémie de l’enfant et l’exposition aux champs magnétiques d’après les valeurs des « wire-code » mais pas [souligné des auteurs] avec les mesures domestiques réelles de champs magnétiques. »

Cette précision est importante car elle permet de mieux comprendre l’attitude de Linet et al. qui ont essayé de réduire au maximum les biais possibles, présents, d’après eux, dans les études précédentes.

Mais la surprise est totale quand on lit les résultats et la conclusion : 

« Le risque d’être atteint de leucémie n’est pas lié à la moyenne (pondérée dans le temps) des niveaux de champs magnétiques relevés. Le risque relatif de développer une leucémie, pour une exposition supérieure à 0,2 µT ou plus est de 1,24 (+24% comparé aux expositions inférieures à 0,065 µT, groupe référence). Ce même risque n’augmente pas parmi les enfants dont la résidence principale est exposée aux « wire-code » les plus élevés (R = 0,88) [soit 12% de risque en moins d’être atteint !]. Le risque n’est pas non plus significativement associé avec les niveaux de champs magnétiques mesurés ou avec la valeur des « wire-code » dans les habitations occupées par les femmes enceintes des sujets testés.

Conclusion : Nos résultats ne fournissent qu’une faible preuve de l’augmentation des leucémies chez l’enfant vivant dans des habitations définies par de grandes valeurs moyennes (pondérées dans le temps) de champs magnétiques mesurés ou de valeurs maximales de “ wire-code ”. »

 

Notre bon sens nous pousse à faire deux remarques :

- Premièrement, comment peut-on citer cette étude pour défendre le point de vue d’un lien entre le champ magnétique et la leucémie chez l’enfant alors qu’elle conclut plus que prudemment sur celui-ci, voire conclut le contraire !

- Deuxièmement, si on admet que ce texte d'origine a été lu, on peut alors en déduire que : soit les personnes ayant traduit ce texte pour le cahier d'acteur ont mal fait leur travail, soit que le tri dans les informations est plus que sélectif, bref que l’on est une nouvelle fois en présence d’un oubli fâcheux dans l’argumentation.

 

Que le lecteur ne se méprenne pas sur nos intentions. Nous n’avons pas à cœur de prouver l’innocuité des champs magnétiques, nous en sommes d’ailleurs incapables. Mais il nous semble plus que regrettable d’argumenter en utilisant la désinformation qui ne peut en aucun cas servir la cause défendue.

 

Ainsi, les auteurs de l'étude en question notent un risque accru de 24% pour les enfants exposés à des champs supérieurs à 0,2 µT, ce qui semble beaucoup. Cependant, tout au long de l’analyse des résultats, les auteurs précisent que cette augmentation du risque se base sur un très faible effectif de sujets atteints et de témoins.

Or, un calcul statistique (Chi2) que nous avons effectué sur l’écart entre les sujets atteints et les témoins appariés (effectif total de 463 chacun) ne permet absolument pas de conclure sur une différence significative.

En effet, sous l’hypothèse H0 d’une différence nulle entre les deux populations Leucémie/Témoin, la comparaison entre les effectifs expérimentaux et les effectifs théoriques (l’effectif théorique total est identique à l’effectif témoin total et, vu la faiblesse de leur effectif, nous avons regroupé les deux classes exposées au champ magnétique le plus intense) donne un Chi2 de 11,060.

Et ce Chi2 est inférieur à celui du seuil 1 pour cent (i.e. Chi20,01 = 15,086) et même inférieur à celui du seuil de 5 pour cent (Chi20,05 = 11,070).

 

 

Il est également intéressant de noter que, en page 1 du cahier d'acteur, cette étude était déjà citée parmi d’autres :

« De plus ces résultats viennent s’ajouter à ceux de nombreux autres travaux antérieurs (2, 3, 4) qui mettaient en évidence des risques de leucémies, de lymphomes et de tumeurs cérébrales, chez l’enfant et l’adulte, en rapport avec l’exposition aux champs électromagnétiques de la THT aérienne, ces études étant toutes statistiquement représentatives ».

 

Cela ne peut que nous intriguer quand, dans l’étude de Linet et al., on lit explicitement que l’effectif est beaucoup trop faible pour en tirer des conclusions significatives ! Et notre test du Chi2 montre que les différences ne sont pas significatives.

