© H. Broch, book-e-book.com 2002, Laboratoire de Zététique, 2004


Le texte ci-dessous est l'introduction du chapitre "Au Coeur du Corps" consacré aux médecines magiques
dans le livre de Henri BROCH "Au Coeur de l'Extra-Ordinaire"
(1ère édition 1991 ; édition actuelle Book-e-book.com 2002)


Introduction aux médecines magiques

Quelques réflexions et déclarations liminaires



Henri BROCH
Membre du "Council for Scientific Medicine and Mental Health"*, USA



Le droit au choix

Toute personne a le droit d'aller voir un "guérisseur" si elle le désire.
Mais, ce droit au choix, que cet ouvrage ne songe aucunement à remettre en question à quelque moment que ce soit, ne prend sa pleine valeur que s'il existe une information correcte.

C'est pourquoi il est essentiel que le charlatanisme soit laissé aux charlatans et que les patients mésinformés reçoivent enfin une information rigoureuse pour pouvoir, ainsi,
choisir en toute connaissance de cause.

Cette possibilité de choix me parait d'autant plus nécessaire que des exemples ont montré que le cri lançé autrefois par maints détrousseurs de grand chemin a été, dans le domaine qui nous intéresse ici, malheureusement quelquefois légèrement modifié en "la bourse et la vie"!


Questionnement, débat et réflexion sans contrainte

Il n'est pas question ici de vouloir passer en revue toutes les médecines magiques (ou parallèles, ou alternatives, ou douces, ou tout autre épithète dont on peut les affubler) existantes. Une collection entière d'ouvrages n'y suffirait peut-être pas !

De la même manière, il est quelquefois difficile de différencier ces médecines magiques d'autres domaines du paranormal car les croyances n'ont pas de frontières clairement définies. Le danger n'en est peut-être que plus grand.

J'ai ainsi été contacté en septembre 1983 par un médecin tout ce qu'il y a de plus officiel qui désirait me faire part de sa pratique un peu particulière. Accompagné de mon collègue Georges Bossis du CNRS, je me suis rendu chez ce médecin pour tester ses capacités et celles de médiums qui venaient d'Italie tout exprès pour la circonstance...
Ce médecin exerce et diagnostique en effet à l'aide de... "la photographie de l'aura", aura qu'il prétend détecter jusqu'à 10 ou 15 mètres d'une personne ("la dernière couche"). La technique principale utilisée est celle de la photographie de Kirlian [cf. "Le Paranormal", Seuil 1997, dans lequel un chapitre spécifique y est consacré] qui lui sert par exemple à diagnostiquer, par photos répétitives des doigts,... un cancer du sein! Et que ne m'a-t-il pas décrit et montré ensuite comme autres techniques merveilleuses qu'il utilise !

Qui souhaiterait réellement être "soigné" par ce médecin?...
Que de tels individus puissent exercer impunément, diagnostiquer et prescrire des thérapeutiques, devrait tout de même nous inciter à réfléchir.

On pourrait donner quantité d'autres exemples de telles pratiques (pour les lecteurs plus spécifiquement intéressés par le thème "médecines parallèles et cancers", je les renverrais à l'excellent ouvrage du Dr. Jallut qui fait le tour de la question) avec quelquefois même un haut-le-coeur justifié, mais, je le répète, il n'est pas question ici de vouloir passer en revue toutes les médecines magiques.

Les chapitres qui suivent voudraient plutôt, en fournissant des informations sur quelques exemples typiques, inciter au questionnement, au débat et à la réflexion sur le domaine très particulier qui est celui de l'art médical, du rapport de chaque personne avec son propre corps, du rôle de l'imaginaire dans la médecine, de ce que recouvre un acte de guérison aussi bien de la part du patient que de la part du ou des thérapeutes.

Cette démarche reconnait d'entrée et insiste sur le fait que nous connaissons très peu de choses sur le fonctionnement du corps humain (le mot corps recouvre, bien sûr, aussi le cerveau et ses "influx" qui en sont parties intégrantes, même si le champ d'ignorance est ici encore plus grand) et sur ses interactions variées avec l'environnement; cela ne doit cependant pas nous inciter à tout accepter et accepter en particulier des "médecines" qui, même si elles se sont "imposées", n'en traduisent pas moins une démarche magique difficilement compatible avec un progrès quelconque dans les soins ou tout simplement difficilement compatible avec le respect du patient en tant qu'individu pensant.

