© J. Theodor, Laboratoire de Zététique, janvier 2007
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Nouveaux éléments de la controverse Cook-Peary
concernant la conquête du pôle Nord en 1908-1909



Jacques L. THEODOR


(Novembre 2006)
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Depuis les publications de mon article (sur le site antarctica.org et sur le présent site du laboratoire de Zététique) le fatras, souvent très partisan, d’informations, d’affirmations, de démentis dont il est parfois malaisé de dégager la vérité historique, s’est quelque peu décanté dans mon esprit. De plus un raid destiné à appuyer la candidature de Peary a eu lieu au printemps 2005.

La nouvelle nous est en effet parvenue que, le 26 avril 2005, le Britannique Tom Avery et ses quatre compagnons avaient, depuis le cap Columbia, atteint le pôle Nord en 36 jours, une performance. Leur deuxième objectif était de démontrer que l’affirmation par Peary, d’avoir atteint le pôle en 37 jours, devenait dès lors plausible. Tout en louant leur exploit sportif, c’est bien évidemment la tentative de démontrer la vraisemblance du récit de Peary qui nous intéresse et qui retient toute notre attention. 

Examinons les éléments « logistiques » de chacune des deux expéditions, repris sous forme d’un tableau. Certains éléments de la colonne « Avery » ont été obtenus du site de leur sponsor (barcapultimatenorth.com/expedition /equipment.php)

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PEARY

ELEMENTS

AVERY

6 personnes

EQUIPE

5 personnes

40

CHIENS

16

Inuit

TRAINEAUX : type

Inuit

53 Peary et 43 Henson

AGE

28-29-29-32 (McNair ?)

fourrures longues et lourdes

VÊTEMENTS

Parkas Goretex ou similaires, légers

A l’estime ; + 2 mesures :

86°38’ par Marvin et 87°47’ par Bartlett

NAVIGATION

G.P.S.  Garmin +

300 piles AA

A l’estime le jour

+ GPS le soir

emportée

NOURRITURE

quatre ravitaillements

aller et retour

1530 km + détours

DISTANCE

aller 413 nautiques ou

765 km + détours

retour par avion

retour : moyenne de 57 Km/jour faisant suite à 81 Km/ jour durant 8 jours

VITESSE

22,74 Km/jour compte tenu d’une route théorique  + 10 %

igloo : une heure à édifier

tempér. intér.: environ 0° C

LOGEMENT

tentes : montage 5 min.--temp. environ 10° C de + (sans chauffage) qu’à l’extérieur

Commentaires :

1° parmi les éléments les plus importants, j’ai retenu les âges, avec une moyenne pour les 4 hommes du groupe Avery de 29 ans (l’age de la participante n’est pas mentionné), alors qu’en 1909, Peary avait 53 ans à une époque où l’espérance de vie aux U.S.A. était de 47 ans ; celle-ci était de 76 ans en 2000. De surcroît Peary n’avait plus que les deux petits orteils.

2° Les vêtements, par leur poids, leur encombrement, leur confort (les tissus de type Goretex sont perméables à la transpiration, mais sont étanches dans l’autre sens) étaient également très différents, alors que dans ce genre d’expédition, même le plus infime détail compte. De plus il semble que les fourrures, du fait de leur préparation moins affinée au début du siècle passé, étaient encore plus lourdes que maintenant.

3° La nature du logement avait une incidence sur le temps pris aux travaux d’étape. Deux personnes montent une tente en cinq à huit  minutes alors qu’il faut environ une heure à deux Inuits pour édifier un igloo, beaucoup plus confortable, il est vrai, qu’une tente.

Température sous tente : gain d’environ 10 ° C vis-à-vis de l’extérieur. Dans l’igloo : la température est aux environs de 0° C, donc un gain important. Ce n’est pas par hasard que Cook, disposant de l’aide de deux Inuits, a finalement préféré l’igloo à l’utilisation de la tente spéciale, mais froide, qu’il avait pourtant mise au point.

Le poids des provisions et combustibles, emportés pour une autonomie d’une semaine ou deux par l’équipe britannique (ravitaillée quatre fois) devait correspondre à 10 à 15 % du poids requis pour douze semaines d’autonomie en 1909.

4° Avery cite la boussole, la direction du vent, l’orientation des sastrugis comme aides au maintien du bon cap. L’équipe Avery a pu consulter son GPS tous les soirs et a dès lors pu corriger d’éventuelles erreurs d’estime qui ne se sont donc pas accumulées.