 

Toujours en page 1, une autre étude (évoquée plus haut) est citée, avec, en gras, quelques chiffres alarmants :

« Tout récemment, en juin 2005, une étude conduite au Royaume-Uni sur près de 30 000 enfants atteints de cancers dont 9 700 porteurs de leucémies (enfants malades comparés à un groupe témoin sain) a permis de déterminer une augmentation du risque théorique de leucémies de 69 % lorsque le domicile de naissance des enfants est situé à moins de 200 mètres d’une ligne aérienne THT ; et encore de 23 % entre 200 et 600 mètres. Il faut donc parcourir 600 mètres de part et d’autre de la ligne pour attendre que le risque ne soit plus majoré. Il n’a pas été démontré dans cette étude que le champ magnétique soit responsable de l’augmentation du risque, mais rien ne permet non plus de l’exclure. »

 

Tout d’abord, on remarque que le document utilise cette étude avec des chiffres de risques impressionnants alors que, quelques lignes plus bas, il est précisé qu’« il n’a pas été démontré dans cette étude que le champ magnétique soit responsable de l’augmentation du risque, mais rien ne permet non plus de l’exclure  [souligné des auteurs]». C’est remarquable mais c’est surtout…vrai ! Explications :

- Premièrement, il est tout à fait exact de dire que l’étude anglo-saxonne n’a absolument pas mis en évidence un lien entre les cas de leucémie chez l’enfant et la proximité d’une ligne THT.

- Deuxièmement, affirmer qu’on ne peut exclure la possibilité de ce lien est tout aussi exact ! Mais il aurait été également vrai de dire que cette étude n’a pas non plus exclu le lien entre les leucémies chez l’enfant et la consommation de tomates fraîches, ou avec le nombre d’heures passées devant la télévision !

Vous ne pouvez pas prouver que les extraterrestres n’existent pas, vous ne pouvez pas non plus prouver que Zeus n’envoie pas des éclairs pour punir les simples mortels, et vous ne prouverez pas que Dieu n’existe pas ! La phrase évidente (euphémisme pourrait-on dire) citée plus haut a donc pour seul but de semer le doute dans l’esprit du lecteur par une manœuvre intellectuellement malhonnête.

 

D’autre part, on peut noter la précision avec laquelle l’étude est détaillée :

« … en juin 2005, une étude conduite au Royaume-Uni sur près de 30 000 enfants atteints de cancers dont 9 700 porteurs de leucémies [gras des auteurs] (enfants malades comparés à un groupe témoin sain.)… »

 

Détail qui a son importance : ces chiffres sont signalés uniquement pour rendre l’étude plus crédible mais ne sont une nouvelle fois qu’une partie de la vérité car en « creusant » ce détail, on peut s’apercevoir que 96,7% des enfants du groupe atteint de leucémie vivent à des distances supérieures ou égales à 600 m d'une ligne, l'étude porte donc en fait réellement sur les seuls 3,3% restants, c'est-à-dire en fait sur 322 cas de leucémie. Un effectif aussi faible ne peut évidemment en aucun cas permettre de conclure sur un sujet aussi important car le bruit de fond des données ne permet de tirer aucune information fortement validée.[10]

Enfin, les valeurs des risques données (69% entre 0 et 200 m et 23% entre 200 et 600 m) sont encore une fois placées et surlignées dans le seul but de choquer plus que dans celui d’informer : les chiffres cités ont beau être exacts, ils n’en sont pas moins dénués de sens, l’étude n’étant pas statistiquement significative.[11]

 

 

« Le désir de convaincre, écrit François Canac, nous fait éliminer certains arguments pour n’en retenir que d’autres : on désire tellement que cela marche que l’on ne compte que les faits favorables. »[12]

En conclusion, l’argumentation sélective répétée nous conduit à croire en la possibilité d’un choix réfléchi et conscient d’oublier certaines informations. On pourrait alors très bien imaginer un autre cahier d'acteur, favorable à la construction des lignes THT, qui, en utilisant les mêmes sources, dirait :

 

« Le Conseil d’État de Belgique a autorisé la construction d’une ligne THT à proximité d’habitations. »

 

« Il n’y a pas plus de danger à vivre près d’une ligne THT que de boire son café tous les jours. »

 

« Une étude récente n’a pas prouvé qu’il existait un lien entre l’exposition à des champs magnétiques élevés et la leucémie chez l’enfant et a par contre prouvé que les lignes THT avaient un pouvoir inhibiteur des tumeurs du cerveau chez l’enfant. »

 

Nous ne pouvons cautionner, bien sûr, l’une ou l’autre de ces argumentations car elles ne reflètent qu’une partie de la vérité. Il est regrettable qu’à l’heure actuelle on puisse user de ce genre de méthodes pour faire « pencher la balance » et tout cela s'apparente à de la désinformation.