C'est pourquoi, je n'ai pas hésité à
présenter ici deux thérapeutiques qui ne sont généralement pas du tout perçues comme magiques par une très grande partie de la population et parfois même par certains membres du corps médical. Les chapitres sur l'acupuncture et l'homéopathie surprendront donc très certainement et ne manqueront pas d'entraîner de très vives réactions.
Sans avoir de don de voyance particulier, je pense pouvoir prédire que de telles réactions seront très certainement plutôt originaires des viscères que de l'encéphale!

J'imagine ainsi les lignes et avis indignés que certains journalistes et hommes de média, touchés dans leur propre pratique thérapeutique et leur croyance, ne manqueront pas d'écrire ou d'émettre sur cet ouvrage qui "ose pratiquer l'amalgame entre des franches mystifications, comme les guérisseurs philippins opèrant à mains nues, et des médecines largement et mondialement (l'enflure, même équivalente à un mensonge, sera ici de mise : il y va de la santé des populations qui lisent ou écoutent !) reconnues à l'heure actuelle comme l'acupuncture ou l'homéopathie". Vade retro, Satana...

J'ai déjà connu de tels anathèmes lorsque, bien des années avant les datations au carbone 14, j'expliquais, toutes les preuves scientifiques et historiques contrôlables nécessaires à l'appui ("au Coeur du Surnaturel" offrira plus de détails), que le fameux "Saint Suaire de Turin" était en réalité une escroquerie datant du XIVème siècle et que le vénéré linceul était un pur produit "made in France" !
Ces douloureux anathèmes ne m'ont toutefois pas empêché de continuer à prendre mon bâton de pélerin et j'espère bien qu'il en sera de même aujourd'hui, avec toutefois le secret espoir que nous soyons plus nombreux sur le chemin...


Les raisons et la Raison

Il faut, pour toutes les médecines magiques quelles qu'elles soient, souligner deux choses essentielles :

-
Le fait d'y croire ne prouve pas que cela marche.
-
Le fait que cela marche (car cela marche indéniablement quelquefois) ne prouve pas que cela marche pour les raisons que les "guérisseurs" invoquent.


Pour être plus clair, nous pouvons être dans la situation équivalente suivante:
- Sur une pente, une voiture, dont le moteur a été enlevé et remplacé par un simple fil de fer secoué sept fois pour capter l'"énergie cosmique", s'ébranle lorsque le frein à main est ôté.
- Conclusion: on vous l'avait bien dit, ça marche; vive la fildefermotion.
- On entame la fabrication industrielle du moteur ferro-cosmique.
- On vend lesdits moteurs à des millions d'exemplaires!

Cette caricature n'en est pas une. La démarche des médecines magiques est bien celle qui précède et c'est pourquoi il est d'emblée utile de préciser :

Est-ce que cela marche ? OUI, quelquefois.
Est-ce que cela marche pour les raisons spécifiques invoquées ? NON, jusqu'à plus ample informé.

On assiste en effet dans ces domaines "thérapeutiques" particuliers à de perpétuelles et irritantes confusions entre corrélation et causalité. Cette confusion est une des bases du "paranormal".

En plus de l'examen du mode de raisonnement, un simple coup d'oeil au contexte offre quelquefois des rapprochements surprenants.
Ainsi, l'homéopathie "prend" très bien dans un pays comme l'Inde et l'on peut supposer que, tout comme la réintroduction de l'acupuncture en Chine lors de la création de la République Populaire, la raison de cette "prise" ne soit pas spécifiquement médicale mais bien plutôt essentiellement économique.

Là où tout ceci peut paraitre normal, sinon la meilleure solution à une situation donnée, dans le contexte indien ou chinois, le paradoxe apparait quand un pays, un état, comme la France, qui dispose de tous les moyens pour que sa population, dans son ensemble, puisse avoir accès aux thérapeutiques modernes efficaces, se retourne vers des principes éculés de médecine magique.

Le public se laisse abuser par certains "titres", par la "reconnaissance par l'Etat" de produits thérapeutiques, par des "témoignages authentiques"...
Les professeurs Hugues Gounelle de Pontanel et Henri Baylon, de l'Académie de Médecine, ont rappelé que "la reconnaissance par le Codex (pour un médicament) implique la seule obligation de la nature du produit et non celle de l'efficacité de sa dilution" et également que "seules peuvent être admises comme mentions accolées au titre de médecin celles correspondant à une spécialisation officiellement octroyée sur le plan national".