5° Le point principal de la présente controverse est le retour de Peary à des vitesses parfois triples de celles de l’équipe Avery. En voici le détail : le groupe Avery  a parcouru 413 nautiques en 36 jours soit 765 Km auxquels je n’ajoute que 10 % (c’est très peu, mais le point G.P.S. quotidien les maintenait sur la meilleure route), soit la vitesse déjà plus qu’honorable de 22,74 Km par jour.  Rappelons que Peary ne faisait que 10 Km/jour avant l’épisode du grand chenal de 1906 et admettait ajouter 25 % à sa route théorique. D’autres explorateurs connus ont atteint entre 9,2 et 21 Km/jour. 

Le retour de Peary se serait fait à la vitesse moyenne époustouflante de 57 Km/jour.  Peary ne peut pas avoir atteint le pôle Nord. 

6° Tout (âge, poids emporté, G.P.S., 4 ravitaillements, aller simple, etc.) a concouru à ce que l’équipe Avery atteigne le pôle Nord en un temps record. Ce qui ne diminue en rien son mérite. Mais en tirer argument, comme le fait le team Avery, pour soutenir la chronologie de Peary et « faire taire quiconque en doutait et clore le débat une fois pour toutes » (sic ; «will silence anyone who doubted this and put the controversy to rest once and for all ») n’a rien d’objectif et l’on peut raisonnablement dire que la comparaison entre les conditions très différentes dans lesquelles se sont déroulés les deux raids, ne fait que conforter le malaise quant aux prétentions de Peary.  Insistons encore sur le fait essentiel que le retour du team Avery s’est effectué en avion. On ne coure pas un demi marathon à la même vitesse qu’un marathon complet.

Avery, vu les particularités de son raid a donc, a contrario, offert la meilleure des démonstrations que Peary n’a pas pu atteindre le pôle Nord et en revenir.

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Eléments complémentaires

J’ai reçu grâce à l’amabilité du Dr Claude De Broyer quelques éléments d’information de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique, organisme détenteur des archives de la « Belgica » et notamment un ouvrage (The Belgica Expedition Centennial) dont un chapitre, rédigé par Bryce, qui descend Cook en flammes

Bryce y écrit parmi d’autres que le récit de Cook sur l’Arctique, inspiré de ce qu’il a vu en Antarctique, à bord de la Belgica, est si convaincant que des gens qui n’ont jamais vu un morceau de glace polaire (« who have never seen a piece of polar ice ») gardent leur foi en lui. Ce commentaire est assez piquant de la part d’un  « junior college librarian » (assistant bibliothécaire de faculté) qui, pour remarquable qu’ait été sa compilation, n’a, au mieux de ma connaissance, jamais été au pôle Nord et n’a jamais, ni de près ni de loin, vu la banquise arctique.

La remarque de Sir Wally Herbert concernant les « explorateurs en fauteuils » n’en est que plus pertinente.

C. De Broyer a bien voulu me laisser faire une copie de la lettre –reproduite ci-dessous-  de candidature d’Amundsen à de Gerlache, commandant l’expédition de la Belgica.

Parti du Cap Svartevoeg situé sur l’île de Axel Heiberg, Cook avait sur Peary l’énorme avantage de voir l’aiguille de sa boussole pointer vers le sud géographique où, à cette époque se trouvait le pôle Nord Magnétique  (PNM). De plus Cook, devait connaître les observations d’Amundsen qui en 1904 avait relevé la position du PNM, légèrement au nord de celle relevée sur la côte ouest de la presqu’île de Boothia en 1831 par James Clark Ross (neveu de John Ross).

On sait maintenant que le PNM se déplace d’environ 10 Km par an ; également que ce pôle est « baladeur ». Ainsi sur une journée il peut se déplacer au sein d’une ellipse de  80 Km de longueur.

Incidemment, il convient de bien distinguer les quatre pôles :

* le pôle Nord géographique (90°N, le point de rencontre des méridiens),

* le pôle Nord Magnétique (point supputé pour 2005, 82°70’N et 114°40’W selon le Woods Hole Marine Magnetism Group),

* le pôle Nord Géomagnétique (78°30’N et 69°W un peu au nord de Siorapaluk , qui avec ses quelques dizaines d’habitants est l’endroit habité le plus au nord de la planète, mais d’où j’ai néanmoins pu envoyer une carte postale) et enfin

* le pôle Nord d’inaccessibilité (84°03’N et 174°51’W) qui est le point de l’océan Arctique le plus éloigné de toute côte et donc le plus ardu à avoir été atteint, notamment par Wally Herbert.

J’ai été extrêmement choqué de constater le bas niveau et le caractère très partisan des critiques, de même que les diffamations tous azimuts. Cook est accusé d’avoir par son livre de 1911, créé un tournant dans la littérature anti Peary et anti Henson, alors que l’initiateur de cette situation est bien entendu Peary lui-même avec ses deux phrases assassines du 8 septembre 1909. C’eut été une interversion de la cause et de l’effet.

