© Denis Caroti, Laboratoire de Zététique juin 2005
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Lévitation en groupe…

Denis CAROTI
Laboratoire de Zététique, Université de Nice-Sophia Antipolis 

  1. Le phénomène

 

Il existe bien des façons de soulever quelqu’un, mais en voici une peu ordinaire…

Il faut tout d’abord imaginer une réunion entre jeunes cadres dynamiques. Imaginons aussi une personne spécialiste du « coaching », au fort charisme,  qui anime tout ce petit monde dans une ambiance plutôt détendue. Tous les participants sont là pour effectuer un stage contre le stress, afin de retrouver une confiance souvent absente et apprendre à mieux travailler en équipe… (soyons productifs !)
Bref, le « conseillé » (ou bien encore, guide) propose de « réaliser un travail en groupe qui va permettre de canaliser l’énergie de chacun et ainsi de décupler la force physique grâce à la « force psychique » présente en chacun…

On demande l’aide de cinq volontaires et d’une chaise. Une personne s’assoit dessus, genoux serrés, mains sur les cuisses. Les quatre autres se placent deux à deux de part et d’autre, une à chaque épaule de la personne assise et une autre à chaque genou de cette même personne. Notre « guide » demande alors aux quatre courageux de soulever le « cobaye » mais uniquement en plaçant leurs index joints et tendus (mains serrées, doigts entrecroisés sauf les index) sous les aisselles et les genoux. Un peu surpris et pensant l’entreprise vouée à l’échec (Qui peut imaginer pouvoir soulever quelqu’un à bouts d’index ?!), nos « porteurs » tentent alors d’exécuter la manœuvre (fig.1).

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fig.1[3]

Quelques secondes plus tard, les fesses n’ont pas décollé d’un centimètre : tout le monde rit de bon cœur en voyant les efforts désespérés des collègues.
Mais c’est au tour du « guide » d’intervenir : il doit canaliser la force psychique qui sommeille en chacun…
Dans un premier temps, il va donc demander aux « porteurs » de placer leurs mains sur la tête du « porté » pour « entrer en connexion » les uns avec les autres…Tout en appuyant sur le crâne, précise-t-il…
Après quelques instants, il leur demande, à la suite d’un compte à rebours, de tenter à nouveau l’expérience : « 9….8….7….6….5….4….3….2….Mettez-vous en position….1….LEVEZ !!!! »

Et à la surprise générale, la personne se trouve projetée en l’air (fig.2) avec une facilité déconcertante et qui ne laisse aucun doute sur la cause du phénomène : la mise en commun de chaque énergie psychique !

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fig.2[3]
 

        Les commentaires ne se font pas attendre :
« C’est incroyable ! Au début, impossible de le soulever, ensuite, il ne pesait plus rien !! »
« C’est vrai, j’ai bien senti que notre force était décuplée ! »
« C’est parce que nous avons mis nos énergies en commun ! »

 


  1. Quelques explications

         

        Pour tenter de donner une autre explication à cet événement, il va falloir aborder plusieurs domaines

        Dans un premier temps, nous allons répondre à la première question qu’on est en droit de se poser après une telle démonstration : Quatre personnes peuvent-elles en soulever une cinquième uniquement à l’aide de leurs index serrés l’un contre l’autre, sans faire appel à d’autres « forces » que la simple force musculaire ?
        Pour cela, il suffit de réaliser une expérience très simple afin de déterminer quelle masse un être humain de corpulence moyenne pouvait soulever de cette manière. Il nous a fallu pour cela utiliser un sac à lanières assez larges (pour le soulever sans se faire mal aux doigts…) rempli de bouteilles d’eau, de livres, bref, de toutes choses pesantes ainsi qu’un dynamomètre (gradué en kgf) très pratique pour peser ce genre d’objets.
Après avoir noté la masse du sac, celui-ci est soulevé par différentes personnes en utilisant la technique citée :

10 kg : aucun problème.

20 kg : aucun problème.

30 kg : aucun problème, si toutefois on fait attention à son dos !
(A chaque essai, le sac est considéré comme « soulevé » lorsqu’il s’élève d’au moins 50 cm)

Conclusion :

Quatre personnes sont capables de soulever ensemble plus de 100 kg (pour être précis : 4 x 30 = 120 kg) en utilisant leurs index serrés l’un contre l’autre.

En supposant que la personne à porter ne dépasse pas le quintal, on peut en déduire qu’aucune « force » autre que la force musculaire n’est nécessaire pour effectuer cette levée (ce qui ne veut bien entendu pas dire qu’une autre force mystérieuse n’entre pas en action…).

 Ce problème étant maintenant résolu, reste à comprendre pourquoi, au premier essai, les  « porteurs » n’avaient pu soulever le « cobaye ».

 A cela, plusieurs explications :



  1. La synchronisation

         Dans la première phase, le « guide » laisse les porteurs se débrouiller seuls et on peut raisonnablement imaginer que, dans un moment pareil (au milieu de plusieurs autres collègues de travail), la concentration ne soit pas forcément de la partie…
Il est donc évident que le décompte effectué au deuxième essai est une aide plus qu’appréciable. En effet, synchroniser les efforts est indispensable pour lutter au début contre l’inertie du corps et maintenir l’équilibre du porté dans les premiers instants.