L’envie de (se ?) persuader est parfois telle qu’on en vient à sélectionner les preuves qui vont dans le sens souhaité.

« Ce que nous voyons, ce que nous percevons et sur quoi nous pourrions “ témoigner ”, est en partie déterminé par ce à quoi l’on pense à l’instant précis de l’observation, par nos désirs profonds, par nos motifs modulés par nos expériences passées qui ne font souvent qu’être renforcés, inconsciemment ou non, par l’ “ exposition sélective ”. Cette “ exposition sélective ” est un principe psychologique bien documenté qui nous montre que nous choisissons nos revues, nos quotidiens, nos stations de radio, nos magazines télévision et même nos autorités de manière que nos vues soient largement confirmées (5). Et si d’aventure, malgré cette coquille protectrice, nous subissons une information “ contraire ”, il nous reste toujours le recours à ce que l’on appelle la “ validation subjective ” qui permet, lorsque cela est nécessaire, de mal recevoir ou mal interpréter la donnée opposée à nos désirs. La “ validation subjective ” permet par exemple de percevoir comme reliés deux événements qui ne le sont pas et cela simplement parce qu’une envie, une hypothèse ou une croyance demande ou nécessite une relation. Ce qui débouche très facilement sur le “ comportement superstitieux ” (cas spécial de la pensée magique), comportement basé sur la certitude qu’a une personne que ses actions propres déterminent le cours des événements alors que dans la réalité il n’en est rien. »[13]

 

Pour conclure, nous citerons un vieux proverbe :

 

« Quand tu attends avec impatience la venue d'un ami, ne prends pas les battements de ton coeur pour les bruits des sabots de son cheval. »

 

DC, JB, DB, HB.

Laboratoire de Zététique


N.B. : Voir en ligne deux autres articles sur ce thème :

- "Lignes électriques à heute tension et cancer chez l'enfant" par Henri BROCH, Jérôme BELLAYER, Denis BIETTE, Denis CAROTI.

- "A propos des méta-analyses leucémies infantiles et champs magnétiques" (PDF) par Jérôme BELLAYER, Denis BIETTE, Denis CAROTI et Henri BROCH





[1] Pour plus d’informations : http://sites.unice.fr/site/broch/defi.html

 

[2] Cahier de l’association « Respecter le Bocage, Calvados », cf. http://www.debatpublic-thtcotentin-maine.org/documents/cahiers_acteurs.html

 

[3] Les termes cancérogène et cancérigène sont considérés comme synonymes.

 

[4] Pour en savoir plus : http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs263/fr/

 

[5] Les deux études sur lesquelles le CIRC s’appuie pour classer les champs magnétiques ELF comme « peut-être cancérogène pour l’homme » sont d’ailleurs plus que discutables. Cf. l'article (PDF) "A propos des méta-analyses Leucémies infantiles et champs magnétiques"

 

[6] « Rutter T. Electronic fields may be carcinogenic. BMJ 1998 ; 317 : 12 » [une erreur s’est glissée dans cette référence car il fallait écrire Electromagnetic fields (champs électromagnétiques) à la place de Electronic fields (champs électroniques !)].

 

[7] http://www.niehs.nih.gov/emfrapid/html/WGReport/Chapter5.html

 

[8] L’étude THT/Leucémie de l’enfant réalisée par Draper et al. et publiée en juin 2005 n’a effectivement PAS démontré de lien entre la proximité de lignes THT et l’apparition de leucémies chez l’enfant. On pourra consulter : « Lignes électriques à haute tension et leucémie chez l’enfant.»

 

[9] Les « wire-code » représentent une classification de différentes lignes ou fils électriques en fonction du type de fils, du câblage et du gainage (donc du courant qui peut y circuler et donc du champ magnétique qui serait potentiellement émis) et de la distance à laquelle se trouvent ces lignes par rapport à l’habitation.

 

[10] Cf. « Lignes électriques à haute tension et leucémie chez l’enfant.» à l'adresse : http://sites.unice.fr/site/broch/articles/HBJBDBDC_Draper.html

 

[11] Cf. note précédente.

 

[12] Michel Rouzé, La radiesthésie, p.186, Editions Hachette, 1978.

 

[13] Henri Broch, Le paranormal, p.188-189, Editions du Seuil, 2001.
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