Comme l'a rappelé le journaliste scientifique Michel Rouzé, lauréat de l'Académie de Médecine en 1986, Mme Georgina Dufoix, qui s'était si brillamment illustrée au ministère des affaires sociales par le lancement d'une expérimentation dont la simple objectivité scientifique n'était pas même respectée, a annoncé, il y a quelques années, la création d'un "réseau de santé" centralisant les témoignages d'anciens malades affirmant avoir été sauvés par une "médecine douce".
Le principe sera sans doute d'utiliser les nombreux témoignages qui ne manqueront pas d'affluer comme argument pour la reconnaissance officielle de ces "médecines". Et pourtant le "raisonnement" est boîteux pour une raison évidente.

Supposons un instant que ces "médecines" n'aient aucune valeur thérapeutique réelle (simple supposition d'école).
Dans cette hypothèse, les malades soignés par ces thérapeutiques peuvent se grouper schématiquement en trois (pour simplifier) catégories:
- ceux guéris par les défenses naturelles de leur organisme,
- ceux dont l'état ne s'améliore pas ou empire lentement,
- ceux qui sont décédés.
D'après vous, lesquels viendront témoigner ?

Question subsidiaire: quelle sera la conclusion, "étayée" par témoignages, que cet illustre "réseau" tirera ?


Le progrès nécessite le courage intellectuel

Acupuncture, Auriculothérapie, Homéopathie, Iridologie, et autres mirifiques médecines ne sont que des prénoms : Charlatanisme est leur nom de famille.
Il est plus que temps d'éclaircir les données réelles sur lesquelles reposent ces médecines magiques.

Il y a plusieurs années déjà que des personnes tirent la "sonnette d'alarme" et si la formulation de Howard W. Haggard a pris, par l'évolution du langage (et la traduction), quelques rides, le fond résume toujours admirablement bien l'enjeu :

"La science médicale ne peut exister et progresser que tant que survit l'esprit scientifique. La survivance de cet esprit dépend des progrès de la civilisation. Celle-ci à son tour est, à la lumière de l'Histoire, un processus très incertain, apte à régresser aussi bien qu'à progresser...."

"L'aveu, le respect des faits et les déductions honnêtes ne sont pas naturelles à l'esprit humain. Les instincts primitifs sont attirés plutôt par les émotions et l'imagination débridée. Ce qui menace l'esprit scientifique, le progrès de la médecine et le maintien de la civilisation, ce n'est pas la masse des gens qui ne pensent point. Le danger vient des gens intelligents qui jouent un rôle dans la construction de la civilisation mais qui n'ont pas appris à penser rationnellement; il vient des gens sentimentaux et inertes chez qui les instincts primitifs échappent à la répression et s'épanouissent jusqu'à étouffer la pensée. Ceux-là ressuscitent les vieux cultes de guérison par la foi des peuples primitifs, mais sous une forme nouvelle et avec une terminologie moderne..."

"La médecine et la civilisation avancent et progressent de conserve. Les conditions essentielles au progrès sont le courage intellectuel et un amour véritable de l'humanité. Il est aussi vrai de nos jours qu'autrefois que les progrès ultérieurs, voire le simple maintien de ce qui a été déjà acquis, dépendent de la mesure dans laquelle le courage intellectuel et l'humanitarisme prévaudront contre la bigoterie et l'obscurantisme".

Mettre les instincts et les émotions sous la coupe de la raison est fondamental dans de nombreux domaines.
Dans le domaine de la médecine, c'est... vital !

H. Broch
texte extrait de "Au Coeur de l'Extra-Ordinaire"

Références
Broch (1991 a); Coers (1985); Fellot (1985); Ferriere (1977); Glymour et al. (1983); Haggard (1961); Jallut (1992); Larger (1977); Loras (1956); Messadié (1985); Pankratz (1985); Pelicier (1985); Ré (1983, 1984); Rouzé (1985 a, c, 1986 i); Sabbagh (1985-86); Sournia (1985); Vitoux (1985)

* : Le "Council for Scientific Medicine and Mental Health" est le conseil garant des deux revues internationales "The Scientific Review of Alternative Medicine" et "The Scientific Review of Mental-Health Practice".

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