 

  1. Somme des forces : comment soulever de plus en plus facilement

 Pour bien comprendre cet effet, il suffit de faire un simple bilan des forces appliquées sur la partie du corps soutenu (genoux ou aisselles).

Considérons les deux « porteurs » positionnés au niveau des genoux. Ils se placent généralement en position « semi-fléchie », bras à moitié pliés, ce qui donne une inclinaison des index (fig. 1.a).
La force F = Fverticale + Fhorizontale    (F = "vecteur F") exercée par les doigts sur les genoux fait donc un certain angle avec la verticale. Or, c’est justement la composante verticale de cette force (Fv) qui intervient pour soulever. Celle-ci n’est donc pas maximale au début de l’action (fig.1.a).
Par la suite, cet angle diminue puisque le « porteur » se redresse petit à petit (fig.1.b et 1.c). Ceci implique que Fv augmente sans que F ne change : les porteurs forcent toujours autant mais il est de plus en plus facile de lever la charge.

On peut même envisager que Fv reste constante (même effet) avec F qui diminue (la force réelle exercée diminue) ce qui expliquerait l’impression de « forcer de moins en moins »…qui ne serait donc pas qu’une impression en fin de compte !).

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                                                     1.a                                                             1.b                                                    1.c

Bilan des forces exercées au point de contact par les doigts sur le corps.
(L’angle au départ est volontairement exagéré pour montrer plus clairement l’évolution de celui-ci.)

 

  1. Les muscles antagonistes

 
            On nomme muscles antagonistes ceux qui agissent en sens contraire les uns des autres ; ainsi dans les membres, les muscles fléchisseurs sont antagonistes des extenseurs, et vice versa ; tous les muscles ont leurs antagonistes, par exemple biceps et triceps (fig. 2.a).

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 2.a[1]

 

        Quand un mouvement se produit, il y a mise en jeu de deux muscles antagonistes afin que l’articulation soit mobilisée.Mais lors d’un mouvement de flexion par exemple, son antagoniste (l’extenseur) « s’oppose » à ce mouvement : quel que soit le mouvement accompli, les muscles à l’origine de celui-ci doivent « triompher » de ceux qui causeraient le mouvement contraire [2].

           Ces notions de physiologie ont pour but de comprendre pourquoi le « guide » demande aux volontaires de poser leurs mains sur la tête du « cobaye » tout en suggérant d’appuyer dessus : le mouvement induit (appuyer) entraîne la mobilisation des muscles extenseurs (triceps) et donc leur fatigue. Ainsi, les antagonistes (biceps) auront moins de résistance à surmonter lors de l’effort suivant (lever), ce qui aura pour conséquence d’augmenter leur effet [3].

Les porteurs auront donc plus de facilité pour accomplir leur action.

 

  1. La méconnaissance de notre corps

 
        Aujourd’hui encore, les capacités méconnues de notre corps demeurent le sujet de nombreux reportages sur des hommes ou femmes capables de prouesses physiques extraordinaires, dépassant celles de la quasi-totalité des êtres humains : supporter un froid glacial pendant de longues minutes, se transpercer la peau sans en ressentir les effets, marcher sur des braises incandescentes, plonger sa main dans du plomb fondu, etc.
Ainsi, soulever un homme, même à plusieurs, à bout de doigts tendus, est considéré comme impossible.
         Et pourtant, nous venons de montrer que cette action n’avait rien d’exceptionnel. Nos porteurs ne sont pas épargnés par cette attitude « pessimiste » : aucun ne pense  la réussite de l’acte concevable avant l’intervention du « guide ». Celui-ci a donc un rôle important à jouer : faire disparaître les réticences de chacun  « …je sais que vous pouvez le faire, vous en êtes capable, je vais vous aider, faites-moi confiance, j’ai déjà réussi plusieurs fois… »

          En ce sens, le pouvoir de suggestion peut être grand (« Ce n’est pas la volonté qui nous fait agir, mais l’imagination. »  E. Coué).

 

 

 POUR CONCLURE

 

Bien entendu, la liste de ces explications n’est pas exhaustive car il est très difficile de répertorier tous les effets qui entrent en jeu dans cette opération : on pourrait par exemple étudier le mouvement des bras qui, après avoir effectué une translation verticale, opèrent une rotation (autour de l’épaule) ; il intervient alors le moment d’une force, elle-même à déterminer, puis à comparer avec la force utile pendant la translation.

 Notre corps est souvent méconnu et ses capacités fréquemment sous-estimées. Certaines personnes mal intentionnées peuvent alors exploiter cette ignorance et faire passer des aptitudes humaines « normales » pour des manifestations d’un pouvoir « paranormal ». Cet exemple de « lévitation impossible » en est une nouvelle démonstration.

Pour en terminer, Jean Rostand résumait parfaitement la situation :   « L’homme peut se flatter d’être ce qui se fait de mieux dans l’atelier de l’inconnu. »

Denis CAROTI
Laboratoire de Zététique

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[1]  http://margdelaj.csdm.qc.ca/matieres/sciences/biologie/biolo26.html

[2]  http://www.biodeug.com/cours/neuro4.php

[3]  John Fisher, La magie du corps (p.161, 162),  Editions du Spectacle, 1990.