Par exemple, la validité de la preuve par l’ombre projetée apportée par Peary n’est pas contestée par ses partisans, alors que la même preuve apportée par Cook est rejetée. Toute la controverse est truffée de l’utilisation du double standard.

Quelque cent ans après, le ton n’a pas changé. Les partisans de Peary ne désarment pas. Bryce est taxé de racisme vis-à-vis d’Henson, afro-américain.  Sir Wally Herbert dont la biographie ne laisse aucun doute quant à ses capacités, est tourné en dérision en le comparant  (« little Wally » , 1,57 m) à Henson, « un vrai homme » (sic) de 1,83 m.  Un peu comme si Marc Batard (1,60 m. et 55 Kg) qui, fait remerquable, a atteint le sommet de l’Everest en 1988 et en 1990 sans oxygène et un temps record méritait moins de considération.

Incidemment Marc Batard était avec nous au pôle Nord en 1997 pour tester sa pulka-tente-embarcation en forme d’obus. Laquelle a été bien utile lorsque notre camarade russe Sergueï Pankevitch a percé la glace en formation  et est tombé à l’eau avec son traîneau à chiens.

Mais heureusement la réputation de mystificateur, dont Peary a réussi à habiller Cook, a subi une sérieuse correction depuis une douzaine d’années. Peary avait accusé Cook d’escroquerie pour avoir prétendu avoir atteint le sommet du Mont Mac Kinley en 1906.  Un témoignage négatif, acheté, avait été produit par Peary (voir mon premier article). Le doute avait dès lors été instillé dans les esprits quant à la véracité des récits postérieurs de Cook et notamment celui concernant sa conquête du Pôle Nord en 1908.

Ted Heckathorn qui a dirigé l’expédition de 1994 au Mont Mac Kinley a suivi la voie empruntée par Cook et a confirmé les particularités de l’itinéraire vers le sommet ainsi que Cook les avait décrits.

Matvey Shapiro a dirigé l’expédition russe de 2002 également au Mont Mac Kinley.  Celle-ci comportait onze grimpeurs dont deux, qui dans la vie courante, se déplacaient en fauteuil roulant. Pour Cook, en parfaite forme, cette ascension, sans n’être qu’une formalité, ne devait pas présenter de difficulté insurmontable.La voie (Traleika Col Route), que Cook avait suivie un siècle auparavant, leur a permis d’identifier l’endroit où Cook avait édifié un igloo et celui où il avait creusé un abri dans la neige.

In fine, tous deux, Cook et Peary, avaient la capacité intellectuelle, la volonté et le courage d’accomplir l’aller et retour du pôle Nord. Cook avait d’importants atouts en plus : son âge de même que la légèreté et la mise au point personnelle et fine de son équipement. Tous deux, de même que Shackleton, Scott (malgré l’échec de ces deux derniers), Nansen et Amundsen ont été des géants de l’exploration polaire de l’époque.

A ce propos, Roald Amundsen, découvreur du pôle Sud et qui avait participé avec Cook au premier hivernage antarctique et au sauvetage de la « Belgica », avait une indéfectible amitié pour Cook dont il a dit : « Il est l’homme le plus remarquable que j’aie jamais rencontré.  Je ne ferais confiance à personne comme je lui fais confiance ».

Je regrette personnellement d’avoir malgré tout été influencé négativement par les effets de l’énorme machinerie de désinformation mise en place tant par Peary lui-même que par ses supporters et une bonne partie de l’establishment dont il était partie intégrante. Mais comme le dit le dicton populaire : « Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose ».

Si Peary n’avait pas démarré les hostilités par une diffamation caractérisée, le récit de Cook, explorateur compétent et courageux, et à la sympathique personnalité, aurait été accepté sans hésitation, car il ne comportait rien d’invraisemblable.

A-t-il atteint le Pôle ? Dans ce domaine du probable, il est difficile de trancher entre le presque  certain et l’absolument certain, par manque de preuves matérielles indiscutables. La personnalité de Cook et sa compétence me font pencher vers la certitude. Si le commandant Peary n’avait pas entamé sa méprisable campagne de dénigrement, personne n’aurait mis en doute le récit du Dr Frederick A. Cook.  Par contre, le récit de Peary n’est absolument pas crédible. 

Wally Herbert aurait donc bien été le premier à avoir de façon certaine  atteint le pôle Nord en traîneau à chiens au cours des 16 mois de son raid Alaska-Spitzberg. L’exploit physique du raid de Cook de même que son hivernage au Cap Sparbo me suggèrent de les classer ex-aequo.

 Car, comme l’aurait dit Pierre de Coubertin initiateur des Jeux Olympiques modernes « L’important, c’est de participer »

J.-L. T.

 © J. Theodor, Laboratoire de Zététique, janvier 2007
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